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MUSÉE HONMÈ: Un label patrimonial et identitaire de la ville à trois noms

MUSÉE HONMÈ

Porto-Novo, l’une des plus grandes villes du Dahomey, aujourd’hui Bénin, abrite un patrimoine muséal de souche tout aussi exceptionnel que le musée historique d’Abomey. Il s’agit du Musée Honmè dont l’historique retrace la courbe des actes de bravoure des souverains du royaume de Hogbonou. Il valorise également un savoir faire architectural surtout d’origine Yoruba, et des objets culturels à vocation identitaire qui renseignent sur le modèle de vie d’un peuple, aujourd’hui cosmopolite.

Ce label patrimonial logé dans une ville historiquement forte et traditionnellement chargée, emprisonne moins la vue de l’extérieur. Alors qu’il s’agit bien d’un bâti exceptionnel du temps royal qui incarne toute l’histoire de Porto-Novo, la ville à trois noms, et mieux renforce le tissu identitaire des communautés. Situé sur l’Avenue Liotard, rue 144, au quartier Avassa, l’un des anciens quartiers historiques de Porto-Novo, le Musée Honmè regorge d’énormes potentiels au triple plan historique, culturel et cultuel. Cet ancien palais royal de Porto-Novo, est le lieu privilégié d’exercice du pouvoir des différents souverains qui se sont succédé à la tête du royaume. Ils y sont restés tous au cours de leurs règnes respectives avec leurs proches collaborateurs au nombre desquels les ministres ou « Mito » en langue goun, les dignitaires et serviteurs royaux ou « Lali » qui s’engageaient à servir fidèlement et sans bornes le roi, les reines ainsi que les reines mères qui les aidaient à diriger la royauté. Les origines de Porto-Novo revisitées au travers d’une histoire pathétique publiée pour la première fois en 1972, à l’occasion de la fête du 1er Août, par l’auteur Jean-Pierre Agondanou dans son manographe intitulé « Porto-Novo, Ville d’Hier et d’Avenir », ont insisté sur les partitions jouées par les vingt-quatre (24) souverains dont dix-huit (18) rois et six (06) chefs supérieurs au sein du palais, et désignés selon les rites et pratiques de la royauté.

La mue du palais royal de Porto-Novo

Fauteuil offert les Blancs au roi ToffaL’histoire renseigne qu’après l’abolition de la traite des esclaves en 1848 et surtout l’effritement du pouvoir des souverains dans le royaume au temps de la colonisation, le palais royal de Porto-Novo a été abandonné pendant des années et tombé à la limite en ruine parce que inoccupé. Il a fallu de grands travaux de restauration qui ont duré plusieurs années, grâce à la coopération internationale pour que la mutation s’opère. L’ancien palais royal de Porto-Novo est ainsi transformé en un musée de site et ouvert au public le 05 Février 1988. Classé patrimoine architectural national, le musée Honmè comme l’ensemble des musées publics du Bénin, est sous l’autorité de la Direction du Patrimoine Culturel du Ministère de la Culture, de l’Alphabétisation, de l’Artisanat et du Tourisme.

Le musée Honmè et ses spécificités

Le musée Honmè est un ensemble clos de 2 hectares 500 qui se compose d’un corps ou bâtiment central et d’un secteur de temples : temple des pythons et temple « Yoho » (temple des Asens). On y découvre également un tribunal, deux prisons et un grenier qui sont aussi des architectures bâties destinées à l’usage des souverains. A tout ceci, il faut ajouter la salle d’audience du roi qui accueille actuellement l’administration du musée. Le corps central hautement symbolique qui couvre une superficie de 1500m2, est composé d’une succession de concessions organisées chacune autour d’une cour centrale ou atrium. On y découvre la cour des reines, la cour du roi, la cour de détente du roi, la cour de la reine mère qui est la gardienne du trésor du roi, la cour d’initiation du futur roi, la cour du peuple réservée à l’intronisation du nouveau roi et à sa présentation au public, la cour du conseil où le roi tient les rencontres avec ses ministres. Le modèle d’architecture à impluvium du musée est d’inspiration Yoruba, un chef d’œuvre exceptionnel qu’on pourrait retrouver à Ilé Ifè, Oyo, Owo et Akurè au Nigéria et à Kétou au Bénin. Le musée Honmè, construit en terre de barre couverte de chaume, constitue le symbole du palais et du Nord au Sud, il s’articule autour de sept (07) atriums (cours constituées de bassins recueillant l’eau de pluie). Ils ont chacun une affection définie en rapport avec les occupants des chambres les bordant. Le parcours proposé aux visiteurs du musée fait plus de la moitié de la surface totale du site.

