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Entrevue avec l’artiste-photographe Joannes Mawuna

Le photographe béninois Joannes Mawuna. Ph / DR

« Le choix d’un métier ne saurait arracher quoi que ce soit à la féminité. »

L’espace artistique et culturel « Le Centre » (Abomey-Calavi-Bénin) présente des œuvres du photographe béninois Joannes Mawuna au sein de l’exposition collective « Déambulations urbaines ». Avec la série de photographies « Ne suis-je pas une femme ? » , ce dernier propose une réflexion axée autour des notions de féminité et de masculinité. Dans l’une des salles d’exposition accueillant ses œuvres où il a accepté nous rencontrer, Joannes Mawuna dévoile la substance de son travail. Lisez plutôt !

Joannès Mawuna, vous êtes un jeune photographe qui a fait ses premiers pas dans la photographie d’art en 2016 à travers l’exposition « Les jumeaux, retour à l’immortalité ». Depuis, vous enchaînez des créations en abordant diverses thématiques. Aujourd’hui vous nous présentez « Ne suis-je pas une femme ? ». Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Alors il faut dire que je puise mon inspiration du quotidien. Ce qui m’amène à aller vers l’histoire, à faire des recherches sur ce que l’on voit et qui paraît parfois banal. Je mène des recherches approfondies sur ces points-là afin d’éclairer l’opinion publique en mettant la lumière sur des réalités. Etant Africain, je mène beaucoup plus de recherches sur notre culture, tout ce qui est endogène et vraiment ancré dans la tradition qu’il importe de montrer non seulement aux autres mais surtout à nous-mêmes.

Pourquoi le titre « Ne suis-je pas une femme ? » 

Joannès Mawuna: « Ne suis-je pas une femme ? » [1] fait référence au titre d’un livre de Bell Hooks, une figure emblématique du « Black Feminism » en Amérique. C’est une interrogation qu’elle a repris parce que le texte original vient de l’un des célèbres discours de Sojourner Truth, une abolitionniste et féministe noire américaine du XIX siècle. C’est un livre que Marion Hamard, la Directrice du Centre m’a fait découvrir lors de ma résidence et qui a donné du sens à mon travail.

Quel est alors le propos de cette série ?

Je dirai que j’ai voulu me prononcer sur deux aspects. Le premier c’est de mettre la lumière sur ces femmes-là qui bravent le regard du monde et de la société pour faire le métier de leur choix. Vous savez, il y a tellement de stéréotypes dans nos sociétés selon lesquels une femme ne doit pas faire ceci ou cela; elle est faite pour le foyer etc. On met la femme dans une bulle où on lui donne des restrictions. Mais moi je pense que la femme ne doit être freinée par aucune restriction.Est-ce que l’on arrête d’être une femme parce qu’on exerce un métier dit « d’homme »? Non, je ne pense pas. Le choix d’un métier ne saurait arracher quoi que ce soit à la féminité. Le deuxième aspect quant à lui consiste à sensibiliser les femmes et surtout les jeunes filles qui se mettent des barrières parce qu’étant des femmes. Je veux les pousser à avoir le courage d’aller vers les métiers dits d’hommes, à aller explorer d’autres horizons où les femmes sont peu représentatives.

Au-delà du regard que vous portez sur les choses du quotidien quel a été le déclic de ce travail ?

A vrai dire c’est un travail que j’avais commencé depuis 2016 dans le cadre de l’appel à candidature pour le projet « Les échos de Lobozounkpa #2 » [2] . Nous étions invités à travailler sur les Amazones. J’ai donc porté ma réflexion sur l’Amazone contemporaine. Je me suis posé la question suivante : qui peut représenter l’Amazone d’aujourd’hui ? Après réflexion, j’ai trouvé que celle qui peut se faire appeler ‘’Amazone’’ aujourd’hui c’est la femme qui fait un métier dit d’homme, un métier pas populaire. C’est celle-là même qui a une force pas forcément physique mais mentale pour supporter le regard des autres et se dire fièrement : « moi j’embrasse un métier où il n’y a pas assez de femmes ». C’est donc cette réflexion qui se poursuit et qui a abouti à cette nouvelle exposition.

