Abdel Hakim Lalèyè publie, en avril 2014, chez Laha Editions, Aagan, un roman qui met en vue le culte egungun, tel qu’il est. En lisant le livre, on découvre la multiplicité des unités constitutives de cette divinité. Un lecteur en parle, suivez donc ses pas.
Le roman est structuré en 14 chapitres, répartis sur 179 pages. Il constitue une véritable immersion dans la culture des revenants. A la manière d’un initié, Abdel Hakim Lalèyè a peint dans son livre un tableau exposant les vraies faces du culte egungun. Il s’agit, en effet, du récit du jeune Adéyèmi, devenu Responsable du culte egungun de la ville Ilé Atchê où se déroule l’histoire. Il a été, dans un premier temps, évincé par son oncle Adéogun qui s’est arrogé du pouvoir. Mais il réussit, tout de même, à sortir de la forêt Aagan, le premier des revenants. Cette prouesse l’ennoblit et va susciter, suite au délit de profanation de son cousin Adéjo, son intronisation en qualité de Baalè, ce qui signifie chef du culte egungun, en langue yoruba.
Un roman initiatique
Le récit suit l’évolution progressive, aussi bien intellectuelle que sociale du personnage principal. Adéyèmi, tel un écolier, a appris, auprès de son géniteur, baalè Adigoun, nombre d’éléments sur le culte, egungun, lesquels le conduisent vers la compréhension de ce monde. Bénéficiaire d’un ensemble de rites et d’enseignements oraux, Adéyèmi a vu, son statut social et ‘’religieux’’ transformé. Simple initié du couvent au départ, il réussit à gravir les échelons pour finir par être Baalè. L’auteur a donc respecté le principe de « rites de passages » en matière de récit initiatique. Ce critère a été savamment développé par l’ethnologue Arnold Van Gennep (1873-1957) dans son ouvrage intitulé les Rites de passage (1909).
L’indispensable caractéristique du roman initiatique est l’affrontement avec succès d’un certain nombre d’obstacles par le héros. Dans Aagan, Adéyèmi est sorti victorieux dans plusieurs épreuves. Le jeune homme a notamment mené à bon terme la recherche de Aagan dans la forêt.
Un roman réaliste

L’univers du culte egungun est fidèlement représenté dans le roman. Abdel Hakim Lalèyè a su « reproduire simplement ce qu’il a sous les yeux ». Il aborde, avec délicatesse, les réalités de ce couvent. Comme Honoré de Balzac, dans La Comédie humaine, il s’est donné comme tâche de travailler le réel [ du culte egungun] avec une perspicacité et une finesse poussées. Des événements fréquents dans cette arène cultuelle ont été vachement décrits dans l’ouvrage. En témoignent les champs lexicaux de l’envoûtement, du sacrilège, de la tradition (p. 166) de la mort (p.153), du viol (p.133) du suicide (p.151) développés dans le livre.
Une œuvre à tonalité fantastique
Abdel Hakim Lalèyè, comme, tout connaisseur de l’environnement des egunguns peut s’y attendre, a présenté des faits surnaturels, rationnellement inexplicables, parfois angoissants. Le livre s’ouvre, d’ailleurs, sur un rêve [élément insondable] annonciateur d’une malédiction à l’encontre du père d’Adéyèmi. Le drame annoncé est confirmé par le Fâ [une science surnaturelle] et s’est réalisé par la suite. Le géniteur du héros du livre, sous le choc de l’envoûtement, a rendu l’âme. Dans le quatorzième chapitre, on retrouve un autre fait dépassant l’imagination.
Il s’agit, en effet, de la sévère réprimande qu’a infligée la divinité egungun à Adéjo, un sacripant et fils aîné de Adéogun, ayant porté atteinte aux règles du couvent. On peut lire à la page 167 cette belle description de la sanction : « … soudain, une voix humaine, venant du dehors déchira le silence. Les trois intrus se figèrent. Adéjo, pris de panique, voulut enlever le costume. Mais le vêtement resta collé à son corps. Furieux, il déploya une grande force pour l’arracher. Efforts vains… Ses amis étonnés par le phénomène, s’approchèrent de lui pour l’aider à s’en débarrasser… mais ce fut la peau du jeune homme qui s’en ressentit. Il avait l’impression qu’on l’écorchait. Il hurla de douleur. »
Au demeurant, le lecteur, quand il finira de lire Aagan se rendra compte, d’une part de la richesse et d’autre part de la complexité du culte egungun.
Esckil AGBO