Entretien exclusif avec Coline-Lee Toumson-Venite, Directrice déléguée de l’Institut français

« C’est un grand honneur de travailler au Bénin à la direction déléguée de l’Institut Français ». Coline-Lee Toumson-Venite, est la toute nouvelle Directrice déléguée de l’Institut français du Bénin. Française d’origine caribéenne, cette femme au parcours culturel riche, s’exprime sur sa nouvelle mission au Bénin. Elle parle de ses défis et son intérêt pour la création artistique et de son souhait de pouvoir contribuer, au sein de l’Institut Français du Bénin, au dialogue des cultures, des expressions artistiques, des générations, dans tous les champs de la création.

Vous êtes la deuxième femme et la première ultramarine, la première caribéenne à occuper au Bénin le poste de Directrice déléguée de l‘Institut Français. Aussi, vous suscitez beaucoup de curiosités.
Je suis heureuse de rejoindre l’équipe de l’Institut Français du Bénin et d’embrasser sa mission de “faire vivre les Cultures” et son mot d’ordre d’“Allier les talents”!

Nous avons une mission noble et importante. En effet le soutien à la création, la promotion de lecture publique, la valorisation de la diversité linguistique et de la Francophonie, l’innovation culturelle s’appuyant sur le numérique et le développement des industries culturelles et créatives, l’accompagnement des étudiants dans leur cycle d’enseignement supérieur en France (Outre-mers compris!).

Mon parcours professionnel et mon itinéraire personnel synthétisent un peu tous ces aspects et l’approche pluridisciplinaire que j’ai toujours tenté d’avoir : production artistique, médiation et éducation culturelle avec un attachement pour le brassage, le tissage, le métissage des influences, des esthétiques. La Culture est le lieu névralgique de rencontre des imaginaires.

Ingénieure culturelle, je suis née dans l’Archipel Caraibe, à Fort-de-France, la ville capitale d’Aimé Césaire. Mon père est guadeloupéen, Professeur émérite des Universités qui a longtemps enseigné les littératures francophones, les auteurs fondateurs de la Négritude. J’ai donc été bercée par la littérature et la poésie mais aussi par tous les rythmes, toutes les musiques, Jazz, Blues, Zouk, Reggae, Salsa, Merengue, Gwo Ka, Bossa Nova, Biguine, High Life, Afro-beat qui swinguent dans ma tête !

Le “Tout Monde” d’Edouard Glissant dans toutes ses dimensions !
Ma mère, professeure agrégée d’Histoire a grandi en Afrique de l’Ouest et a fait ces années de Lycée à Dakar. Mes grands-parents étaient enseignants coopérants et ont fait toute leur carrière entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire. De ma mère j’ai hérité de cette puissante connexion avec l’Afrique subsaharienne, le goût pour la magnificence de son art, une fascination pour la splendeur de ses civilisations.

Pour la petite anecdote, j’ai créé après mes études universitaires une structure culturelle qui portait le nom d’Amazone Caraibe, structure de production à Paris transformée ensuite en agence d’ingénierie culturelle et de coopération artistique internationale à Fort-de-France.

“Amazone” en référence aux Agoo Djié du Royaume d’Abomey et “Caraïbe” en référence à mon Archipel insulaire, en somme, une équation structurante et inspirante.

Un lien singulier lie la Martinique au Bénin, le Roi Behanzin y a été exilé à la fin brutale de son règne. Le réalisateur Guy Deslauriers a d’ailleurs consacré un long métrage à ce fait historique, intitulé “l’Exil du Roi Béhanzin” avec en rôle titre, un des acteurs fétiches de Spike Lee, l’acteur d’origine jamaïcaine, Delroy Lindo.

Je suis donc née et j’ai grandi dans ce 6e continent, la Caraïbe, face à cet Atlantique qui connecte Europe, Afrique et Amériques où des langues sont nées de cette rencontre entre les peuples : les créoles d’Haiti, de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane, entre autres.

J’ai été pétrie par un intérêt et une curiosité pour la Culture, les Cultures, les Langues, l’Art et les Arts et j’ai fait ce choix professionnel il y a 15 ans après des études en Histoire culturelle, en Histoire des Relations internationales et en Histoire de l’Art de m’y engager, avec sensibilité et rigueur : les deux faces d’une même médaille.

Je me suis investie tour à tour dans la création d’un Festival, d’actions de coopération artistique internationale, la direction d’établissement culturel et patrimonial, mais aussi dans l’enseignement supérieur et je continue à apprendre au contact de l’autre, à grandir en me nourrissant du souffle ardent de la création artistique plurielle et diverse.

