Salon National du Livre : Le Bénin valorise la plume féminine.
7 décembre 2022
Projet « Connecter les territoires  » : Didier Sèdoha Nassègandé expérimente une nouvelle approche théâtrale
21 décembre 2022

Entretien avec Eliane Aïsso du Collectif « Sac O Dos » : « A un moment donné, il faut s’unir pour pouvoir avancer »

l'artiste béninoise d'art visuel, Eliane Aïsso. Crédit photo: Tognidaho

Les artistes béninois Eliane Aïsso, Eric Mededa et Achille Adonon du collectif « Sac O Dos » se retrouvent autour d’une résidence de cherches et de création sous la coupole de leur aîné Ludovic Fadaïro depuis le 28 novembre à Grand-Popo. Intitulée Kanxoxo nu, cette résidence dont la restitution est prévue pour l’année 2023, marque le retour de ce collectif initié il y a cinq ans dans le cadre de la biennale de Dak’art. Eliane Aïsso, artiste visuelle et membre du collectif, nous confie dans cet entretien, les coulisses de la création du collectif « Sac O Dos » et revient sur les réelles motivations de la résidence Kanxoxo nu.

Vous aviez initié le projet « Sac O Dos » en 2018, dans le but de mobiliser des fonds afin de participer à la biennale de Dak’art et en 2021, il se mue en Collectif. Pourquoi ce choix ?

Le Collectif « Sac O Dos » parce qu’on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’initiative de jeunes artistes qui partagent la même vision, un objectif commun. Il n’y a pas de regroupement de jeunes artistes qui aspirent à un idéal commun. A un moment donné, il faut s’unir pour pouvoir avancer. Nous restons convaincus que l’union fait la force et qu’à trois nous pouvons relever de grands défis. L’idée c’était de nous amener en tant qu’artistes à collaborer. Après plusieurs échanges, on s’est lancé dans l’aventure après notre participation à la biennale de Dak’art en 2018.

Parlant justement de 2018, vous disiez au cours d’une conférence de presse que le projet « Sac O Dos » était initié dans un cadre précis et qu’il n’était pas évident que cela se poursuive. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui pour que vous passiez au collectif ?

(Sourire). Effectivement. Au départ c’était juste dans le but de participer à la biennale. Mais une fois à Dakar, nous avons commencé à murir les réflexions compte tenu de notre expérience et de ce que nous avions accompli en si peu de temps pour en arriver là.  Avant la fin de notre séjour d’un mois, nous étions tous les trois unanimes sur l’importance de pérenniser l’initiative. C’est en ce moment que nous avons commencé à nous trouver des défis à relever. Pour anecdote, l’un des défis était qu’à défaut d’être tous dans le In – exposition officielle de la biennale -, qu’au moins un parmi nous représente le collectif l’édition suivante. Malheureusement en 2020, il n’y a pas eu de biennale à cause de la Covid. Mais en 2022, notre rêve s’est réalisé avec un grand bonus. Achille Adonon a non seulement été sélectionnée dans le In mais il a également remporté le Prix du meilleur sculpteur. Cette prouesse nous conforte dans notre choix de travailler ensemble et d’avoir des objectifs communs.

Cinq ans après la biennale, vous vous retrouvez de nouveau à faire une résidence mais cette fois-ci avec un aîné. Dites-nous, comment est partie l’idée de cette résidence de création intitulée Kanxoxo nu ?

L’initiative est née en 2021. Nous nous sommes rendu compte qu’après la biennale de Dak’art en 2018, nous n’avons plus eu de résidence de création. Nous avons donc jugé opportun que le collectif se retrouve autour d’une nouvelle résidence. Mais cette fois-ci, nous nous sommes dit qu’il fallait associer quelqu’un qui pourrait nous apporter une plus-value. C’est ainsi que nous avons proposé une liste d’artistes à l’issue de laquelle, nous avons choisi de commun accord le doyen Ludovic Fadaïro.

Ludovic Fadaïro

Pourquoi Ludovic Fadaïro ?

Ce choix parce qu’il est celui qui correspond le mieux à nos aspirations. En plus d’être un artiste de renom, c’est également un enseignant qui a partagé son savoir dans de grandes écoles en Côte d’Ivoire, au Mali et dans d’autres pays du monde. Nous nous sommes alors dit qu’au-delà de son parcours artistique, l’on pouvait surfer sur ses atouts pédagogiques. Mais il faut avouer que c’était un choix aussi guidé par l’affinité. Depuis notre première exposition en 2018, il nous suivait et nous prodiguait des conseils. Du coup le choix était plutôt facile. Lorsque nous lui avons parlé de notre projet de résidence et de notre souhait de le faire avec lui, il n’a pas du tout hésité à nous donner son approbation. C’est ainsi qu’est née l’initiative Kanxoxo nu qui signifie c’est au bout de l’ancienne corde et que nous avons tiré de cet adage qui dit : « c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tresse la nouvelle ».  Ce thème pour résumer cette collaboration entre notre ainé Fadaïro qui représente ici l’ancienne corde et nous, jeunes artistes du collectif « Sac O Dos » qui incarnons la nouvelle.

