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Isis-Antigone ou la tragédie des corps dispersés : Au commencement était le corps.

L’amphithéâtre Houdégbé de l’Université d’Abomey-Calavi, l’Ecole Internationale de Théâtre du Bénin et Artisttik Africa, voilà les trois espaces qui ont accueilli respectivement le 22, 23 et 24 février 2023 le spectacle Isis-Antigone ou la tragédie des corps dispersés, une écriture de Kossi Efoui dans une mise en scène de Gaétan Noussouglo et Marcel Djondo. Ce spectacle distribue des comédiens d’horizons divers : Bénin, Burkina Faso et Togo : Florisse Adjanohoun, Odile Sankara, Béno Kokou Sanvee, Eustache Kamouna, Annani Gbétéglo.

La question du corps est une préoccupation esthétique qui ne tarit point. D’hier à aujourd’hui et jusqu’à demain, auteurs et créateurs ne pourraient pas épuisés le sujet. Mais le traitement que cette représentation offre permet au corps et à l’esprit de conjuguer une unité pour perturber l’ordre sociétal.

La fable de la pièce s’appuie sur une troupe qui explore l’univers du jeu africain, univers composé de chants, danses et théâtres. Une troupe qui a fait le tour du monde et qui a tout joué semble-t-il. Le spectacle est une séance de répétition à laquelle assiste un maestro qui fait office de metteur en scène et qui décident des textes à jouer et des options de mise en scène à adopter. Chaque acteur de la répétition prend chaque fois un rôle dans les pièces tragiques antiques comme dans les tragédies contemporaines où le corps est sujet à souffrance et à tension. La polémique autour du corps mort est le sujet principal de la tension dramatique : le corps de Polynice, le corps d’Osiris et les portés disparus dont les corps sont dispersés.

Dans cette représentation, il y a trois types de corps que l’on aperçoit : les corps bourreaux, les corps victimes et les corps hantés. Les corps bourreaux sont ceux qui sont porteurs de l’oppression. Investis d’un pouvoir, ils décident de la vie et de la mort des autres : Créon, Seth et les autres assassins du monde contemporain. Parmi les corps victimes, nous avons : Polynice, Osiris, et les autres corps dispersés victimes d’assassinats ou portés disparus. Les corps hantés sont ici en double facette : les corps qui souhaitent enterrer leurs proches (Isis, Antigone) pour honorer leur mémoire et ceux qui veulent faire disparaître à jamais les corps ou les restes des victimes.

La relation Isis et Seth, Antigone et Créon ; permet d’appréhender le conflit entre l’ordre et le désordre, l’arbitraire et la justice. Les corps de Polynice et d’Osiris permettent d’appréhender et d’approfondir la question de l’importance de la sépulture pour les disparus et les corps dispersés. L’inhumation du corps de Polynice oppose Antigone à Créon. Isis va à la recherche du corps de son frère Osiris. Cette quête permanente des disparus ou ce désir d’offrir une sépulture aux restes des corps est une préoccupation psychologique, sociologique, spirituelle qui revêt un caractère esthétique dans le traitement du spectacle car comme les acteurs le répètent sporadiquement : « Si on ne donne pas une sépulture aux morts, ils restent là à hanter les vivants et les vivants n’auront pas de paix et la confusion n’aura pas de fin. »

La hantise des corps, des spectres est bien traitée dans le spectacle par le choix des costumes de fantômes, le jeu des ombres chinoises au mur assuré par la lumière et certaines notes musicales acoustiques assurées par la kora, la guitare, les percussions ou la saxophone. À première vue, l’on pourrait penser que ces instruments musicaux et d’autres éléments du décor sont encombrants mais au fil des actions, l’on se rend compte que ces outils de la scénographie sont indispensables dans la magie de ce spectacle dont les compartiments sont découpés, démembrés comme un corps dispersé dont un seul élément est susceptible de rallier les autres : il a fallu la seule dent de Patrice LUMUMBA pour l’apaiser, apaiser sa famille et ses populations. Une seule dent pour faire le retour sur tout le corps. C’est autant dire que le cheveu, le poil, l’ongle et les autres micros sous-éléments, les indices corporels les plus insignifiants du corps sont porteurs du corps en général et de l’identité d’une personne. Ce spectacle est une forêt de symboles qui soulève de profonds questionnements relatifs à l’enveloppe corporelle et à son devenir.

L’exercice d’inhumation qui consacre une fosse commune ou un cercueil commun aux corps morts possède une valeur d’apaisement pour les morts et fonctionne comme une séance d’exorcisme populaire pour la société. C’est l’achèvement du combat entre la lumière et les ténèbres, entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort, des mondes séparés au commencement par le Divin Créateur.

Paterne Djidéwou TCHAOU

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