Coline-Lee Toumson-Venite, Directrice déléguée de l’Institut français du Bénin

Y a-t-il quelque chose de particulier qui ait favorisé votre recrutement à ce poste ?
J’ai répondu à l’appel à candidature annuel comme tous mes collègues recrutés au sein du réseau de coopération culturelle du Ministère des Affaires Etrangères disséminé à l’échelle de la planète. Car le réseau culturel français est vaste et marqué par la vision d’avant garde de figures telles que Jean Digne qui a été mon professeur à l’Université.
Après plusieurs phases de présélection, ma candidature a pu retenir l’attention et franchir de multiples étapes et de nombreux seuils.

Il y a un renouvellement générationnel, un changement de paradigmes que l’on peut saluer et encourager. La France est un pays multiculturel, pluriel, plurilingue, avec ses langues régionales, dont les créoles à base lexicale française qui se parlent, se pratiquent, et se vivent dans de nombreuses collectivités d’Outre-mer mais aussi le breton, langue maternelle de notre nouvelle COCAC- Conseillère de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Bénin, Isabelle Le Guellec. Notre nouvelle équipe de l’Ambassade de France est menée par son Excellence M. Marc Vizy qui a une connaissance fine, éclairée et humaniste des Outre-mers et de l’Afrique de l’Ouest.

De ma promotion d’agents culturels diplomatiques, je peux citer deux collègues afropéens pour reprendre l’expression de l’auteure Léonora Miano : un collègue franco-béninois brillant et créatif, attaché de coopération audiovisuelle au Kenya, Serge Noukoué, et une collègue franco-sénégalaise Maty Ngom, une professionnelle reconnue et appréciée, attachée de coopération pour le Français au Rwanda.

Notre génération symbolise peut-être une approche nouvelle, ouverte, s’appuyant sur des profils à la fois experts et culturellement divers.

Nous sommes riches de nos parcours et engagés dans un seul et même projet : faire vivre et dialoguer les cultures. Pour reprendre une citation d’Aimé Césaire qui me tient à coeur : « Les hommes et les femmes de bonne volonté feront au Monde une lumière nouvelle ».

Pourquoi avez-vous choisi le Bénin ?
J’ai collaboré en 2018 avec Jean-Michel Kasbarian alors COCAC de l’Ambassade de France au Bénin, sur un très beau projet de colloque intitulé « Les Entretiens de l’Atlantique » dans le cadre d’une saison d’échanges artistiques et scientifiques que je pilotais « Dialogues artistiques trans-atlantiques » pour le compte des Instituts français du Ghana, du Togo et du Bénin. Ce projet m’a amenée à deux reprises au Bénin, pays dont me parlait souvent ma mère, passionnée et fascinée par son histoire et sa civilisation.

À ces occasions, j’ai eu l’infinie chance de me rendre à Ouidah, à Porto Novo et à Abomey, des sites historiques, culturels et cultuels hautement symboliques, quasi mythologiques, mais aussi de m’immerger dans la nuit cotonoise et de découvrir des lieux alternatifs comme Africa Sound City, le Parking, le Lieu unique…

L’institut Français du Bénin est un très bel établissement qui endosse une mission culturelle, artistique, linguistique inspirante et enthousiasmante.

Je suis heureuse et honorée de contribuer à son action, en tant qu’établissement du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Bénin, au bénéfices des apprenants, des publics petits et grands, des artistes, dans une approche transversale, transdisciplinaire, transgénérationnelle, dans un aller retour entre Patrimoine et Création, entre l’Ici et l’Ailleurs et pourquoi pas dans un dialogue entre Afrique de l’Ouest et Caraibe…!

Les cultures sont vivantes, organiques, elles sont la traduction de nos réalités, de nos cosmogonies, elles incarnent notre présence au Monde. La présence au Monde de nos humanités se met en mouvement à travers les expressions artistiques et culturelles, à travers une création vivace, et le Bénin en est un point de contacts emblématique, un foyer fertile.

Que peuvent attendre les artistes béninois de votre gestion ?
Nous sommes confrontés à une situation, qui pour le moment rend difficile notre métier : la situation sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19. Le monde culturel est en attente de la résolution de cette crise qui contraint la mobilité, freine la circulation des artistes, limite les rassemblements culturels. Nous souhaiterions ardemment poursuivre l’accueil et l’organisation de tournées régionales et internationales mais nous faisons face à une crise inédite et nous devons nous adapter et adapter nos propositions en demeurant vigilants.

Je peux témoigner que les équipes de l’Institut français du Bénin ont hâte de retrouver les artistes et les publics, de créer à nouveau des moments de délectation artistique mais nous nous devons de respecter avec minutie les protocoles liés à la riposte Covid.

