(Le ministre Jean-Michel Abimbola augmente 300 millions FCFA, le DFAC Blaise Tchétchao déterminé à établir la transparence autour de sa gestion)
Un milliard de francs Cfa : c’est l’argent que donne, chaque année, l’Etat béninois à ses artistes pour appuyer leurs divers projets. Connu sous le nom du milliard culturel, ce fonds constitue, depuis sa venue en 2008, un sujet de vives et fréquentes controverses au sein des professionnels de l’art au Bénin. Musiciens, comédiens, plasticiens, écrivains et sculpteurs se déchirent autour de ce fonds destiné à l’amélioration de leurs conditions de travail.
« Si ce milliard culturel existe réellement, c’est bon ! Mais, je ne crois pas ». Ces propos affichant le doute sur l’existence du milliard culturel sont de Sophie Mètinhoué, artiste comédienne béninoise, responsable de la ligue africaine des professionnels de théâtre – Bénin, (Lapro – Théâtre Bénin). Est – ce de l’ironie ? On ne saurait le dire car au cours de l’interview qu’elle nous a accordée sur le sujet à l’Institut français de Cotonou, il y a à peu près trois mois, elle semble être sûre de ses propos. « Je vous dis que je ne crois pas en l’existence de ce fonds », a-t-elle martelé. « D’ailleurs, s’il existait, est-ce que ce sont les artistes mêmes, c’est – à – dire ceux- là qui travaillent quotidiennement qui en bénéficient ? », s’est –elle demandé. Non, va répondre, quelques jours plus tard, dans le même local, Fidèle Anato, un autre comédien béninois. Contrairement à Sophie Mètinhoué, celui-ci pense que le milliard culturel est une réalité. En d’autres termes, Fidèle Anato a la certitude que l’Etat béninois octroie réellement ce fonds, chaque année, à ses artistes. C’est la gestion qu’on en fait qui n’est pas saine, a-t-il regretté. Pour le célèbre comédien du pays d’Angélique Kidjo, les artistes, les vrais ne sont pas bénéficiaires de ce fonds. « Ce sont des groupuscules d’individus, révèle-t-il, qui en jouissent.» « Et dans leur lot, poursuit Fidèle Anato, il n’y a même pas des artistes. » « Ce sont des individus de tout genre que les meneurs de ces groupuscules rassemblent afin d’obtenir cette aide de l’Etat, a-t-il démontré avant de montrer du doigt les administrateurs du Fonds d’aide à la culture comme principaux auteurs des problèmes du FAC. Il sera appuyé par Mathieu Koko, un comédien résidant à Porto- Novo. Pour ce dernier, le problème du Fonds d’aide à la culture n’est ni le directeur, ni les fonctionnaires de l’institution mais les administrateurs qui sont pourtant des artistes. Dépassé par les manœuvres secrètes et déloyales qui s’opèrent autour de ce fonds, Mathieu Koko a suggéré sa suppression pure et simple pour une relecture du système d’attribution. La déception au niveau de la ‘’distribution’’ du milliard culturel, note-t-on, n’est pas seulement dans le rang des comédiens. Les artistes compositeurs chanteurs vivent également la même situation. Blaaz, le rappeur le plus en vue au Bénin n’a pas caché son indignation. Le chouchou des fans du rap béninois dévoile que ce sont les mêmes personnes qui prennent tous les ans de l’argent au fonds. « C’est toujours leurs boulots qui sont de qualité,a-t-il ironisé avant de signaler qu’avec ou sans le milliard culturel, sa musique évolue. Il en est de même pour un ténor de la musique traditionnelle vivant à Abomey. Ce dernier qui a voulu requérir l’anonymat a estimé que cet argent est au profit d’une minorité. Il va plus loin et indique que parfois les bénéficiaires sont connus avant le lancement de l’appel à candidature. Au regard de cette situation non encourageante, Eustache Houénagnon, bien qu’ayant le désir de bénéficier de cette aide traine encore les pas pour déposer son dossier. Joint, en discussion instantanée sur facebook, il a fait remarquer qu’il n’a jamais postulé. Et la raison fondamentale, c’est qu’il a peur de tout ce qui s’y passe au sommet. Il n’est pas le seul à tourner dos au milliard culturel, pour le moment, à cause des machinations des dirigeants. Syl.Pâris.Kouton, artiste plasticien vivant dans la capitale l’a aussi fait savoir. Joint au téléphone, il déclare : « Je n’ai jamais reçu 1 FCFA du fonds d’aide. Tu m’as trouvé le tuyau ? » Et plus loin, il poursuit : « J’ai encore sur moi leur formulaire, il y a des années. Ce que je n’ai jamais rempli. J’ai des potes qui sont là en décideurs ». Même son de cloche chez Simonet Biokou, sculpteur-forgeron résidant également à Porto-Novo. C’est donc une évidence que les destinations du milliard culturel laissent à réfléchir. Cependant tout n’est pas sombre.
