Bénin_Tourisme : «…Le secteur du patrimoine a besoin de réformes audacieuses…», dixit Franck Ogou

Dans un entretien accordé à notre rédaction, le spécialiste des patrimoines Franck Ogou, Conservateur du Jardin des Plantes et de la Nature (JPN) de Porto- Novo, réagit sur la décision du gouvernement de créer une agence de la Promotion des Patrimoines et du Développement du Tourisme.

(Lire ci-dessous l’intégralité de l’entretien)

 

Dekartcom : Vous êtes un professionnel du patrimoine et Conservateur du Jardin des Plantes et de la Nature (JPN). Comment se porte le patrimoine culturel du Bénin ?
Franck Ogou : Le patrimoine culturel du Bénin se porte comme nous voulons qu’il se porte. Et quand je dis nous, c’est aussi bien les pouvoirs publics (national que local) et les professionnels. Nous sommes tous responsables de son état mais le degré de responsabilité n’est certes pas le même : ceux qui ont les moyens les orientent ailleurs alors que les autres manquent d’imagination et d’initiatives. Tout cela mis ensemble, vous imaginez l’état dans lequel se trouvent actuellement nos patrimoines.

Le gouvernement, à la faveur du Conseil des Ministres du 18 mai 2016 a annoncé la création d’une Agence de Promotion des Patrimoines et du Développement du Tourisme. Patrimoine et Tourisme : quel lien ?
Le tourisme se nourrit du patrimoine. Pour faire plus simple, les touristes visitent les attraits patrimoniaux et les curiosités naturelles. Donc les deux se complètent bien qu’étant géré par deux différents corps de métier. C’est une belle initiative du gouvernement de créer une agence de promotion des patrimoines et de développement du tourisme mais il faut veiller à ce que cette agence ne soit l’otage d’un corps de métier ou ne devienne un tremplin où on nomme les amis et les soutiens politiques. Elle doit être une affaire de sachant si réellement l’objectif est de faire de ces éléments des piliers de développement de notre pays.

 

Est- il nécessaire cette agence ?
Oui. Cette agence est plus que nécessaire me référant surtout à ce que j’ai dit précédemment. Car le tourisme fait la promotion des biens patrimoniaux mais en temps il est un facteur de dégradation. Et parfois les acteurs de ces domaines évoluent sans se parler et se concerter car les visions ne sont pas les mêmes. Donc vouloir d’une agence qui traite des deux questions est déjà une bonne nouvelle. Il reste à juger la mise ne œuvre de cette décision.

Quelles sont aujourd’hui, les priorités pour le secteur du patrimoine ; par ricochet celles du tourisme.
Tout est priorité dans le secteur du patrimoine que je connais le mieux. Je ne m’aventurai pas à parler de celles du tourisme car je les connais moins. La 1ère priorité du Bénin dans ce domaine est l’inventaire du patrimoine car il faut connaître ce qu’on a pour dire comment on veut y prendre soin. A l’heure actuelle nous ne disposons pas d’un inventaire de nos biens patrimoniaux. Après cela, il faut élaborer des plans de gestion et de mise en valeur.

 

 

La 2ème priorité est la formation et le recrutement de personnel qualifié. Ce secteur manque cruellement de personnel pour prendre en mains la gestion des problèmes.

La 3ème priorité est relative aux conditions de vie et de travail du personnel du patrimoine. Aujourd’hui, ce secteur n’attire pas grand monde car ceux qui y travaillent notamment dans le secteur public ressemblent à des objets patrimoniaux à conserver. Il faut mettre en place des mesures incitatives dans ce domaine et travailler à rendre plus attrayants les lieux de mémoire tels que les musées.

 

Et tout ceci ne serait possible que si on y met les moyens conséquents afin de soutenir les réformes. Aujourd’hui les défis de notre secteur sont aussi financiers.

Quelles seraient, selon vous, professionnel des patrimoines, les responsabilités de cette agence?
C’est là toute la question, bien sûr que l’exécutif qui a pensé à la création de cet organe a dû se poser cette question. Et c’est sûrement la réponse qui a conduit à créer une espèce comité de pilotage qui devra réfléchir au contenu de l’agence. Pour les professionnels, il ne faudra pas aller chercher loin, cette agence devra d’abord travailler à mettre ensemble les professionnels du patrimoine et du tourisme, aider à lever des fonds auprès des partenaires internationaux puisque jusqu’à ce jour aucune direction technique n’a cette compétence et faire la promotion des attraits touristiques de notre pays auprès des représentations diplomatiques. Il serait utile que cette agence soit impliquée dans le choix des attachés culturels.

 

Qu’est- ce que vous souhaitez ajouter ?
Le secteur du patrimoine a besoin de réformes audacieuses. Je voudrais juste souhaiter que le choix des animateurs de cette prochaine agence tienne compte des profils ; il faut commencer à mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut !
Pour l’heure, les noms qui circulent n’augurent pas d’une bonne suite, de la prise en compte réelle des motivations des professionnels. Nous ne sommes pas loin d’un mauvais casting et j’espère que les autorités vont se rattraper.

Propos recueillis par Esckil AGBO