Professeur Pierre Mèdéhouegnon : « On peut réussir le FITHEB avec peu de moyens.»

 Le Professeur de théâtre et Chef du département des Arts à l’Université d’Abomey – Calavi aborde, dans cet entretien accordé à dekartcom les questions relatives au théâtre béninois.  Il s’est aussi prononcé sur la douzième édition du FITHEB qui, depuis le samedi 06 décembre passé bat le plein.

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Dekartcom : Le FITHEB fête cette année ses  24 ans d’existence et est en pleine célébration de la 12ème édition. Un regard rétrospectif sur les éditions antérieures.

Pierre Médéhouégnon : Un regard rétrospectif sur les éditions antérieures? J’ai assisté à plusieurs éditions du FITHEB qui étaient bien organisées. A chaque édition le directeur en charge du festival faisait tout pour bien l’organiser en lui donnant un nouveau visage. Mais pour chaque édition j’ai noté qu’il y avait toujours un problème lié au budget. En son temps, 200 voire 300 millions étaient consacrés au budget du FITHEB, cependant ce budget reste toujours insuffisant.

On dit du FITHEB, le grand festival de théâtre d’Afrique.   Comment trouvez- vous ce qualificatif, peut- on  le comparer  par exemple au FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma d’Ouagadougou) si son budget alloué  se révèle à chaque édition insuffisant?

Le FESPACO est un grand festival de cinéma qui ne doit pas être comparé au FITHEB, les deux festivals n’ont pas la même nature ni la même envergure. Le FESPACO est un festival qui réunit beaucoup de monde, et ce festival est entièrement financé par la Francophonie, alors que le FITHEB est financé par l’Etat béninois. On peut comparer le FITHEB au MASA (Marché des Arts du Spectacle Africain). Je ne suis pas dans l’organisation du FITHEB mais je pense qu’on peut réussir le FITHEB avec peu de moyens. Il faut réduire les dépenses en fonction du budget, il faut revoir le nombre de troupes, loger les invités modestement, revoir le programme.

La douzième édition se déroule du 6 au 14 décembre, que préconisez-vous pour  sa  réussite parfaite?

Je n’ai rien à préconiser, mais je souhaite que les spectacles soient de bonne facture ou d’une bonne qualité. Il faut que le FITHEB se rapproche plus du public.

Avez – vous un mot à l’endroit  des organisateurs du Fitheb 2014, notamment au directeur  Ousmane Alédji ?

Ousmane Alédji est un bon comédien, un bon metteur en scène, un bon dramaturge. Il est un homme ambitieux qui travaille, je l’apprécie bien. On n’a pas besoin d’avoir beaucoup de diplômes avant de bien faire son travail. Je l’encourage.

 

Dans Repères pour comprendre la littérature béninoise, vous avez fait le point du «Théâtre béninois des années 2000 : Une dramaturgie en quête de repères?». Quel est l’état des lieux actuel du théâtre ?

Le théâtre béninois a connu une explosion en quantité et en qualité, à partir de la conférence nationale et de la charte culturelle au moyen de laquelle le gouvernement béninois a encouragé les créations artistiques et culturelles de tous genres. Cela s’est traduit par la multiplication des troupes théâtrales de diverses tendances,  et par l’émergence de plusieurs auteurs qui ont publié des pièces de théâtre. A partir des années 2000, il y a eu un tassement. Les spectacles des troupes diminuent en nombre et les créateurs dramatiques aussi.Ceux qui résistent parmi eux sont quelques metteurs en scène et quelques directeurs de troupes. Ce sont ceux –là qui recherchent plutôt la qualité. On peut citer à ce propos ce que fait par exemple Alougbine Dine avec sa troupe théâtrale, ce que fait Ousmane Alédji l’actuel directeur du FITHEB avec sa troupe théâtrale. Aujourd’hui le nombre des troupes de théâtre d’art diminue, et est relayé plutôt par une sorte de multiplication des troupes de spectacles populaires, surtout en langues nationales (fon, goun). Nous avons des troupes comme la Compagnie Semako Wobaho, la Compagnie Dah Badou…

Fort heureusement, il y a de plus en plus de jeunes dramaturges qui émergent et qui publient des pièces de théâtre qui sont inspirées des types de créations de l’Europe ou des grands dramaturges africains comme Sony Labou Tansi. Il faut saluer ce que fait le concours «Plumes Dorées» qui a déjà fait la promotion de trois voire quatre générations de jeunes auteurs dramatiques, et à chaque fois que le concours est réservé au théâtre, il y a cinq dramaturges, parfois sept qui sont primés. «Plumes Dorées» fait aussi la promotion des jeunes femmes, auteurs dramatiques. En dehors de cela,  il y a quelques jeunes dramaturges issus du Département de Lettres Modernes qui écrivent, comme Fernand Nouwligbeto, Florent Eustache Hessou, Hermas Gbaguidi, Daté Atavito Barnabé-Akayi. En résumé, le théâtre par rapport à la période 1990 à 2000 est dans une phase de tassement quand on considère les activités des troupes, en dehors des troupes de spectacles populaires. Mais par rapport aux pièces écrites publiées, il y a l’émergence d’une relève de qualité, portée par de jeunes auteurs qui s’inspirent des réalitéssociopolitiques et culturelles de  leur environnement pour créer des œuvres sur des thèmes d’actualités parfois osés comme: l’homosexualité, les relations intimes entre élèves et professeurs, la satire des nouveaux pouvoirs politiques.

Quels sont les réels problèmes dont souffre le théâtre béninois? Que faire pour les résoudre?

Le théâtre béninois souffre d’un problème lié au public. Au cours des festivals le public béninois ne sort pas pour suivre les spectacles. On a un public restreint, composé des journalistes culturels (envoyés par leurs directeurs de publication ou chefs de rubrique), des acteurs culturels et d’un nombre infime de spectateurs. Il y a la nouvelle forme de théâtre qu’on note chez la Compagnie de Sèmako Wobaho. La compagnie propose des spectacles qui sont gravés sur des supports VCD et DVD. C’est une nouvelle forme de spectacles qui attirent le public des quartiers populaires. Chaque famille se rassemble autour de la télévision pour regarder ces images sur DVD. Mais la question pose un problème de terminologie. Peut-on appeler cette forme de théâtre du théâtre? Je parlerai plutôt de spectacle. Avec cette nouvelle forme, la population béninoise ne se déplace plus pour suivre les spectacles, elle se contente des images sur DVD pour se distraire. Ainsi, les salles de spectacles sont fermées. Au Bénin le théâtre ne draine pas autant de monde que la musique. Je n’ai pas la solution qu’il faut pour résoudre ce problème.

Réalisation : Inès MISSAINHOUN (Stg)