Des artistes bénéficiaires témoignent:
Hermas Gbaguidi, metteur en scène et scénographe béninois n’a pas caché qu’il en a été bénéficiaire. Le grand homme du théâtre béninois communément appelé Dah a indiqué que le fonds, indubitablement, existe et ce sont les artistes béninois qui en jouissent. Pour celui-ci, seuls ceux dont les dossiers, pour diverses raisons conformément aux normes requises, ne sont pas retenus qui peuvent crier que le fonds n’existe pas. Selon ses explications, il n’y a aucun doute sur l’existence et même l’attribution du milliard culturel. Les écrivains Fernand Nouwligbèto et Adélaïde Fassinou Allagbada ont également bénéficié de l’aide du FAC. Le premier en fait cas à l’occasion de la publication de son roman intitulé : La foudre sous scellé. Il en est de même pour la seconde. Adélaïde Fassinou Allagbada qui avoue avoir pris un million de francs Cfa pour la publication de l’un de ses romans. Zomandokokpon, artiste-compositeur et chanteur de la musique traditionnelle a également apporté son témoignage par rapport au milliard culturel. Le chouchou des Wémènou déclare avoir pris en 2010 la bagatelle d’un million cinq cent mille (1.500.000) de francs Cfa pour sortir son premier album. Rico’s Campos, pour sa part, a déjà reçu deux fois l’aide de l’institution de Blaise Tchétchao. Il y a environ 5 ans, le chanteur natif de Porto-Novo avait bénéficié d’un million (1.000.000) de francs Cfa pour le lancement de l’un de ses albums. En 2013, il l’a encore eu. Pour son dernier chef d’œuvre qui lui a coûté près de dix millions, le FAC lui est venu au secours à hauteur de cinq cent mille (500.000) francs Cfa. Tout comme ces artistes et écrivains, bien d’autres acteurs du monde culturel béninois ont aussi profité du milliard culturel.
Le milliard culturel s’accroit d’au moins 300 millions de francs Cfa dans le budget de 2014
De passage, le lundi 18 novembre dernier devant la commission budgétaire de l’Assemblée nationale pour présenter le budget de son département ministériel, gestion 2014, le ministre de la culture, Jean- Michel Abimbola a annoncé l’augmentation du milliard culturel. Le gouvernement a prévu ajouter au minimum trois cent millions de francs Cfa à la traditionnelle bagatelle d’un milliard de francs Cfa. Pour lui, cette augmentation traduit une fois encore la résolution de l’équipe que dirige le président Boni Yayi de prendre en compte toutes les préoccupations des artistes. Se confiant à la presse après sa présentation, il déclare à propos du milliard culturel : « Vous savez, le milliard culturel, beaucoup de pays nous l’envient. Il n’y a pas si longtemps, j’ai accueilli un collègue d’un autre pays qui nous demandait comment nous avions réussi et comment nous pouvions les accompagner pour mettre progressivement en place ce mécanisme. Il est prévu pour l’année 2014, une augmentation du milliard culturel et je peux vous dire que cela sera au minimum de 300 millions de francs cfa supplémentaires par rapport à ce que nous avions jusqu’à présent. Vous voyez donc que tous les volets ont été pris en compte et je crois même s’il n’est pas encore temps pour les artistes de se réjouir et d’applaudir. Je pense qu’ils sont un peu rassurés parce que c’est le début de la prise en compte de toutes les préoccupations depuis plusieurs années ».
Esckil AGBO
Le DFAC Blaise Tchétchao à propos de la polémique autour du milliard culturel:« Ceux qui n’en ont pas reçu aujourd’hui peuvent dire que c’est à cause de la mafia »
Approché au sujet de la polémique autour du milliard culturel, le directeur du Fonds d’aide à la culture, Blaise Tchétchao n’a pas caché son point de vue. Pour lui, tous les artistes ne peuvent pas bénéficier de cet argent.
