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Théâtre : « Sœurs d’ange » ou l’exorcisme du système patriarcal

La paillote de l’Institut français du Bénin a accueilli dans la nuit du samedi 28 janvier 2023 à Cotonou la représentation de la pièce de théâtre « Sœurs d’ange ». Produit par Germes de Pensée, cette pièce déplore la condition de la femme et fait une remise à niveau quant à sa capacité de résilience.

Hanter le sommeil éternel d’un homme dont le simple souvenir suscite amertume et désarroi. Telle est la quête ultime qui va conduire trois coépouses à aller profaner la tombe de leur très cher époux : Monsieur Le. Pièce de théâtre écrite par l’auteure togolaise Afi Gbégbi, « Sœurs d’ange » peint la souffrance de milliers de femmes à travers l’histoire de trois coépouses victimes d’un système patriarcal où le destin de la femme se résume à se taire et subir. Outre l’émancipation, l’autonomisation, le féminisme, la liberté, la pièce aborde aussi la question de l’orientation sexuelle, un sujet encore très tabou en Afrique. Nicole Wida, Hérédia Hodonnou et Ilarie Amah ont évolué sur scène pour porter ce propos sous la direction artistique de la metteuse en scène et comédienne béninoise Mariame Darra.

 La scène s’ouvre sur un cimetière. On y découvre trois femmes fortes et déterminées en tenue d’apparat comme si elles allaient à la guerre. Armées de lanières, de sabres et de bâtons, elles sont là pour se venger de leur défunt mari. Tant leur amertume était grande qu’elles ont bravé les terreurs de la nuit pour s’aventurer dans ce cimetière afin d’y déverser leur colère. Objectif : se libérer définitivement d’un homme qui a été leur bourreau depuis leur tendre enfance et dont le souvenir hante toujours leur quotidien au point de les empêcher de vivre aisément. Une mission qui va s’avérer plus périlleuse qu’elles ne l’imaginaient, car entre les terreurs de la nuit, le doute, les secrets, les mensonges etc., elles seront véritablement éprouvées.

Arrachées à l’enfance, aux études, aux rêves et ambitions, elles ont été données en mariage à un homme autoritaire dénommé Monsieur Le. Un mari qui n’hésitait pas à les violer, les frapper ou pire les offrir à des amis haut placés en échange de services. Un homme horrible pour qui elles éprouvaient aussi un sentiment autre que la haine, car c’était bien leur mari malgré tout. Mais puisque sa mort ne semble pas mettre fin à leurs divers traumatismes, elles décident unanimement d’en finir. De 00h à 5h du matin, elles vont dire leur mal-être, se confesser, saccager sa tombe, l’insulter, se moquer avant de l’expédier de leurs souvenirs une fois pour de bon. Elles chantent, dansent, boivent, fument. Elles laissent tout simplement libre cours à leurs fantasmes les plus enfouis et n’hésitent pas à avouer leur implication dans sa mort.

En écho aux Agodjié – corps armé exclusivement composé de femmes guerrières – du royaume du Danxomè, le costume des comédiennes est un clin d’œil à la capacité de la femme à aller puiser au fond d’elle de la force lorsqu’elle est poussée dans ses derniers retranchements. C’est du moins ce que suggère la détermination de ces coépouses, car il n’est pas aisé de faire les murs d’un cimetière dans la nuit profonde. Comme pour ne pas indexer un peuple, les coépouses s’appellent respectivement femme 1, femme 2 et femme 3 selon l’ordre de leur union avec Monsieur Le, l’horrible époux. Mais l’on se doute bien que l’histoire se déroule dans une société africaine. Du costume en passant par les sentences, chants et danses jusqu’au rituel, tout est en résonance aux traditions du continent. Néanmoins, la question du viol, du mariage précoce, de la déscolarisation n’étant pas seulement inhérente au continent africain, l’on reconnait clairement le mal-être de nombreuses femmes du monde.

« Tu deviens ce que tu combats. »

Malgré ses crimes l’on est tout de même tenté d’être un peu compatissant à l’égard de Monsieur Le, car illustré comme la plus grande horreur que le monde ait jamais portée. S’appuyant sur l’enfer que leur a fait vivre leur défunt époux, les coépouses peignent le sexe mal comme bourreau et unique frein à l’épanouissement de la femme. « Arrachons entre les canines de ces cannibales notre indépendance. Retirons de l’intestin grêle entremêlé de ces vautours notre liberté coincée. Posons sur la tête de ces ignobles personnages notre domination » scandent-elles. La pièce interroge, en filigrane, les luttes et mouvements féministes qui parfois ont l’air d’une guerre contre le sexe opposé. Pourtant, dans ce flot d’accusations et de revendications aveuglées par la colère, va s’élever une voix plus sensée. « Tu deviens ce que tu combats », crie une des coépouses comme pour inviter ses sœurs au discernement.

Bien que les protagonistes finissent par arriver au bout du rituel et à exorciser leurs esprits malgré les épreuves, il est difficile pour le spectateur de sortir de cette représentation avec une idée claire dans la tête. On en sort plutôt bouleversé. Pour ce qui est du propos, « Sœurs d’ange » incarne bien la complexité du rapport entre l’homme et la femme dans une ère où des voix s’élèvent pour tenter d’établir un certain équilibre. La scénographie, le costume, les accessoires et le son, en l’occurrence le bruitage sont tant d’aspects techniques qui accrochent. Le rendu des comédiennes, quant au jeu d’acteur, manquait de prestance, car l’intonation comme la gestuelle des comédiennes vacillaient par moment à cette première représentation. Toutefois, cette pièce reste une belle proposition artistique qui suscite réflexions.

Interviewée à la fin de la pièce, Afi Gbégbi, auteure de « Sœurs d’ange » confie d’ailleurs que son but n’est pas d’apporter une solution toute faite aux problèmes, mais plutôt de susciter des interrogations afin que chacun poursuive la réflexion à son niveau et réécrive l’histoire, à sa manière, selon son vécu. Mariame Darra, quant à elle, s’inscrit dans une dynamique de sensibilisation autour de la question du genre. « Nous ne voulons pas calquer, ni orienter le regard sur une culture, ni donner des précisions pour que des personnes ne se sentent pas indexées. Nous sommes sur le rapport entre la femme et l’homme » justifie la metteuse en scène.

À noter qu’il est peut-être temps d’arrêter de présenter la femme comme la victime qu’il faut sauver et lui accorder plus de crédit quant à sa capacité de résilience. Disposant de toutes les capacités pour s’affranchir de l’oppression d’un système machiste, des initiatives pouvant l’inciter à prendre conscience de sa valeur seraient la bienvenue.

Inès Fèliho

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