Entretien avec Serge Zossou, artiste comédien et directeur du festival Gankéké

 « Si on ne se réveille pas, dans 5 ans  on dira qu’il n’existe plus de théâtre au Bénin »

Aujourd’hui, quand on  porte un regard  sur l’état de l’environnement théâtral du Bénin, on se rend compte qu’il est au plus mal. Dans une interview qu’il nous accordée le  dimanche 21 avril dernier, en son domicile à Porto- Novo,  l’artiste comédien et directeur du festival Gankéké, Serge Zossou a passé les  douleurs du théâtre béninois au peigne fin. Il en a profité pour inviter  toute la classe  de cette discipline culturelle à se réveiller  afin de la redynamiser.

Dekartcom.net: Bonjour M. Zossou, dites- nous comment se porte la famille du théâtre béninois ?
Serge Zossou : La famille théâtrale au Bénin ne vit pas de beaux  jours. Le milieu théâtral béninois est un petit milieu qui est aujourd’hui en proie à toutes les formes de maux. D’abord il n’y a pas d’opportunité. Ensuite, il n’y a pas travail et enfin  il n’y a pas de financement.

Vous  dites qu’il n’y a pas de financement, mais on entend toujours parler du  fonds d’aide à la culture, du  milliard culturel, du Pscc et bien d’autres ?
Il faut dire que quand on parle de fonds d’aide, le fonds d’aide n’est pas pour le théâtre. Il  englobe tout l’environnement de la culture béninoise. Je dis qu’il n’y a pas de financement parce que ce qu’on nous octroie n’est pas à la hauteur de ce nous faisons. Quand on vous donne un million pour créer un spectacle qui nécessite des décors, des  costumes,  des rémunérations des acteurs, la mobilisation des gens, je crois qu’on ne peut faire avec. C’est – à dire on ne va  pas le faire comme on l’aurait souhaité, faute de moyen.

Et  qu’est –ce que les artistes comédiens même font pour corriger cela ?
Dans un  pays qui se respecte,  un acteur ne peut pas jouer le rôle de producteur. Lui, il se contente de prêter son corps et sa voix à son personnage pour jouer. Il ne doit pas dépasser cela. Par rapport au travail qu’il fournit, il est rémunéré par le producteur. Mais on constate chez nous au Bénin, que le comédien est  en même temps le producteur, le metteur en scène, le  décorateur etc. Or chacun a son  rôle à jouer dans une création. C’est le manque de financement qui fait que l’acteur se transforme en producteur, le producteur en comédien et cela devient un foutou ; et c’est dangereux pour notre pays.  Le cadre qui régit  le métier de comédien n’est pas  encore tracé au Bénin. Et on en souffre éperdument.

Rejoignez- vous  votre collègue Fernand  Nouwligbèto  qui nous  a dit au cours d’un entretien que le théâtre béninois ne nourrit pas encore son homme ?
C’est heureux que Fernand Nouwligbèto que je respecte beaucoup ait  soutenu sa thèse de doctorat sur cette thématique là. Il a déjà   tiré la conclusion.  Le comédien béninois ne vit pas du théâtre. Il glane partout.  L’autre chose qu’il faut souligner, c’est que le cercle théâtral de notre pays est divisé en des clans. Des aînés ont érigés des clans un partout où on n’arrive plus à reconnaître les mérites des autres. On ne travaille qu’avec les gens de  son clan même si on est conscient que ceux-ci  n’ont pas toujours  les compétences requises. Or le théâtral est une affaire nationale, régionale voire internationale. Dans une création, on ne fait pas de distribution suivant l’amitié, suivant les sentiments. Mais on la  fait  selon  les compétences et les  capacités. M. le journaliste, je vous dis que c’est tout cela qui tue notre théâtral. C’est cela qui fait qu’on manque du professionnalisme dans notre théâtre. Tant que vous n’allez pas reconnaître à l’autre ses potentialités  et le solliciter en cas de besoin,  notre secteur demeurera tel qu’on le constate aujourd’hui. On est dans de l’amateurisme terrible.

Quelle exhortation avez- vous à l’endroit des uns et des autres pour sauver  le théâtre béninois?
Je dis d’abord que le théâtre du Bénin est pourri. Je le dis et je l’assume. Alors pour corriger tout cela, il faut  de l’humilité. Nous avons des potentialités que nous n’exploitons pas à cause de notre égo.  Regardez le FITHEB! Mais c’est dans l’ombre ! Le Burkina – Faso a pris le pas sur nous. Et la seule porte qui peut nous aider, c’est celle de l’humilité. Après, c’est  le travail, le travail bien fait. Voilà ce qu’il faut pour notre théâtre.

Entretien réalisé par Cader DENVER