Dekartcom.net : De quoi retourne le milliard culturel ?
Blaise Tchétchao : Il faut dire que le Fonds d’aide à la culture a été créé en 1992 après les états généraux de la culture. C’était dénommé Fonds d’aide à la culture et aux loisirs par le décret 92- 242 du 24 août 1992 à la suite de la promulgation de la charte culturelle. Les fonds variaient entre 30 millions et 300 millions FCFA. Et cela finançait spécifiquement les activités de musique. C’est à l’arrivée du chef de l’Etat, le docteur Thomas Boni Yayi (que je remercie au nom des artistes) qu’en 2008, il a décidé de mettre en place le milliard culturel géré par la même structure qui est finalement devenue Fonds d’aide à la culture. Le milliard a ainsi commencé à servir tous les projets culturels. Depuis cinq ans que ce milliard culturel existe, c’est vrai qu’une évaluation n’a pas été faite. Mais dès mon arrivée, j’ai fait une évaluation et j’ai sorti des statistiques. Pour ce que nous pouvons retenir de 2013, pour le seul milliard, la demande est de treize milliards. Cela voudra dire que la demande est forte. Pour notre deuxième session tenue le 08 août dernier, pour la musique seule, nous avons reçu plus de trois cent dossiers. Quand les dossiers viennent, nous les convoyons vers les experts et par la suite, on les met sur la table du conseil d’administration qui statue. Les ressources ne sont pas extensibles. Les ressources sont fixes et le milliard culturel, ce n’est pas seulement distribué pour les initiatives individuelles. Il y a ce que nous appelons les gros projets, les projets fédérateurs, les projets d’associations où des gens demandent jusqu’à 50 millions parfois 100 millions. En tout cas, il y a des limites que nous ne pouvons pas dépasser. Le gros lot du budget se retrouve au niveau des gros projets naturellement. Et à peu près 20% reviennent au niveau des initiatives individuelles. Nous avons des artistes qui s’auto-produisent. C’est lui-même qui est le producteur, le manager et c’est lui-même qui vend ses CD. Avec cela quand est-ce qu’il aura le temps de faire des choses de qualité.
Est-ce que la vision du chef de l’Etat, en créant ce fonds, est atteinte ?
Je dirai oui. Ceci parce que le bébé est né. Il va grandir et à la fin il va murir. Les gens avaient besoin du milliard culturel. Et c’est ce qui justifie le foisonnement de la créativité. Et dans ce foisonnement, il nous arrive d’avoir de la qualité. Donc, le chef de l’Etat a bien fait de créer ce fonds au profit des artistes de son pays.
Mais, parait-il que c’est un groupuscule d’individus qui bénéficie de cet argent chaque année ?
Un milliard de francs Cfa.(Il sourit). Mais les artistes bénéficient de ce fonds ! L’année dernière, j’ai eu la chance de présider le conseil d’administration. Mais ce ne sont pas tous les artistes qui vont en bénéficier ! Ceux qui n’en ont pas reçu aujourd’hui peuvent dire que c’est à cause de la mafia. Chacun s’auto évalue et se dit qu’il a fait du bon travail. Mais après, il y a le comité des experts et puis après, il y a le conseil d’administration. Le milliard culturel revient aux acteurs culturels. Je vous le dis sincèrement.
Le mal de ce fonds, ont martelé certains artistes, ce sont les administrateurs. Qu’en est- il en réalité, M. le directeur ?
