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Daté Atavito Barnabé- AKAYI, Dramaturge, Prix PR 2017. Crédit photo: Tognidaho - 2014

Un dramaturge  se prononce  sur le  grand festival de théâtre d’Afrique.  A quelques heures du démarrage de la biennale, le dramaturge  Daté Atavito Barnabé- Akayi, fait son décryptage. Il se réjouit de la tenue effective de l’événement et félicite  les organisateurs.

Lire  l’entretien qu’il a accordé à dekartcom

Dekartcom : Vous êtes enseignant écrivain dramaturge béninois, puis critique. Quel bilan peut-on faire de l’état actuel du théâtre béninois ?

Daté Barnarbé- Akayi : Quand on parle du théâtre béninois (même si tout véritable théâtre finit par être représenté donc oral), il faut distinguer le théâtre oral et le théâtre écrit. D’un côté, le théâtre oral fournit un théâtre populaire avec les nombreuses troupes qui virent aujourd’hui dans le cinéma de proximité avec en tête les Pipi Wobaxo. Et de l’autre, le théâtre écrit avec de différentes tendances sociopolitiques et sociohistoriques, depuis les élèves de William Ponty, les Jean Pliya, en passant par les Camille Amouro, Florent Couao-Zotti, José Pliya, Apollinaire Agbazahou, Florent Eustache Hessou, Ousmane Alédji, Hermas Gbaguidi, Dansi Fernand Nouwligbéto, jusqu’aux dramaturges des années 2010 comme Mahougnon Kakpo, François Aurore ou d’autres dont l’écriture est naissante tels que Emile Elomon, Jean-Paul Tooh-Tooh, Jérôme Tossavi, ou Claude Balogoun avec son conte théâtralisé…

Le théâtre féminin, au-delà des troupes comme Les Echos de la capitale, est hissé par Reine Oussou avec le Prix du Président.

Ces dernières années, on sent un nouveau vent fouetter le théâtre béninois non seulement avec de nouveaux styles mais aussi avec de nouvelles thématiques. Des nombreux festivals locaux du théâtre se multiplient. Les prix comme Plumes Dorées ou de nouvelles maisons d’éditions font découvrir de nouveaux dramaturges. Des écoles comme EITB ou le département d’art sur le campus s’ouvrent.

Le bilan est donc prometteur ; le théâtre béninois se renouvelle !

Il reste à souhaiter que les constructions des infrastructures théâtrales suivent pour appuyer l’engouement du spectacle vivant.

Connaissez-vous le FITHEB? Si oui que vous rappelle-t-il? Que gagne le Bénin en organisant un tel festival?

Je rappelle que, avec le travail d’Isidore Dokpa, ma pièce Les confessions du PR sera mise en lecture spectacle les lundi 8 à 1OH30 à Artistik Africa (Agla, Cotonou) et  dimanche 14 décembre 2014 à l’Institut Français de Cotonou, toujours à 10h30.

C’est ma manière de vous dire que je connais le FHITEB. D’ailleurs, tout le monde connaît le FITHEB. En tout cas, moi, c’est le seul festival que je connais au Bénin ayant cette envergure. Quand Gaston Bellemare m’a demandé l’année passée lors d’une table ronde à Trois-Rivières (Québec, Canada) de parler des festivals de poésie au Bénin, il n’y a que le Festival International de Théâtre du Bénin qui me soit venu à l’esprit. On me parle de poésie et moi, je parle du théâtre. Peut-être ai-je raison. Car, aujourd’hui, quand on parle du FITHEB, il ne s’agit pas purement du théâtre ; il y a également les autres arts et il y a également d’autres villes, d’autres villages, des maisons, des hameaux  et des rues, des sentiers où il faut accrocher le théâtre  curatif et la folie inventive !

De l’autre côté, ce n’est pas à moi de rappeler le gain artistique, socioculturel, touristique, économique que génère un festival. Les Brésiliens savent de quoi je parle. Même les Nigérians tout près…

Quelle a été votre réaction quand le metteur en scène et dramaturge, Ousmane Alédji a été désigné comme directeur intérim du FITHEB 2014? Vos attentes ont-ils été comblées (considérant l’ambiance qui a prévalu au FITHEB cette année) ?

Vous me rappelez une autre question que le dramaturge togolais Gustave Akakpo a formulée à mon endroit quand il tentait de répondre à une question que je lui ai posée dans le cadre d’un travail, il y a deux ans : « Je n’arrive pas à m’expliquer comment un festival d’aussi grande envergure que le FITHEB n’ait pas une équipe administrative et technique permanente. Que l’on change de directeur, cela est normal. Mais lorsqu’on change à chaque fois le directeur et toute l’équipe, où sont les validations et la pérennisation des acquis ? »

Florent Couao-Zotti qui avait entre temps démissionné de son poste au conseil d’administration du FITHEB m’a expliqué un peu le désir du ministre de tutelle de mettre un peu d’ordre dans le secteur. Ils seraient même partis à Grand Popo pour réfléchir sur la question. C’est toujours difficile de gérer les artistes, aime à rappeler le dramaturge Apollinaire Agbazahou, ex-directeur de ce conseil.