Focus sommaire sur les cours du corps central

S’agissant du symbolisme et de la signification des différentes cours, la conservatrice du musée raconte :

– La cour des reines

Le nombre des épouses royales varie d’un règne à l’autre. Elles pouvaient être évaluées pendant le règne du roi Toffa, le dernier roi avant les chefs supérieurs, à une centaine environ. Ces reines animent la cour royale et servent le roi.

– La cour du roi

Première cour privée du roi, elle est particulièrement plus haute que toutes les autres cours. Elle symbolise le pouvoir et la suprématie du roi.

– La cour de détente

N’accèdent à cette cour où le roi prend ses repas que seules les reines ayant accompli le rituel spécifique du pacte de sang avec lui pour éviter tout empoisonnement.

– La cour de la reine mère

Cette cour est réservée à la reine-mère appelée aussi ‘’Tanyinon’’. Elle est désignée parmi les tantes et cousines paternelles après la ménopause par l’oracle pour assister le roi. Elle est la deuxième personnalité du palais.

– La cour d’initiation

Cette cour est le centre de tous les enjeux, car elle a une grande importance dans la dernière étape d’initiation du roi.

– La cour du peuple

Fort spacieuse, elle est réservée aux grandes manifestations, aux cérémonies : réjouissances populaires, présentations des nouveaux rois au peuple. Aujourd’hui, elle reçoit dans le cadre de l’animation du musée, diverses activités artistiques et culturelles, tant nationales qu’internationales.

– La cour du conseil

Pour administrer le royaume, le roi se fait entourer de dignitaires ou ministres, une vingtaine environ dont les sept principaux forment avec lui le gouvernement, tandis que les trois premiers : le Gogan (1er ministre et conseiller spécial du roi), le Akplogan (ministre de la santé et de culte du roi), le Migan (ministre de la justice et bourreau), forment avec lui, le grand conseil qui siège en permanence.

– La cour de justice

Actuel mini-village artisanal du musée, elle est située à l’extérieur, côté ouest du labyrinthe central. Au centre de cette cour, se tient le géant ficus, un arbre centenaire « Awalandjè » sous lequel le messager rendait compte du verdict prononcé par le roi au tribunal.

Des biens de la collection…

Le musée Honmè est plus un musée de site qu’un musée de collections. Il est constitué d’environ 230 pièces de grande importance : historique et rituelle. Au nombre de celles-ci, on peut citer :

– Le placard des gris-gris : logé dans le corps central du musée, il est un lieu de purification et d’acquisition de pouvoir du roi qui lui permettait de se protéger contre ses ennemis et de prouver sa puissance au peuple. On y découvre plusieurs types de gris-gris.

La légende porto-novienne évoquant la bravoure du roi Toffa qui a vaincu le tonnerre, en est une illustration édifiante.

– Chaine fixée au sol avec une menotte : Elle sert de protection pour le roi contre les personnes mal intentionnées et aussi d’élément de contrôle et de purification des reines en cas d’infidélité.
– Asen ou Autel : Il symbolise le défunt. Dans la conscience collective des Béninois et du peuple goun en particulier, ‘’les morts ne sont pas morts’’. Ainsi, il est indispensable que les rois défunts puissent, de l’au-delà, continuer à assister le royaume. Raison pour laquelle les vivants qui ont en main la destinée du royaume, doivent les avoir à côté d’eux et honorer leur mémoire en puisant leur force dans les cultes qu’ils leur offrent. Les Asens constituent donc l’incarnation des défunts, en l’occurrence des personnalités traditionnelles défuntes.

– Gozin : Ce sont des cruches de diverses formes utilisées au sein du palais lors des rituels aux ancêtres, surtout à l’occasion de la cérémonie dite « Gozin royal ». Il s’agit de la cérémonie la plus importance du palais qui a lieu tous les dix ans en l’honneur des ancêtres royaux. A cette occasion, des jeunes filles vierges étaient choisies pour accomplir cette noble mission. Pagnes noués à la poitrine, elles doivent transporter les cruches pour aller chercher l’eau à la rivière. Certains souverains, lors de leur règne, ont fait fabriquer des cruches en leur honneur.

– Adji ou Awalé : Il s’agit d’un jeu qui suscite grandes réflexions, mais aussi de divertissement très prisé par les rois. Aujourd’hui, dans nos villages et moins en ville, il est pratiqué surtout par les personnes âgées.

– Canon : Armement de guerre utilisé par les colons lors des affrontements et attaques diverses.

– Photographies des chefs supérieurs : Au nombre de six, ces chefs supérieurs aidaient loyalement les pouvoirs publics de l’administration et étaient les garants de la tradition aux côtés des gouverneurs blancs qui étaient les autorités administratives. Le tout dernier était Dè Gbèffa.

– Canapé du roi Toffa : Au nom de cette amitié tendre et très poussée qui liait le roi Toffa aux gouverneurs français, ils lui avaient fait don de ce fauteuil qu’il utilisait au palais. Il est actuellement installé dans la cour du conseil.