Les administrateurs du Fonds d’aide à la culture, ce sont les artistes même qui les élisent. Les administrateurs sont issus des associations en majorité. Les artistes peuvent se revoir en association s’ils pensent qu’il y a des problèmes ! Ce sont eux qui ont choisi les administrateurs. Ce n’est pas nous. Ce que je peux vous dire, moi je suis contrôleur de gestion de base et les procédures seront mises en place pour que tout soit transparent depuis la réception des dossiers jusqu’à la gestion. Nous allons voir si le comité d’experts est en train de faire réellement son travail. Les experts sont au nombre de trois par domaine, et c’est l’innovation qu’on a eue sous le ministre Jean- Michel Abimbola. Avant, ce n’était pas ça. Ainsi, avons-nous trois différentes notes. Si un expert donne 18 par exemple, un autre donne 3 au même dossier et le troisième expert donne 10, c’est qu’il y a un problème. Mais si les notes au niveau des trois experts sont comprises, entre 18, 17 et 15, cela montre qu’il s’agit d’un bon produit. Nous sommes au Bénin et tout peut arriver. Le ministre Jean – Michel Abimbola, quand il est arrivé, a dit si cela ne va pas, il ira aux réformes. Je serai dans toutes les localités, j’écouterai les préoccupations des artistes et je vais les rassurer. Moi, au-delà du seul milliard culturel, je veux avoir d’autres ressources. Et pour l’avoir, il faut que je puisse démontrer que j’ai une saine gestion. Et c’est à cela que je m’adonne. Certains disent que je n’ai pas la baguette magique. ça c’est vrai ! Mais je suis musicien moi aussi. Je n’ai, peut-être, pas sorti d’album mais je connais le monde culturel. J’ai fait le show-business. Donc, je connais les problèmes du secteur. Je crois que nous trouverons des solutions. Ce n’est pas seulement en sortant de l’argent mais par des partenariats. C’est ce que je veux faire au niveau du Fonds d’aide à la culture. Mais, pour l’heure, je suis en train de faire les diagnostics. Je suis en train d’aller sur les terrains. J’écoute tous les acteurs.
Monsieur le directeur, je prends par exemple Alèkpéhanhou qui est bien connu et un jeune qui fait également du zinli. Les deux ont déposé leurs dossiers qui ne souffrent de rien. Les deux dossiers sont de qualité et il ne faut que choisir un. Qui des deux allez-vous prendre : l’ancien ou le jeune ?
On ne parlera pas en termes de génération mais en termes de qualité du produit.
Oui M. le directeur, j’ai dit que chacun des deux a présenté un produit irréprochable
Quand c’est comme ça, les gens vont naturellement aux saupoudrages. Puisque les ressources sont limitées et la demande est forte, les gens vont aux saupoudrages. Avant, on donnait parfois deux millions à des artistes pour réaliser un album. Mais, aujourd’hui, avec le fort taux de la demande, il n’y a rien à faire, les gens vont aux saupoudrages. Je ne voudrais pas qu’on dise que certains sont prioritaires. Ils déposent tous et cela passe ou ne passe pas. Maintenant si quelqu’un reçoit parce qu’il est bon tous les ans, ce n’est pas un abonnement ! C’est un fonds pour l’appuyer. Si c’est la même personne qui va recevoir chaque fois parce qu’il est bon, je suis désolé ! L’administration peut dire ce dossier a eu 18 partout mais l’année dernière, il a été bénéficiaire. Donnons la chance à quelqu’un d’autre.
Est- ce qu’il y a après réception, un suivi de la gestion de l’artiste bénéficiaire?
Pour les initiatives individuelles, nous avons subventionné par exemple 150 artistes. Nous ne pouvons pas dire qu’on va les suivre un à un au studio. Mais quand vous finissez, vous nous produisez l’œuvre. C’est un critère de suivi pour les gens qui réalisent des albums. Nous avons un service de suivi – évaluation.
Qu’en est- il des dossiers ?
Je vous dis que sur six cents dossiers, par exemple, nous avons trois cents qui concernent la musique. Le milliard culturel ne suffit même pas. Nous allons nous battre pour avoir d’autres ressources. Nous allons nous battre pour avoir des partenaires financiers et même ceux qui vont nous apporter des choses en nature qui vont arranger les artistes. Nous sommes là pour travailler dans la transparence. Et tout ce que nous devons initier serait fait avec les artistes. Notre vision n’est pas différente de celle du chef de l’Etat. Je ferai tout pour que les artistes reprennent confiance par rapport aux actions que nous devons mener. Nous avons besoin de communiquer avec les artistes.
Un mot pour mettre fin à l’entretien
Je vous dis, cher journaliste, qu’au Fonds d’aide tout est établi. Le budget est élaboré avant qu’on ne démarre l’année. Si on envoie une lettre d’invitation à un artiste pour voyager, par exemple, et il vient spontanément pour demander une aide, je vous l’avoue : vous ne pouvez pas bénéficier. Il n’y a pas de fonds d’imprévus. Tous les fonds sont prévus au Fonds d’aide à la culture. Le programme d’activités est là et on le déroule. Ce que je veux dire, je suis là aujourd’hui, les gens n’ont qu’à être rassurés. Nous ne pouvons pas faire des réformes sans l’implication des acteurs culturels.
Entretien réalisé par Esckil AGBO
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