J’ai, donc comme tout le monde, appris cette désignation d’Ousmane Alédji alors même que Erick Hector Hounkpè serait choisi par ses collègues… Bon, je ne maitrise pas trop la question. J’ai suivi Hounkpè sur le sujet à la télévision. On n’a jamais pu en discuter de vive voix. Cependant, j’ai pu écouter Alédji qui à ma connaissance, n’a pas fait de déclaration publique.

Sans prendre parti, entendu que je suis proche de l’un ainsi que de l’autre et que d’ailleurs les deux ont beaucoup d’histoires fructueuses en commun, je dis que l’essentiel est que le spectacle vivant prospère au Bénin, qu’importe la carte de visite du directeur.

Dans une interview accordée à Ousmane Alédji publiée dans le Mensuel du FITHEB, il affirme « Je ne viens pas juste organiser un FITHEB, je viens créer le label. (…) Mon envie, c’est d’en faire le grand festival de théâtre d’Afrique ». Peut-on réellement faire du FITHEB  un «grand festival de théâtre d’Afrique», si le budget alloué  à  cette biennale est insuffisant ?

Ousmane Alédji parle comme un coach. Un vrai coach ne dit jamais que son rôle est de faire échouer son équipe.

Mais vous venez de soulever un problème important : la question du financement. J’apprends qu’on aurait versé 150 ou 200 millions, je ne sais pas exactement. Et même si c’est 300 millions ! Pour moi, pour un festival sérieux, ces sous, c’est juste pour se débarbouiller. Ils ne peuvent servir à faire les véritables toilettes ! Ousmane Alédji a beaucoup voyagé et sait qu’un « grand festival  de théâtre d’Afrique » ne peut pas se faire quand c’est à la dernière minute qu’on passe au décaissement.

A mon entendement, le qualificatif « grand » fait intervenir de grands noms nationaux et internationaux du monde artistique. Or c’est difficile d’inviter de grands noms avec cette incertitude que le FITHEB cultive. Marcel Kpogodo m’a demandé dans une interview si on me nommait à un poste (j’ai oublié le poste) ce que je pourrais apporter. J’ai dit que je n’accepterai pas parce que les conditions ne sont pas réunies pour des réformes. Ou si par magie, j’acceptais, je n’apporterais rien de nouveau avec des supérieurs pusillanimes.

Pour en venir clairement à votre question, le budget alloué à cette biennale n’est pas suffisant (et je rappelle que j’ignore le chiffre précis), je précise que ce budget est ridicule. C’est d’ailleurs pourquoi quand on me parle du milliard culturel, il est toujours un rire triste qui s’échappe de mes lèvres. Ce festival de théâtre mérite un budget de plusieurs milliards. Quand je pense à un metteur en scène qui piétine la sobriété du décor parce que pour lui, le décor entre dans les actants et exige à lui seul des dizaines de millions, sans parler des frais d’hôtel pour sa troupe, leurs billets d’avion, leur assurance, leur entretien, leur cachet… Et s’il faut multiplier ces dépenses par 2, par 5, par 10… J’avoue que je ne peux pas me vanter que je maîtrise le qualificatif « grand » dont parle Alédji. Par voie de conséquence, si l’Etat est incapable de décaisser ces milliards, il doit contribuer à encourager des mécènes dans ce sens.

Annoncé pour se dérouler du 6 Décembre au 14, la 12ème  édition du FITHEB avait été reportée plusieurs fois. Quel avenir pour le FITHEB dans ces conditions ? Quel est l’impact de ces différents reports sur la culture béninoise ? Peut-on dire que nous allons à la mort du FITHEB une fois encore ?

Les gens doivent féliciter Ousmane Alédji. Il ne m’a rien dit à ce propos mais je soupçonne une mise en place d’une stratégie pour conduire les responsables à respecter la date du 6 décembre 2014. J’aurais appris qu’en fait, l’information qui reporte le FITHEB sine die n’est pas censée tomber dans l’oreille du grand public ! C’est un peu comme Baroka demandant à Sadikou de garder le secret de son déclin pénien.

Nous nous cachons derrière le sous-développement pour maltraiter la culture. Je dis que les gens doivent féliciter Ousmane Alédji parce que le report des activités culturelles est compatible à notre gestion du patrimoine national. Le Salon International du Livre de Cotonou a été reporté sine die (alors même que des invités sont déjà dans l’avion pour venir y participer) depuis des années et le pays se porte toujours mieux. Chaque fois que je rencontre le professeur émérite Adrien Huannou, il ne manque pas de mentionner son inquiétude pour la place regrettable réservée à la culture.

