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Littérature: Cœur insomniaque, le roman – policier d’une Béninoise vivant en France

« Cœur insomniaque » est un roman policier écrit par Sophie ADONON et paru aux « Editions Amalthée » en 2011. L’ouvrage s’étale sur 150 pages et réparti en 20 chapitres. C’est la suite des romans du même auteur tels que « Le sourire macabre » puis « Le plat qui se mange froid ». Sophie ADONON, originaire du Bénin, vit en France depuis 1983.
Sur la première de couverture, on voit une scène effrayante de deux cœurs humains dans le creux du sable marin sur la berge. Ce qui évoquerait déjà, d’une manière ou d’une autre, le contenu tragique de l’ouvrage.

Résumé :

Diane Lissa, comme le nom indigène ‘’fon’’ le suggère, est une albinos de nature sociable, très intelligente et pétrie de littérature. Etudiante interne en médecine, branche pédiatrie, elle s’éprit d’un homologue, Jérôme Choukou, cardiologue qui partageait ses sentiments. Avant toute initiative de vie à deux, Jérôme décida de présenter sa dulcinée à ses parents, Béatrice et Gaston Choukou. Ceux-ci rejetèrent Diane avec toute l’aversion imaginable. Malgré l’option de discrétion, la pression parentale finit par avoir le dessus et les deux amoureux se séparèrent. Diane Lissa faisait ainsi la seconde expérience douloureuse de rejet par ‘’belles familles, ajoutée au poids des rumeurs dégradantes qui circulent au sujet des albinos et dont elle était socialement victime.
Elle décida alors de quitter Cotonou ou le Bénin. En tout cas, elle disparut sans laisser d’adresse pour une destination inconnue. Là-bas, à l’aide de la chirurgie esthétique à la mode Michael Jackson, elle prit l’apparence d’une véritable Blanche occidentale, s’attribua subséquemment une nouvelle et fausse identité : Andie Basilon. (Andie Basilon qui n’est rien d’autre que l’anagramme de Diane pour « Andie » et Albinos pour « Basilon ».
Avec ces nouvelles caractéristiques, Diane Lissa, du moins Andie Basilon descendit à Cotonou et réussit cette fois-ci à s’insérer plus facilement. Elle s’installa et créa en tant que Présidente, l’association de défense des albinos abandonnés, orphelins ou handicapés. Elle fit la connaissance de Guy Makou, Pilote de ligne de la Compagnie Air Bénin. Guy Makou qui se trouve être par extraordinaire le fils des meilleurs amis de Béatrice et Gaston Choukou (les beaux-parents qui avaient rejeté « Andie Basilon » sous le nom de Diane Lissa).
Le jour de ses fiançailles chez les Makou, Andie Basilon retrouva ceux-là même qu’elle considérait comme ses pires ennemis. Dans leur attitude à son égard, elle ressentit une certaine répulsion naturelle, une sorte de soupçon. Ne voulant pas prendre le risque de voir son avenir conjugal une fois encore contrarié, elle décida d’éliminer ces deux sexagénaires qu’elle voit désormais comme d’éternels obstacles. Alors, elle se rendit nuitamment à Porto-Novo, kandévié, s’introduisit dans leur demeure, réussit à intégrer la chambre où ils dormaient. Elle les assassinat froidement avant d’arracher leurs cœurs par résection, organes funèbres qu’on retrouvera plus tard en balade sur le rivage de la plage de Fifadji.
Après de longues et minutieuses enquêtes infructueuses, l’équipe d’enquête, conduite par le commissaire principal de la ville de Cotonou, Lionel AZA, décida sur la base d’informations de dernier moment, de mener des investigations ciblées par rapport à tous ceux qui étaient présents aux fiançailles de Guy Makou et Andie Basilon. C’est alors que… . /.

Il faudra absolument lire « cœur insomniaque » pour découvrir par soi-même la fin du suspense ou le dénouement de l’histoire.

L’ouvrage évoque un décor purement africain et typiquement béninois avec nos racines, réalités culturelles et surtout la marque de l’oralité.

Extrait :

‘’(…) Cyprien Zokan après s’être douché pour se débarrasser des émanations damnées, se vêtit de son nouveau costume ‘’soyoyo’’ noir cousu dans du tergal. Il se chaussa de ses mocassins blancs, sans chaussettes, puis il installa sa chaîne hifi sous la paillote, construite dans la cour.
Cinq minutes plus tard, le morceau ‘’Kakpo’’, d’un des plus grands chanteurs ‘’fon’’, « Alèkpé-Han-Wou », résonna dans toute la concession Zokan. La musique battait son plein lorsque les enfants heureux, s’agglutinaient autour de lui pour danser.
Seulement, étant nés à Cotonou, ils avaient du mal à esquisser le moindre pas sur le folklore, nommé Zinli.
La façon de danser sur la musique d’Alèkpé-Han-Wou était la même que du temps des rois d’Abomey. Les enfants élevés en dehors de la cité royale-Abomey- ou de ses environs, avaient du mal à maîtriser la danse Zinli.
Voilà pourquoi, les enfants de Zokan chahutèrent leur père jusqu’à ce qu’il leur mît de la musique moderne, un morceau du Béninois Richard Flash, faiseur du Zouk-love béninois. L’aînée, Charlotte, surnommée Toutou mena la danse avec ses jeunes frères et sœurs, assistés de leur père et ce, jusqu’à minuit. Les Béninois avaient pour habitude de danser soit chez eux, soit en boîte de nuit, le 31 décembre jusqu’à l’aube.
Les cornes des navires hurlèrent l’entrée dans la nouvelle année, depuis le Port Autonome de Cotonou. Des cris s’élevèrent dans toute la ville. Les enfants faisaient exploser des pétards, des bâtons d’étoile scintillaient dans la nuit…
Au Bénin, le réveillon ne donne pas lieu à de copieux repas. On fait de vrais repas, le jour même du Nouvel An, appelé Houé-Gbé ou Janvier-Gbé. Le 1er janvier est le véritable jour de fête…’’