– Canne à percussion : Abusivement appelé ‘’Adjogan’’, elle fait partie des instruments traditionnels utilisés pour exécuter le rythme ‘’Adjogan’’, célèbre et propre aux Porto-Noviens. Au temps du royaume de Hogbonou, ce rythme était exécuté par les reines du palais lors des cérémonies festives ou non dédiées aux ancêtres. Plus tard, il est joué pour accueillir les invités de marque du roi, ou à l’occasion de l’intronisation du nouveau roi.

– Porte d’entrée originelle du musée : Œuvre du génie artisanal, cette porte en bois décorée illustre divers symboles et animaux qui incarnent des leçons de vie, de sagesse, de paix et d’unité dans le royaume de Hogbonou. L’ensemble de la sculpture appelle le peuple à la vigilance pour la défense du royaume.

– Meule à écraser les condiments : Cette meule en pierre authentique installée dans la cuisine aide les reines à écraser les condiments pour la cuisson des repas au roi.

– Meule à moudre le tabac : Elle est utilisée par la reine-mère pour moudre le tabac assez consommé par le roi.

– Meule à écraser les céréales : Il s’agit de la meule authentique utilisée par les serviteurs pour écraser les céréales au palais.

L’attachement à un bien patrimonial

Un peu comme le recommande le discours sur la nouvelle muséologie, Honmè reste une institution muséale de société ouverte aux communautés de Porto-Novo, en l’occurrence les sages et notables des lignées royales. Il accueille souvent ces personnes ressources, témoins de l’histoire du royaume, qui y tiennent des réunions sur l’avenir du patrimoine culturel matériel et immatériel de la ville, organisent des cérémonies en l’honneur des défunts de la royauté et toute autre manifestation à vocation pacifiste. « Nous sommes les garants de la tradition et nos descendants ont administré le royaume. Nous sommes donc intimement liés à l’avenir du musée qui doit continuer à perpétuer, à travers les objets culturels qui y sont exposés, l’histoire de la royauté aux générations futures. Nous sommes conscients du rôle du musée Honmè et c’est pourquoi nous n’avons boudé à aucun moment l’appel à la conservation et la valorisation de ce patrimoine unique pour nous, Porto-noviens, et pour tout le Bénin », a confié Dah Ahouannou Hounmê, très enthousiaste.

Une gestion axée sur l’envie de bien faire, mais…

Au plan administratif, le musée Honmè porte le sceau de Mireille Amédé Gbanhounmè, la conservatrice. Une dame effacée, ouverte d’esprit Le mini-marché darts du musée Honmèqui nourrit une marre d’ambitions pour la visibilité et le rayonnement de l’institution muséale malgré les maigres ressources que génèrent les visites. Elle a sous sa direction une demi-dizaine d’agents tout aussi enthousiastes dont deux (02) guides spécialisés pour les visites des touristes, un (01) agent d’entretien, un (01) gardien et un (01) responsable de la documentation à la bibliothèque du musée. Toutefois, ils sont tous polyvalents et à même de faire le guidage des visiteurs. Le musée est ouvert au public du Lundi au Vendredi, de 8 heures du matin à 18 heures 30 minutes dans la soirée ; les weekends et jours fériés de 9 heures à 17 heures. L’entrée au musée est fixée à cinq cents (500) Francs CFA ($0,96) pour les nationaux et à mille (1000) Francs CFA ($1,93) pour les visiteurs étrangers.

Un début de dégradations qui interpellent…

Malgré la volonté débordante de la conservatrice constamment plongée dans les réflexions prospectives pour soigner l’image de son institution muséale et augmenter le flux des visiteurs, des dysfonctionnements d’ordre technique surtout liés à la conservation du bâti et des aménagements spéciaux sont à déplorer. Pour preuve, le corps ou bâtiment central du musée qui abrite les collections, présente déjà des signes de dégradation avec des fentes ou fissures, des décollements de murs et moisissures de couleur verte au niveau des fondations, surtout extérieures. Ces détériorations partielles qui nécessitent dans l’urgence des mesures de conservation curative, risquent de se prononcer dangereusement, les tout prochains jours. Il s’agit là des signes de faiblesse dont la résolution interpelle en premier chef l’autorité en charge de la culture. Ceci n’entache en rien le charme du musée Honmè qui nourrit l’esprit du visiteur et renforce le tissu identitaire de la ville à trois noms (Porto-Novo, Hogbonou, Adjatchè).

S’il vous a été déjà donné de visiter le site des palais royaux d’Abomey, le musée d’histoire de Ouidah, le musée régional de Natitingou, le musée régional de Kinkinhoué, alors le musée Honmè de Porto-Novo dans le département de l’Ouémé n’attend que de vous recevoir, chers visiteurs, pour vous donner le plaisir d’un Bénin historiquement, culturellement et cultuellement riche et positif qui s’appuie sur ses racines pour émerger.

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