Marcel GBEFFA, danseur, chorégraphe béninois est l’un des fondateurs de la compagnie Multicorps et le directeur artistique du centre Multicorps. Dekartcom est allé à la découverte de celui qui a fait et continue de faire la fierté de son pays à travers le monde entier. Rencontré entre deux séances de répétition, l’artiste s’est prêté au jeu des questions/réponses s’illustrant dans le genre avec autant d’aisance que sur scène.
ITW : Carolle Adriana / Dekartcom – Cotonou
Dekartcom: Comment en êtes-vous venu à faire carrière dans la danse ?
Marcel GBEFFA: j’étais à la logistique du festival seul sur scène de Florent Eustache HESSOU. J’étais aussi dans la compagnie ORI Culture où je n’avais pas vraiment la possibilité de m’exprimer, de monter sur scène en tant que danseur. Ensuite grâce à une bourse étrangère je suis allé à Dakar pour une formation en danse contemporaine à « l’école des sables ». Quand je suis rentré au Bénin, j’ai un peu travaillé avec un chorégraphe béninois et comme ça n’a pas très bien marché, on a fini par se séparer et ça a été le début d’une nouvelle aventure.
Dekartcom: Il s’agit bien de la compagnie de danse « MULTICORPS » que vous avez monté avec Valérie
Marcel GBEFFA: Avec ma collègue Valérie on avait déjà travaillé ensemble avant ça. Donc à un moment donné on a eu l’idée de créer ensemble quelque chose. La compagnie Multicorps crée, fait des tournées et des collaborations. Nous travaillons avec des chorégraphes de l’extérieur sur des projets qui nous amènent à beaucoup voyager. Aussi, quand on a un projet qui nécessite d’autres danseurs, on fait un casting pour en avoir juste dans le cadre de ce projet.
Dekartcom: Vous êtes donc contre le principe d’employer des danseurs en permanence?
Marcel GBEFFA: La gestion humaine est très difficile, il faut être dans un même concept, défendre les mêmes valeurs, ce qui n’est pas toujours le cas. Tout ça nous a amené à ne pas avoir des danseurs de façon permanente. En même temps avoir un danseur de façon permanente équivaut à le payer en conséquence et ce n’est pas évident pour une compagnie.Dans toutes les autres compagnies au Bénin surtout dans les ballets, il y a toujours une rivalité qui naît en fin de compte. Le principe c’est que quand tu danses dans ma compagnie et qu’un autre chorégraphe a un projet, tu ne peux pas participer et donc le danseur devient une chose qui appartient à quelqu’un, ce qui est dommage. Un danseur doit faire des collaborations, expérimenter des choses, découvrir des techniques, ce qui enrichit plus la compagnie.
Dekartcom : « MULTICORPS », c’est aussi une école de danse………….
Marcel GBEFFA: Effectivement et Multicorps existe depuis près de cinq ans. Déjà quand on est danseur chorégraphe, vous faîtes une tournée vous revenez avec un million ou deux vous restez là, six sept huit mois et l’argent finit. On se demande comment le danseur arrive à vivre de son art. C’est pour cela qu’on a pensé à donner des cours au Bénin où il n’y a pas une école diplomante en la matière. Chez nous, on devient chorégraphe grâce à son expérience contrairement en Europe. En même temps, on a pensé que ce serait bien de donner des cours de danse qui ont pour avantages de donner la confiance en soi, la maîtrise de son corps etc. On a commencé avec trente enfants et progressivement nous en sommes venus à cent soixante-dix. L’école organise chaque année un spectacle. Dans ce cadre on a déjà eu Back to Africa, l’autre monde, Avec le temps et Correspondances.
Dekartcom: Qu’est-ce-que Multicorps apporte aujourd’hui réellement comme un plus dans la société?
Marcel GBEFFA: Multicorps apporte beaucoup, déjà grâce aux cours que nous donnons. Les tarifs sont accessibles à toutes les classes sociales et cela permet l’échange. Et puis nous avons aussi un projet nommé « Art vacances » qui vise à donner gratuitement des cours dans des écoles publiques. N’oublions pas nos tournées internationales qui font qu’on parle du Bénin et aussi les rencontres chorégraphiques qui sur 20 ans entendent parler du Bénin, ça compte.
Dekartcom: Vous voulez parler de votre sélection aux « Rencontres chorégraphiques » de 2010. Grâce à « Et si », l’une de vos pièces, le Bénin a connu sa première participation à cette prestigieuse célébration de la danse qui a lieu entre l’Europe et l’Afrique et qui prime des chorégraphes depuis 1990.
Marcel GBEFFA: Déjà pendant que j’étais avec la compagnie ORI Danse, on a essayé de postuler mais ça n’a jamais marché. Donc quand j’ai envoyé mon dossier, ça a été une surprise d’avoir été retenu et j’ai représenté le Bénin. Il y avait quand même 342 candidatures, 10 pièces solos retenues pour l’Afrique et l’océan indien. Et cette expérience m’a permis de rentrer dans le réseau parce que c’est vraiment une question de réseau dans ce milieu.