Pour l’heure, nous proposons une programmation favorisant de petites formes de spectacle vivant, privilégiant une approche acoustique et intimiste. Nous avons eu l’immense plaisir de démarrer notre saison culturelle avec l’accueil en résidence de création du comédien et metteur en scène béninois, Joël Lokossou pour une adaptation théâtrale et musicale d’un très beau texte de l’auteur portugais Fernando Pessoa. Joel Lokossou nous a offert une performance de grande beauté, croisant musiques classiques européennes et musiques ancestrales béninoises, danse et théâtre, entouré d’artistes talentueux et généreux. Nous poursuivons avec un focus sur la danse contemporaine béninoise, portée par de jeunes chorégraphes émergents tels que Arouna Guindo et le collectif Dream Keys, Carmelita Siwa de la cie Ca’Danser, Nourou Deen Eniola et Ezéchiel Adjouatou Adande de la cie Pro’7. Des artistes à suivre!

Quels seront les critères de programmation des artistes béninois à l’Institut français?
Je viens de prendre fonction, je me donne un temps d’écoute, de découverte, de dialogue aussi avec mes équipes. C’est un temps préalable nécessaire. Je suis attachée au travail de collaboration, de co-réalisation, de mise en réseau, afin que les projets trouvent une audience propice à leur développement. J’irai à la rencontre des artistes, pour découvrir leur travail, leurs ateliers, m’immerger dans leurs univers créatifs. Je m’accorderai ce temps parce que c’est un temps précieux et important pour un programmateur, pour un directeur artistique.

Nous allons essayer de dessiner des propositions qui prennent en compte la diversité du souffle artistique au Bénin. Nous allons essayer de décliner des propositions, des programmations avec des temps forts, des rencontres ; des scènes découverte où place pourra être faite pour aux artistes émergents, à la scène actuelle et contemporaine. C’est ma sensibilité qui ira à la rencontre d’autres sensibilités artistiques. Je suis déjà extrêmement attentive à la vitalité et à la diversité des formes et des propositions; il y a de l’énergie et du désir et nous allons essayer d’être au rendez-vous « du donner et du recevoir » comme le dit si joliment un de mes collaborateurs de l’IFB.

Pensez-vous que la culture béninoise à une spécificité ?
La puissance qu’exerce le Bénin sur les imaginaires des Amériques noires, et les legs anthropologiques Yoruba, Fon, Mina sont immanents quand on pense à Cuba, à Haïti, au Brésil, à Trinidad & Tobago, la Guadeloupe, la Martinique mais aussi au legs Ashanti quand on porte le regard sur la Jamaïque. Pour parler des Amériques noires, certains évoquent une plaque tectonique qui se serait détachée de l’Afrique de l’Ouest tant les similarités, les correspondances transatlantiques sont vibrantes ! On retrouve les traces de langues ancestrales, de traditions, de rites, de spiritualités recréés, transposés dans le « Nouveau Monde ».

J’ai toujours été interpellée par les phénomènes diasporiques et les phénomènes de créolisation, de création et de re-création, empruntant le chemin de la Trace et des traces et je me suis passionnée pour les travaux de Roger Bastide, de Paul Gilroy et d’Edouard Glissant…

Selon vous, est-ce une chance pour le Bénin d’avoir une afro-descendante à la tête de l’Institut français ?
Je crois que c’est une chance pour moi et pour mes îles d’appartenance, la Martinique et la Guadeloupe. C’est un mouvement qui est intéressant dans les deux sens, Afrique-Caraïbe, Caraïbe-Afrique, connectées aux capitales globales et foyers de diffusion artistique internationale, notamment Paris qui demeure une capitale culturelle proactive où j’ai été formée à ce métier passionnant.

Je tiens ici à saluer José Pliya, grand dramaturge béninois qui a été durant plusieurs années à la tête de l’Artchipel, Scène Nationale de Guadeloupe et Hassane Kassi Kouyaté, éminent metteur en scène et comédien burkinabé qui a dirigé Tropiques Atrium, Scène Nationale de Martinique, ils ont ouvert cette voie du dialogue artistique transatlantique que j’explore à mon tour.

Quel appel lancez-vous aux artistes béninois ?
L’institut Français est une plateforme créative et collaborative. C’est d’abord un lieu de création, de médiation, un outil de travail, qui abrite une médiathèque, un espace de lecture et de documentation, un Fab Lab, un centre de langues, une salle d’exposition, un auditorium et deux théâtres sans oublier une brasserie conviviale et hospitalière. Les artistes, les chercheurs, les étudiants peuvent y venir et y cueillir des sources d’inspiration, y développer des travaux de recherche et de création.

L’Institut Français du Bénin est un lieu… où se vivent les cultures, la Culture et où dialoguent les imaginaires !

Propos recueillis par Franck Raoul PEDRO

 

 

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