Rogo Koffi Fiangor est un conteur professionnel, de nationalité togolaise. Depuis environ une vingtaine d’années, il vit en région parisienne où il prend part à toute activité relative à la promotion du conte africain et à l’assainissement des systèmes éducatifs en vogue en Afrique. Fidèle donc, à cet engagement, il était en avril 2015 au Bénin où il a, activement, participé à la 4ème édition des Rencontres Internationales des Arts de l’Oralité (RIAO). A cette occasion, volontiers, l’homme a accordé un long entretien à dekartcom. En voici une première partie.
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Dekartcom : Le conte, dites- nous ce qu’on y retrouve.
Rogo Koffi Fiangor : Dans le conte, il n’y a pas que les histoires classiques où on a le lion en train de chasser la gazelle ou la biche. Il y a dans le conte des récits, des mythes, des épopées, des légendes qui sont des éléments de la tradition plus les histoires que les gens écrivent au quotidien après les colletages, plus, ce qu’on colle au conte pour en faire une spécificité ; les contes initiatiques, les contes d’amour… Nous n’allons pas nous enfermer dans la tradition mais nous devons nous projeter dans la modernité.
Pensez- vous que les élèves ont besoin du conte ?
Je crois que les écoles, les universités sont les lieux appropriés pour amener les contes. Le conte et toutes ses ramifications ont deux vocations : distraire et instruire. On sait que nous sommes d’une société de l’oralité et que dans les anciennes veillées, lorsque les gens se retrouvent autour des vieillards, le conte est une école de vie, de civisme, de morale. Les contes permettent aux aînés de donner des leçons, de livrer des messages, de donner des connaissances, de répondre à des questions existentielles. Quand les enfants demandent par exemple, c’est quoi une histoire, si les parents n’ont pas de réponse, ils vont inventer une histoire pour que la curiosité de l’enfant s’arrête. Si on fait cela à l’école, on développe l’imaginaire des enfants. On leur apprend des valeurs et ces valeurs civiques, de vie, de moralité, plus tôt, elles sont acquises, mieux servent- elles pour le futur de l’individu, pour la contribution de l’individu au développement.
Hormis les leçons de vie, le conte développe les capacités imaginaires chez l’enfant.
N’importe quel conte, tel qu’il soit, d’où qu’il vienne, c’est un monde de la convention. C’est-à-dire que tu dis à l’enfant que dans le conte, il y un arbre qui parle avec un animal, un animal qui parle avec un humain, un arbre qui écoute les oiseaux. Mais l’enfant sait que l’arbre ne parle pas. Il rentre dans cette convention, son imaginaire s’ouvre et va au-delà du rationnel, du palpable. Il sait qu’il est dans un monde conventionnel, cela veut dire qu’il projette sa mémoire dans une deuxième dimension. Quand tu lui dis que le lièvre et le lion sont en train de se bagarrer ou de parler, il sait que les animaux n’ont pas de langage mais il rentre dans son imaginaire, dans cette convention d’un langage animalier et il y a des enfants qui peuvent être très mauvais en mathématique et en physique mais qui sont très bons en lettre et en science, tout simplement, parce que par ce bais, son imaginaire accroche mieux la connaissance qui, au préalable, lui semblait inaccessible. Donc on peut utiliser le conte comme outil pédagogique dans ce sens- là.
Le deuxième, c’est que quand on sait qu’avec le développement des nouvelles technologies, quand les enfants rentrent à la maison, au lieu que les parents prennent le temps de faire les devoirs avec eux, ils les mettent devant la télévision et la télé, c’est la fiction, et la fiction, c’est l’imaginaire des autres qu’on met dans la tête des enfants. Or cette imaginaire de l’autre crée, qu’on le veuille ou non des frustrations énormes. Parce que la sélection imaginaire des autres qu’on voit à la télé, c’est ça qui pousse les jeunes à penser qu’il fait mieux, beau, meilleur ailleurs et ils veulent aller là -bas, après qu’ils voient la piscine avec les belles filles… ils pensent que c’est ça. Ils ne voient pas la sélection des informations qu’on est en train de mettre dans sa tête pour non seulement l’acculturer mais l’aliéner. Or, si tu le ramènes aux réalités de chez nous et que les parents sont en conversation avec leurs enfants, son imaginaire va penser le développement sur le plan local.