De la gauche vers la droite Ludovic Fadaïro & Achille Adonon

Au-delà de cette collaboration entre ancienne et nouvelle génération, Kanxoxo nu s’inscrit dans quelle dynamique ?

Nous voulons aller à la rencontre de quelqu’un qui, pour nous, est un maître en raison de son parcours. Le connaitre, apprendre de lui. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a pas de thématique particulière. Au début on se disait que chacun ferait ce qu’il veut en termes de médium.  Mais très vite on a compris qu’il ne fallait pas s’imposer si nous voulons vraiment apprendre. A l’issue des échanges, Ludovic Fadaïro nous a suggéré d’explorer le même médium à savoir :  la peinture. Nous ne pouvions pas en ce laps de temps explorer plusieurs médiums.  Nous ne pouvions qu’aller à l’essentiel. On part à l’école d’un maître pour acquérir de nouvelles notions pouvant servir dans nos différents travaux.

Comment s’est passé cet apprentissage aux côtés de votre maître ?

L’apprentissage s’est passé dans une très bonne ambiance. Ludovic Fadaïro nous a beaucoup donné en peu de temps. En plus de nous assister sur l’aspect plastique à savoir l’harmonie des couleurs, la recherche du sujet etc., il a vraiment insisté sur le discours. Il nous a fait comprendre l’importance d’aller continuellement à la recherche de l’information pour ne pas rester figer et penser que nous détenons la vérité. « Il faut toujours creuser », répétait-il. L’artiste a besoin de connaitre les fondamentaux de sa discipline et, au-delà, avoir une culture générale qui lui permette d’aborder aisément divers thématiques dans son travail. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a invité pour nous plusieurs spécialistes avec qui nous avons échangé. Nous avons eu la chance d’échanger avec Philémon Hounkpatin, Docteur en Histoire de l’art et Zéphirin Daavo, muséologue et chargé de la recherche en anthropologie culturelle à l’Université d’Abomey-Calavi autour des thèmes : « Art contemporain d’Afrique : réalité, utopie ou continuité ? » et « Création artistique et vodoun au Bénin, quelle adéquation ? ». Nous avons également échangé autour de l’art divinatoire « Fâ » avec Gratien Ahouanmènou, journaliste et auteur du livre « Quelques clés d’Ifa » ainsi que le slameur Vodoun Amagbégnon.  Ces différentes discussions nous ont permis de nourrir davantage notre intellect.

Un mois hors de Cotonou nécessite des moyens. Avez-vous eu des apports financiers dans le cadre de cette résidence ?

Eric Mededa

Il est vrai qu’au départ nous étions seuls. De l’écriture du projet en passant par la communication jusqu’à la logistique, nous prenions nos dispositions pour le faire à nos propres frais. Mais par la suite, nous avons déposé le dossier dans diverses structures pour avoir des financements. C’est ainsi que nous avons eu l’accompagnement de l’Institut français du Bénin qui nous a financé à hauteur de 75% en ce qui concerne le volet résidence. Néanmoins nous avons eu d’autres partenaires sur le projet dont Steven Koffi Adjaï, un jeune historien de l’art qui était là depuis le début de la rédaction du projet jusqu’ à ce jour. Cyrille Gandaho, Directeur d’Atila Bénin qui nous accompagne pour l’encadrement des œuvres, Tognidaho Tometin pour la communication à travers son agence Dekartcom, Aurel Béhanzin pour le graphisme et Inès Fèliho, journaliste culturelle qui nous accompagne à travers des articles de presse depuis le début de « Sac O Dos » en 2018.

Vous êtes pratiquement à la fin de la résidence. Que retenez-vous ?

Je suis certes proche du maitre mais jamais je n’ai eu le privilège de passer autant de temps avec lui. Ces quelques jours passés avec lui ont certainement influencé ma pratique artistique. Il est possible que j’aie une influence du maitre. Ici, j’ai non seulement l’opportunité de travailler avec lui mais d’échanger aussi sur diverses notions. Je me rappelle qu’en 2020, j’ai réalisé des œuvres sur papier pendant le confinement et j’ai eu des retours selon lesquels, le travail ressemble à du Ludovic Fadaïro alors que ce n’est pas du tout fait exprès. La preuve, je n’étais même pas au Pays. Alors pour moi, cette résidence est une aubaine car elle me permettra peut-être d’arriver à manipuler la matière, les couleurs comme lui. Et si j’y arrive lors de cette résidence c’est que j’ai atteint mon objectif car pour moi, il est normal que l’élève prenne quelque chose de son maitre.

Réalisation : Inès Fèliho

Share and Enjoy !

0Shares
0 0

Comments are closed.

0Shares
0