Thématiques :

Dans ce roman, Sophie ADONON, avec un style sobre et accessible, nous amène au centre de grandes thématiques telles que la polygamie, la jalousie, la vengeance, la discrimination raciale et j’en passe. La discrimination raciale qui incarne d’ailleurs le plus grand intérêt de l’ouvrage.

Portée de l’œuvre :

La discrimination raciale est le thème principal qui se dégage de l’œuvre. Pour Sophie ADONON, c’est la forme civilisée que devrait prendre la rencontre avec l’autre, non pas l’incompréhension ni le mépris que manifestent la plupart des béninois envers les albinos. Mais, la reconnaissance que l’autre existe, l’acceptation de sa différence et l’attention portée à ce qu’il peut apporter au patrimoine national.
Elle a fustigé l’antipathie qu’on éprouve à l’égard de ces êtres, en même temps elle a montré (elle vise à rappeler) que tous ont une égale dignité.

La romancière béninoise Sophie Adonon

La romancière béninoise Sophie Adonon

En ce sens, « Lissa » est la figure dont voudrait se servir l’auteur pour appeler les Béninois à déplacer les préjugés raciaux en vue de provoquer chez eux l’amour et l’acceptation de l’autre qui est différent. C’est en ce sens que « Cœur insomniaque » pourrait se présenter comme un plaidoyer en faveur des albinos. Car chaque homme, quelle que soit son origine sociale, possède une lumière que l’épaisseur des superstitions peut cacher. Il suffit bien souvent de peu de choses pour que cette lumière jaillisse : un sourire, un regard d’amour…

Sans oublier toutefois de mentionner que Sophie ADONON est contre l’option inhumaine et barbare prise par Diane Lissa. Cette albinos qui au départ, était sociable et pleine d’esprit d’initiative, finira par mettre cette énergie vitale et débordante au service de la mort.

Dans tous les cas, c’est un non-sens que de rejeter les gens parce qu’ils sont différents de nous.

L’expression et le style :

La prédominance du dialogue est un outil permettant à l’auteur de clouer au pilori un préjugé mortel et de ramener l’opinion à la raison concernant des questions d’importance : la polygamie, la jalousie, la vengeance et la discrimination raciale… Son récit consacre le réalisme sans réussir à mettre à distance ni la poésie, ni les figures de rhétorique, ni l’article du journal.
Le lecteur se surprend à tourner les pages pour découvrir le visage du monstre. L’emboîtement des détails illustre la maîtrise du suspense par Sophie ADONON.
L’écrivaine puise non modérément dans la culture béninoise.

Sophie ADONON a justement cette façon personnelle de faire cohabiter deux mondes (l’Afrique et l’Occident) au point de prêter à ses personnages (de l’espace romanesque béninois) des caractères qui reflètent les réalités purement occidentales.

Par onomastique, elle s’est forgé le talent d’attribuer à ses personnages des noms indigènes suggestifs, personnellement choisis ou fabriqués, qui traduisent soit l’état des personnages ou le rôle qu’ils prennent dans une fonction donnée.
C’est ainsi quand on considère par exemple le Commissaire principal de la ville de Cotonou, Lionel Aza, celui-là même qui a dirigé les enquêtes (en ‘’fon’’ «Aza » signifie « chapeau », ce qui symbolise la sagesse, le commandement, la chefferie…).
Madame et Monsieur Choukou qui ont été tués comme des animaux ou de vils individus (« choukou », chez nous, signifie chien).
Le médecin légiste Tchio qui a procédé au CNHU à l’opération d’autopsie des cadavres du couple Choukou (en fon, « tchio » veut dire dépouille ou cadavre).
Diane Lissa (« Lissa » qui veut dire chez nous « albinos »).
Etc…

Contexte littéraire :

S’il est vrai que le roman est le genre le plus représentatif de la littérature béninoise, il n’en demeure pas moins vrai que les écrivains béninois répugnent, semble-t-il, à pratiquer le « roman policier » qui a pourtant un lectorat sûr au Bénin comme en Afrique.
« Cœur insomniaque » de Sophie ADONON pourra bien trouver sa place dans le genre « roman policier » puisque l’intrigue repose sur une enquête criminelle (ou policière).

Eu égard à tous ces éléments, le lecteur est convaincu de ce que, Sophie ADONON, bien que vivant en France depuis plus de trente (30) ans, est bien informée, encrée et enracinée dans les réalités de son Bénin natal, en tout cas de son Afrique d’origine.

Jean-Eudes Degbessoun

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