Entretien avec le marionnettiste nigérien Cheik Amadou Kotondi : « Le Bénin dispose d’atouts culturels qu’il n’exploite pas et c’est déplorable»

Le Bénin possède nombre de potentiels culturels qu’il n’utilise pas: voilà l’essentiel à retenir de l’entretien que nous a accordé le président de la Commission Afrique de l’Union Internationale de la Marionnette, le Nigérien Cheik Amadou Kotondi à la maison internationale de la culture de Porto- Novo le jeudi 18 avril 2013. Il était venu au Bénin pour soutenir ses collègues marionnettistes notamment Jude Zounmènou dans le cadre de la quatrième édition du festival Téni- Tédji.

 

Dekartcom.net: Qu’entend-t-on par l’art de la marionnette ?

M. Cheik A. Kotondi : L’art de la marionnette est un art très ancien qu’on peut mettre dans la famille du théâtre. Quand on voit même l’origine du théâtre où on dit que ce sont des ouvriers assis dans une grotte en train de se réchauffer et voyant leur ombre se projetée sur le mur, ont commencé à jouer en fonction de cette ombre. Et quand on tient compte que le théâtre d’ombre fait parti de la marionnette, on peut dire que le premier art, c’est donc la marionnette.

 

Il y a combien d’années, vous vous êtes donné à cet art ?

Comme je l’ai toujours dit, mon rapport avec les marionnettes comprend deux stades. Le premier stade est mon profil de spectateur dans les années 1975 dans l’Est du Niger où il existait des marionnettes traditionnelles. C’est depuis ce moment que j’ai été mordu par le virus de la marionnette. Et c’est bien plus tard, à partir de 1990 que faisant parti d’une compagnie appelée le théâtre de la fraternité au Burkina Faso, le directeur, le professeur Jean- Pierre Guinganet a décidé de créer une section marionnette. Donc je peux dire que je suis devenu marionnettiste à partir de 1990.

 

Et dès lors, qu’est ce qui a changé en vous et également dans la famille marionnettiste du Niger ?

On a remarqué un développement de cet art. Ceci parce qu’il fut un moment où l’art de la marionnette a pris la voie de la disparition. Il y a cette incompréhension religieuse qui essayait de considérer les marionnettes comme des objets sacrés. Ce qui est formellement interdit par la religion musulmane. Les gens ne voyaient par le côté artistique de la chose. C’est ce qui a fait que cet art a commencé à disparaître. Maintenant, la jeune génération a entrepris un travail de terrain pour pouvoir relancer la marionnette. Ceci se traduit par les formations que nous avons commencé à donner aux jeunes.

 

Qu’est ce qu’il faut, aujourd’hui pour être un bon marionnettiste ?

La première chose que je peux dire, c’est l’amour de la marionnette. Il faut aimer la marionnette. Suite à cela, il faut savoir observer car le marionnettiste est un tout. Il est menuisier, il est tailleur, il est artiste peintre. Il fait du tout pour fabriquer sa marionnette. En résumé, il faut aimer la marionnette, faire des observations et supporter le rythme du travail.

Quelle est la différence entre une création marionnettiste et celle théâtrale ?

Au niveau de la création marionnettiste, les personnages sont figés. On n’a pas des variations d’expression de la figure comme dans le théâtre d’acteur. Au début d’une création des marionnettes, l’artiste doit déterminer les caractéristiques de ses personnages. Et y partant, il peut tout faire.

 

Enumérez – nous quelques fonctions de l’art de la marionnette.

Il y en a beaucoup. Mais je vais me contenter de signaler que l’art de la marionnette a une fonction ludique, une fonction économique et par ricochet une fonction de développement.

 

Et la population, s’intéresse-t-elle à cet art ?

La marionnette est un art qui est comme de la magie. Si vous sortez une marionnette ici, il suffit qu’une seule personne s’arrête pour regarder et vous avez par la suite un grand nombre. Donc la population s’intéresse bel et bien à la marionnette. Il y a même certaines organisations internationales qui utilisent les marionnettes pour sensibiliser les populations sur des sujets délicats.

 

Que pensez – vous de l’arène des marionnettes au Bénin ?

D’abord, il faut dire que le Bénin avait une culture de marionnette. Tout comme le Niger, le Bénin avait des marionnettistes traditionnels. Mais vraiment, tel qu’on voit les choses, on a tendance à croire que les gens ont abandonné. Par ailleurs certains ténors comme Grégoire Vissého alias Ditou sont restés. Ceux- ci continuent de nourrir l’art de la marionnette au Bénin. Mais on a remarqué que les jeunes béninois ne s’intéressent pas à la marionnette.

 

Que faire ?

L’urgence est de soutenir ces quelque uns qui s’évertuent dans la chose et penser à parcourir toutes les contrées du pays. On ne doit pas rester à Cotonou et à Porto- Novo ; il faut aller dans les autres villes. Ceci pour que toute la superficie du Bénin soit couverte par des équipes de marionnettistes. Je dirai même qu’il est nécessaire de doter le Bénin d’au moins une école de marionnettistes. Mais Grégoire Vissého, avec près d’une trentaine d’années de carrières se déplace régulièrement en Europe pour former les Européens aux techniques de fabrication des marionnettes. Si on lui donnait un cadre d’enseignement chez lui, je crois qu’il fera un travail impeccable ici au Bénin. S’il faut créer cette section au sein de l’école privée de théâtre qui existe ici Bénin, on n’a qu’à le faire. Je vous dis que le Bénin dispose d’atouts culturels qu’il n’exploite pas. Et c’est déplorable.

 

Avez – vous un mot à l’endroit des jeunes aspirants à l’art de la marionnette ?

Je leur demande d’aimer la marionnette et de persévérer. On ne vient pas à la marionnette pour se faire automatiquement de l’argent. C’est d’abord le travail, le travail bien fait.

 

Entretien réalisé par Esckil AGBO