Dekartcom: On remarque tout de suite chez vous, un engouement flagrant pour la danse contemporaine………..
Marcel GBEFFA: Vous savezchaque fois que je rentrais chez moi j’essayais de monter ma chorégraphie personnelle, j’allais sur internet découvrir les grands chorégraphes dans le mouvement de danse contemporaine et j’ai été vraiment attiré par ça parce que ce n’est pas une danse comme toutes les autres. Dans cette forme de danse vous retrouvez tout ce qui est actualité et art, de l’art plastique, du cinéma, du visuel, du numérique. Elle n’est pas fermée mais ouverte à toute autre chose. Du coup vous y retrouvez les danses du salon, les danses de rue, les danses cérémoniales ou danses rituelles sans oublier les danses modernes. Il y aussi l’improvisation que moi j’adore donc vous partez de toutes ces danses là pour créer. Donc c’est ce qui m’a amené à vouloir voir et comprendre ce qui se passe sur ce site et ça m’a permis d’avoir une longueur d’onde et de mieux mûrir certaines choses parce que j’étais documenté et j’allais vers l’information.
Dekartcom: C’est donc cette culture que vous avez développée qui vous permet aujourd’hui d’avoir vos idées bien à vous. Notamment en ce qui concerne le concept de danse afro-contemporaine qui prévaut actuellement…………………….
Marcel GBEFFA: Bien sûr. Il y a ce courant qui a été développé depuis sept ou huit ans où on parle de danse afro-contemporaine ou danse contemporaine Africaine. Mais pour moi ça n’existe pas parce que je n’ai jamais entendu parler de danse contemporaine Américaine ou Européenne, ça ne veut rien dire. La danse contemporaine, c’est de la danse contemporaine. On s’inspire de tout ce qui est d’actualité. Et puis il n’y a pas de danse Africaine mais des danses Africaines parce que dans chaque pays, li y a des danses traditionnelles. Si on parle de danse Africaine, ça veut dire que toute l’Afrique danse cette danse, alors que dans le nord en Ethiopie, au Maroc, c’est plus dans les bras, au centre, au Congo c’est plus dans le bassin, en Afrique de l’ouest c’est plus dans les pieds.
Dekartcom: Dans une société comme la nôtre où les mentalités sont calquées sur des idées rétrogrades, est-il concevable de vivre de la danse ?
Marcel GBEFFA: Lorsqu’après mon BAC, j’ai arrêté les études, les parents ont pensé que je devenais un peu fou et mon père me demandait de le rejoindre au Congo mais je me suis entêté et ça a été très dur. Il fallait par exemple marcher des kilomètres et des kilomètres rien que pour aller travailler. Les gens s’attendaient à ce que je devienne un délinquant qui allait finir dans la rue. On était plusieurs à commencer mais les autres ont dû s’arrêter pour faire autre chose et gagner leur vie. On a actuellement un projet pour que la danse entre dans l’éducation au Bénin comme les activités sportives. Et à partir de là on pourra commencer à professionnaliser la danse et ça ne paraîtra pas bizarre de voir un enfant vouloir faire de la danse. Il faut comprendre que c’est un métier dont on peut vivre. Et pour ça, il est important de former des danseurs.
Dekartcom: Avez-vous décelé chez les jeunes avec qui vous travaillez, de quoi miser sur l’avenir de la danse au Benin?
Marcel GBEFFA: Au début on travaillait avec des jeunes qui vont à l’école et veulent une activité périscolaire ; qui font ça juste pour s’épanouir. C’est très récemment qu’on est entré dans une dimension professionnelle, former des jeunes danseurs avec un certain niveau. Ça n’a pas encore été vraiment lancé mais j’ai été surpris de rencontrer des jeunes danseurs qui sont vraiment bons mais qui manquent de technique. Ici il y a de supers bons danseurs, mais à la pédagogie et la conscience du corps, ils n’y connaissent rien et font les choses très naturellement et ne peuvent les expliquer. Et donc c’est important pour nous de former des danseurs à l’anatomie, la physiologie, l’histoire de la danse et de développer en eux la pédagogie.
Dekartcom: Quelles sont les difficultés qui jalonnent votre chemin lorsque vous décidez de faire carrière dans la danse ?
Marcel GBEFFA: Quand vous êtes danseur sur un projet, il y a des difficultés autant physiques et morales qu’il faut affronter. Quand vous êtes chorégraphe, c’est encore plus difficile. Il faut monter les projets, recruter les danseurs, les former etc. N’oublions pas la course aux sponsors. C’est difficile de trouver le financement parce que les gens se disent que la danse contemporaine, c’est de la gesticulation, ça ne parle de rien etc. Aussi, il faut gérer les danseurs et leurs caprices. Et quand le spectacle est fini il faut savoir vendre. Aussi, on a un gros problème d’espace de travail pour les professionnels de danse.
Dekartcom: Pour conclure…………….
Marcel GBEFFA: Le premier mouvement de l’être, c’est la marche et la marche est une danse. C’est la marche qui a permis à l’être de s’épanouir et il est très important de faire de la danse ou autre chose qui libère l’esprit.