Donc le conte doit rentrer dans le système éducatif pour non seulement être utilisé comme moyen pédagogique de meilleure réception de certaines leçons mais en plus pour instruire et éduquer les enfants autrement que l’éducation classique traditionnelle des livres. Moi, je préfère qu’on apprenne la phytothérapie à l’école que des poèmes des auteurs français.
Mais le conte est déjà inséré dans le système éducatif un peu partout en Afrique
Oui. Les autorités l’ont compris mais on constate que les enseignants prennent cette discipline comme une discipline secondaire.
Je pense que l’erreur que nous faisons dans l’ensemble des pays africains surtout francophones, c’est que les choses sont toujours faites à moitié. Pour ce qui concerne le conte, il est mis au programme ; d’accord, il est décrit dans les livres, d’accord mais nous sommes les premiers à savoir que le conte ne peut pas être enfermé dans une étude livresque. Le conte, c’est un genre de l’oralité.
Deuxième erreur que nous faisons, les professeurs qui doivent enseigner ne sont pas des conteurs. Conter est un métier ; on ne le savait pas mais maintenant on sait. Qu’est -ce que cela coûte de mettre en place, en dehors du programme qui est dans les livres, au niveau des réseaux associatifs des tournées pour qu’ils passent d’établissement en établissement pour raconter de façon vivante aux élèves des contes. Comme cela, les apprenants vivent les contes de l’intérieur, de façon vivace ; de façon interactive. De cette façon, ils pourront poser de questions aux conteurs et que ces derniers répondent. Si on fait cela en une heure, on économise 5 à 10 heures de cours. Parce que c’est toujours mieux.
Donc, selon vous, on ne peut pas enseigner le conte via les livres ?
Oui, mais cela ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est de dépasser le caractère livresque pour passer à une autre forme ; c’est-à-dire la forme qui appartient au genre lui-même. C’est la même chose pour le théâtre. Comment on peut aller jusqu’au Brevet d’Etude du Premier Cycle (BEPC) sans jamais voir une pièce de théâtre, sans jamais voir des comédiens sur scène. Il vaut mieux être fort en pratique et moins en théorie.
Et le conte peut-il favoriser le développement d’un pays ou d’un continent ?
Je pense, oui. La vendeuse du charbon et important. Dans le système éducatif, tout est important. Comment vous voulez qu’un scientifique arriverait à convaincre son public s’il ne détient pas les mécanismes de communication, et, on peut les obtenir rien que par les contes : le mouvement, l’articulation, le déplacement, la façon de parler, la façon d’accrocher, la façon d’organiser un début, un milieu et une fin. C’est la structure du récit. Tu as beau être le meilleur mathématicien du monde, quand tu arrives et que tu ne parles qu’avec des chiffres, tu es mort. Personnes ne t’écoutera. Or, si tu fais un peu de comédies, de mise en scène du récit que tu veux communiquer, tu vas attirer l’attention des gens. Les arts de l’oralité, le conte fait partie.
Comment l’Afrique peut- elle vendre aux autres continents son conte sinon sa culture?
Je n’aime pas l’expression vendre. Mais ce n’est pas les Africains qui disent qu’ils n’ont rien à donner ; c’est les autres qui le disent pour un constat simple. Si les lions avaient leurs propres historiens, tous les glorieux faits de chasse ne seront pas en faveur des chasseurs.
Nous, nous n’avons pas eu la chance de connaître et de pratiquer très tôt et très vite l’écriture. C’est pourquoi on nous compte dans la littérature orale. Mais nous avons connu des royaumes, nous avons connu des empires, nous avons des récits historiques prouvant que le continent africain n’a jamais été en retard. Plus loin que ça, dans certains débats, l’Afrique est cantonnée à l’Afrique de l’Ouest, au Sud du Sahara. Or, l’Egypte fait partie de l’Afrique et jusqu’à nos jours, les pyramides construites 4000 ans avant Jésus Christ, on n’a pas encore fini de les découvrir et de décrypter l’écriture hiérographique. Si on a eu des connaissances 4000 ans avant Jésus- Christ et que jusqu’à nos jours, avec les technologies sophistiquées, on ne sait pas à 100% comment les pierres ont été montées, alors nous avons nos mots à dire dans le processus du développement.
Tout cela, ce n’est pas l’Afrique ça !
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