Une œuvre de la série « Gnonnou Assouka »/Lobozounkpa2

 

Outre la question des Amazones, quelle est la portée historique de ce travail ?

Lors de ma résidence au « Centre », j’ai mené des recherches sur les réalisations des femmes au cours de l’histoire. J’ai ainsi découvert qu’il y avait des métiers qui ne comptaient pas de femmes mais qui, avec le temps ont commencé à enregistrer des femmes. Il y a eu dans l’histoire, des femmes pilotes, mécaniciennes aéronautiques, avocates… Il y a même eu des femmes qui ont travaillé dans l’armement lors de la première guerre mondiale. L’on raconte que c’est parce qu’il n’y avait pas assez d’hommes qu’on a dû faire appel aux femmes. Mais ce qu’il convient de retenir c’est que des femmes ont eu à exercer ce genre de métier et c’est resté dans l’histoire. Toutes ces découvertes m’ont renforcé dans ce travail que j’ai commencé.

Lorsque l’on est face aux photos, l’on a comme l’impression que ces femmes nous regardent directement et tentent de nous dire quelque chose. Est-ce que le choix du format des photographies a été dicté par cette recherche de contact ?

Soudeuse métallique de la série « Ne suis-je pas une femme ? »

 

Oui. Je veux que les visiteurs se retrouvent devant leurs semblables à travers les photos. Qu’ils se voient en face des personnes à taille humaine. Qu’ils soient ‘’en contact’’ avec ces femmes à travers les photographies. Ceci pour montrer aux uns et aux autres qu’elles peuvent. Leur montrer également que cela n’agit aucunement sur leur féminité parce qu’on retrouve les traits féminins sur chacune des femmes dont les photos sont exposées. Ce n’est pas parce qu’elles font ces genres de métiers qu’elles ne sont plus des femmes.

Aussi ai-je voulu faire des dytiques pour montrer la carrure des modèles et en même temps les avoir en situation de travail. Tout simplement parce que l’on ne peut pas avoir ces deux aspects sur une seule photo.

La série présente des femmes de diverses catégories d’âge. L’aspect intergénérationnel vous semble-t-il important ?

La fondeuse de la série « Ne suis-je pas une femme ? »

 

Oui. Mais j’avoue que ce n’est pas du tout fait exprès. J’ai fait le choix de ces photos sans considérer cet aspect. C’est le terrain qui a commandé. Je suis juste allé vers des femmes. Mais c’est bien que vous ayez fait ce constat parce que cela prouve qu’il y a tant des jeunes femmes que des vieilles qui sortent des sentiers battus.

L’exposition « Ne suis-je pas une femme » ne vous confère-t-elle pas un statut de féministe ?

Non. Je ne pense pas parce que je ne travaille pas que sur les femmes. C’est certes ma manière de dire aux femmes : « Vous le pouvez. Vous n’êtes pas faites que pour le foyer ou pour les métiers catégorisés ». C’est aussi pour leur dire qu’elles sont des Hommes entiers et qu’elles peuvent faire tout ce qu’elles veulent sans s’imposer des limites car elles en sont capables. Mais cela ne me confère pas un statut féministe.

La mécanicienne-auto de la série « Ne suis-je pas une femme ? »

 

Envisagez-vous de poursuivre les recherches pour aboutir à d’autres réflexions?

Je continue de réfléchir sur la série pour que cela ne soient pas seulement des photos mais qu’à celles-ci soient ajoutées d’autres médiums. Une installation pour donner un autre rendu au travail par exemple.

 

Notes de bas de pages

[1]Propos tiré d’un discours prononcé par Sojourney Truth pour interpeller les féministes et abolitionnistes sur le sort des femmes noires en 1851. Un propos majeur du féminisme et du <<Black Feminism>> qui sera repris par Bell Hooks pour son essai sous-titré <<Femmes noires et féminisme >> édité aux Etats Unis en 1982

[2]Festival pluridisciplinaire initié par <<Le centre>> et qui propose un espace de découverte et de réflexion autour des pratiques artistiques contemporaines.

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Inès Fèliho
Inès Fèliho
Rédactrice à Dekartcom

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