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Spectacle Incinérés : Feu pour feu et l’esprit triomphe !

Le vendredi 25 et le samedi 26 février 2022, l’Institut Français de Cotonou a accueilli la représentation de la pièce Incinérés, une écriture de Jérôme Tossavi dans une mise en scène de Dine Alougbine, Directeur de l’Ecole Internationale de Théâtre du Bénin (Eitb). Le projet d’écriture et de mise en scène est une commande de l’Ambassadeur de la France près le Bénin Monsieur Marc Vizy qui a souhaité que cette restitution des trésors royaux au Bénin par la France soit aussi marquée par une création théâtrale. Ce chantier dramaturgique est ainsi né de cette volonté manifeste de faire parler les œuvres sur scène. Jérôme Tossavi et Dine Alougbine avec l’appui de la troupe permanente de l’Eitb ont réussi le challenge de cette création aux dires de l’Ambassadeur.

La fable nous renvoie à l’historique chute de Danxomè. Au lendemainde la défaite, Alfred Dodds, Général des armées du roi de France, va piller le palais royaume et partira de la terre de Gbêhanzin avec des humains et des objets précieux. En France, dans son intimité familiale, ces objets vont commencer par lui peser lourdement sur les épaules. Il est hanté. Il décide de s’en débarrasser et fit appel à un collectionneur. Au moment de la livraison, il est carrément impossible de soulever la caisse contenant les trésors royaux. Sa maison en feu, des voix s’élèvent contre les deux, le donateur et le récepteur. Alfred Dodds dépassé, tire comme un bon soldat à bout portant sur cette caisse de malheurs. Les objets s’éclatent pour se retrouver dans les musées. Point de quiétude pour les sentinelles de l’un des musées agités par l’invisible. Victor,l’un des gardiens, en devient fou, déraisonne et finit par se suicider, son remplaçant subit le même traumatisme. Le conservateur du musée décide d’en découdre avec ces objets rebelles. Il les brûle. Mais dans la braise, leurs voix s’élèvent.

Dans ce spectacle, deux univers s’affrontent et se combattent : le visible et l’invisible. Le matériel affronte l’immatériel. Ce combat se déroule avec une seule et unique arme utilisée par les deux camps : le feu. Pourtant, le feu ne brûle pas l’esprit. Il faut voir le feu dont il est question ici sous deux angles pour mieux comprendre le spectacle. Le feu matériel (flamme) et le feu immatériel (colère). De cette double perception découle les enjeux et les actions des deux camps : celui des choses et des êtres ; le camp des trésors royaux et le camp de Dodds, du collectionneur et des conservateurs de musée.

Déjà chez Dodds, les trésors royaux insufflent la violence psychologique et la torture morale en prenant en otage la paix intérieure de Dodds et de sa famille.Le feu immatériel est ainsi à l’œuvre. Dans son sommeil comme dans son réveil, il est pourchassé par les objets. Possédé, il est hanté et perturbé au quotidien. Poursuivi, il utilise son arme à feu pensant être à bout de son malheur, erreur totale, le feu ne brûle pas l’esprit. Dans le musée, la dynamique de lutte qui oppose les deux types de feu se répète. Les trésors royaux se rassemblent, discutent et décident de combattre jusqu’au bout. Ils adoptent la même démarche de la violence psychologique : le gardien Victor entend des voix, possédé, il entre en transe, il en devient fou, il se suicide, son remplaçant est envahi par des silhouettes, le musée est agité, le conservateur préfère la braise et au fond du brasier, des voix s’élèvent toujours. Les trésors royaux ne cèdent pas au feu, ils lui résistent.

Cette résistance au feu matériel expose la pugnacité des trésors royaux qui se défendent contre l’oppresseur, le tyran et le mercantile colon, détenteur de l’arme à feu. Dans un combat, les objets sont souvent tributaires de la décision des humains à cause de leur inertie. Dans ce spectacle, l’inertie décide, agit et gagne là où la parole des humains échoue lamentablement. Les nombreux discours, les pourparlers entre les citoyens français et béninois n’ont peut-être pas eu assez d’effets là où l’action des objets sacrés prit le dessus. L’auteur l’a compris. « La personnification devient un outil de travail pour moi dans mes constructions dramatiques. Dans la pièce Démocratie chez les grenouilles comme dans Incinérés, je prête la voix à des choses inertes qui peuplent notre intimité. » nous confie le dramaturge Jérôme Tossavi.

Bruits, tintamarres, perturbations psychologiques, troubles et tumultes, tout est mis à contribution dans l’esprit des hommes pour provoquer une décision en faveur des trésors royaux. La rébellion portée par les trésors royaux se passe avec des humains, des corps d’acteurs prêtent leurs voix, leurs mouvements, leurs faits et gestes aux choses. Le metteur en scène en adoptant cette démarche convoque une harmonieuse collaboration entre les entités. Dans la démarche de création de Dine Alougbine, il n’y a pas d’opposition entre les déités et les humanités. Il y a plutôt une ambiance conviviale qui se dessine dans cette orchestration de spectacle total. Là où Birago Diop nous propose d’écouter les choses que les êtres, Dine Alougbine nous ordonne d’écouter les choses et les êtres. Le salut de l’humanité découle de cette écoute attentive de ces deux entités simultanément. Les choses ont leur humanité autant que les êtres. Nul ne doit être ignoré au détriment de l’autre.

Que représente l’esprit qui anime un être ? Que représente l’esprit qui anime une chose ? L’être peut être réduit en poussière, et les choses ? Surtout les choses sacrées ? Ont-ils une âme surnaturellement supérieure à l’être qui les consacre ? Voilà des questionnements auxquels Dine Alougbine nous convoque.

L’on pourrait penser que cette représentation est encombrée par les multiples choix opérés pour assaisonner le spectacle mais il est assez aéré pour ne pas ennuyer. Le choix de 26 acteurs sur scène se justifie par les 26 trésors royaux seulement qu’il y a des acteurs qui encombrent et dont on pourrait se passer. Il faudrait peut-être raffermir le jeu de certains acteurs qui n’étaient pas au rendez-vous de l’émotion à transmettre. Théâtre d’ombre, théâtre de marionnettes, théâtre d’acteur, arts plastiques, panégyriques et paroles incantatoires, danses profanes et sacrées, chants, contes, musique live et courses poursuites, la mixture scénique donne vie aux êtres et résurrection aux choses.

Paterne Djidéwou TCHAOU

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