Nous avons souvent méprisé le temps, le chronogramme et nous nous montrons au monde entier comme des gens peu sérieux, peu responsables, peu respectueux de l’autre de sorte que dans l’avenir, les gens risquent ne plus nous faire confiance. Autrement dit, nous perdons notre crédibilité.

Vous avez bien dit 12è édition de la biennale ; donc nous sommes à 24ans d’un festival qui reste embryonnaire, où l’on sent l’odeur irrévérencieuse de l’amateurisme, de l’improvisation ainsi que d’autres domaines de gestion du pays sont aujourd’hui empestés par cette méprise de l’ordre temporel.

Cependant, je vous le garantis, le FITHEB ne mourra pas pour la seule raison qu’il n’y a pas de morgue pour le recevoir. Ou si des pyromanes l’incendient, il renaîtra à la Phénix. Les Tola Koukoui, les Antoine Dadélé, les Koffi Gahou, les Alougbine Dine… vivent toujours et il y a aussi les Isidore Dokpa, les Kokou Yémadjè, les Patrice Toton… Et puis, il y a les professeurs d’université amants de l’art comme Pierre Médéhouégnon, Bienvenu Koudjo, Joseph Adandé, Bienvenu Akoha, Mahougnon Kakpo, Guy Ossito Midiohouan. Et tous ces dramaturges, tous ces scénographes… Non, ça ne va pas bien mais ce n’est pas à la mort que le FITHEB est voué : il est destiné à grandir. On espère que 24 ans après, on évitera les tâtonnements… C’est cela même là le rôle du théâtre : au-delà du divertissement, il nous donne espoir !

Un ancien directeur du FITHEB dans une interview déclare : «Les vrais acteurs culturels connaissent la raison de ce report » sine die. Partagez-vous ce point de vue?

Ce n’est pas de la modestie : je ne connais pas les vraies raisons de ce report, sans doute parce que je ne suis pas un vrai acteur culturel. Mais j’ai dit à Thanguy Agoï de Canal 3, il y a deux semaines ou trois sur « Actu Matin » quand il s’efforçait de m’apprendre que le report est dû aux ravages d’Ebola, qu’à ma connaissance, c’est fondamentalement parce que les hommes politiques se foutent pas mal des questions culturelles et intellectuelles. Sauf lors de l’organisation des concours Miss où les problèmes sont moindres, toute la culture est abandonnée.

Mon rêve est qu’on ait des dirigeants illuminés et attachés aux questions culturelles et intellectuelles de sorte qu’on en arrive à prendre au sérieux ce secteur afin qu’il génère un pourcentage considérable pour notre produit intérieur brut !

Peut-on encore rêver d’une parfaite réussite du FITHEB 2014 ? Si oui Ousmane Alédji peut-il toujours gagner le  pari ?

Ma vie est vêtue d’optimisme. « Parfaite », c’est un peu hyperbolique. Je compte sur Ousmane Alédji. Aucun homme sérieux ne peut lui en vouloir vu les conditions que tout le monde  sait, s’il n’arrive pas à faire de la magie.

Pour moi, obtenir l’effectivité de ce festival pour cette année est à louer. Nous veillerons prochainement à cultiver l’anticipation et non l’improvisation. Toutefois, cela ne se passe pas seulement au FITHEB. Notre vie quotidienne est meublée d’improvisations et de laxisme; et je ne vous autorise guère à concentrer le regard sur les hommes politiques. Même à la maison, dans nos petites familles, on anticipe rarement.

Pensez-vous que l’Etat béninois accorde  l’importance qu’il faut au FITHEB? A la culture? Que faire pour donner un nouveau visage au théâtre béninois?

On a assez accusé l’Etat. Et puis, il semble que je l’ai suffisamment interpellé.

Je suis enseignant. Et je me dis : que fait le système éducatif pour exhorter les apprenants au théâtre ? Combien d’apprenants miment un texte, avant l’université ? Combien, devenus grands, viennent suivre les spectacles d’art vivant ? On me dira qu’il n’y a pas de théâtre national. Soit ! Mais, les petits espaces emménagés pour la cause, qu’en faisons-nous ? On parlera de l’essor des réseaux sociaux, des films qu’on peut suivre où qu’on soit, sur sa tablette, son smartphone… Soit ! Mais il faudra qu’on retienne que ces technologies, non seulement ne développent pas les mêmes gains que le théâtre mais aussi et surtout ne peuvent nullement le remplacer.

Les élus du peuple de demain sont les apprenants d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous devons semer et entretenir dans l’esprit de la jeunesse le goût du théâtre et de la culture tout court.

Réalisation : Inès MISSAINHOUN (archive 2014) 

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