Dramaturge et metteur en scène béninois, Sèdjro Houansou est présent à la 12ème édition des Récréâtrales[i] qui se tient du 29 octobre au 05 novembre 2022 à Ouagadougou avec le spectacle « Que nos enfants soient des géants ». Dans cette interview qu’il nous a accordée dans le cadre de la formation « Ecrire sur le spectacle vivant aujourd’hui », organisée par l’association NO’OCULTURES à l’endroit des journalistes culturels, l’artiste revient sur son parcours et fait des confidences sur les différents projets qu’il mène en vue de contribuer à l’autonomisation des artistes africains.
Si l’on se réfère à votre parcours, vous êtes un acteur important du théâtre tant dans votre pays qu’à l’international. Mais déjà dites-nous, à quand remonte votre rencontre avec le théâtre ?
J’ai commencé en tant que comédien mais j’écrivais depuis le collège déjà. J’ai écrit ma première pièce en classe de 4ème. Mais je ne pouvais pas la porter parce que dans le temps j’étais trop jeune et ce n’était pas facile de se frayer un chemin. Une fois à l’université, j’ai intégré l’Ensemble artistique et culturel des étudiants (Uace). J’y suis entré en tant que comédien et auteur. J’ai alors commencé à écrire des pièces et à faire de la mise en scène par la même occasion. C’est l’école de « tout » donc on a tout fait. J’ai fait l’écriture, le jeu, la mise en scène et la danse. A un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de jouer pour me consacrer à l’écriture. A côté, j’ai continué à m’évertuer dans la mise en scène. Mais j’ai arrêté le jeu en tant qu’acteur.
Il faut dire que l’écriture m’a permis d’avoir un petit nom à l’international et c’est à partir de là qu’on a commencé à prêter attention aux autres choses que je faisais comme la mise en scène.
Pourquoi écrivez-vous ?
Je rêve mes pièces de théâtre à partir de la mise en scène. Je n’écris pas juste parce qu’il faut écrire. L’écriture est une expression de malaises pour moi. Quand j’ai mal, j’écris pour rechercher le beau. J’écris pour chercher une issue, une porte de sortie. Mon travail est très lié au mal-être. J’aborde des thématiques en lien avec le territoire, l’émotion, l’humeur etc. Dans la pièce « Que nos enfants soient des géants »que j’ai créée dans le cadre des Récréâtrales, par exemple, je parle du fait que parfois la société nous pousse à des places qui ne nous plaisent pas forcément. Comme le dit si bien le personnage principal de la pièce : « il y a des places qui vous déplacent de vous-même. De l’extérieur ça vous construit comme une bâtisse monumentale mais à l’intérieur ça vous disperse, ça vous déconstruit complètement. Ça vous vide… ».
J’écris également pour poser des questions. Pour moi, il est important que des gens qui viennent suivre un spectacle ou écouter un texte de théâtre, partent en tremblant presque. Il faut qu’ils partent de là avec plein de questions. C’est peut-être pour cela que mes pièces suscitent de l’attention. Je ne suis pas pressé d’écrire mille pièces. Ce n’est pas le plus important pour moi. S’il y a une pièce qui mérite d’être dite, écrite, elle va forcer le propos et sortir.
Est-ce qu’il vous arrive de remettre votre costume de comédien ?
Cela ne m’intéresse plus mais parfois j’y suis obligé pour des raisons budgétaires. Dans ma pièce : « Il pleut des humains sur nos pavés », j’ai été obligé de prendre un petit rôle. C’est le cas aussi de cette pièce que je suis en train de faire dans le cadre des Récréâtrales parce que je manque de personnels. Quand on fait des créations avec beaucoup de personnes même s’il y a une demande, on a des difficultés à les faire tourner. Je n’ai jamais écrit de monologue parce que je préfère quand il y a des personnages qui dialoguent. Mais je ne suis pas non plus détenteur d’un compte bancaire à 10 chiffres. Donc en attendant je fais au mieux.
Parallèlement à votre métier d’auteur-metteur en scène, vous pilotez de nombreux projets en vue de la professionnalisation et de la rentabilisation dans le secteur artistique. Dites-nous, en termes de chiffres, à combien peut- on estimer les jeunes ayant bénéficié de vos opportunités ?
Je pourrais dire que nous avons touché 500 acteurs toutes catégories confondues. Mais il y a les bénéficiaires directs et ceux indirects. En ce qui concerne les bénéficiaires directs, nous avons eu une centaine de jeunes qui ont été formés en tant que comédiens, lecteurs, metteurs en scène. C’était plusieurs années avec différents dispositifs dont les « Embuscades de la scène » qui ont permis de repérer 11 metteurs en scène, de faire travailler plus de 40 comédiens. Ce projet nous a aussi permis de toucher un public de 500 participants par édition et nous avons eu à en faire 4. Il y a eu après cela, « Les didascalies du monde » qu’on continue d’ailleurs de poursuivre. Il y a eu également des séries de formations que nous avons mises en place pour former les gens dans l’audiovisuel. Il y a eu une grosse participation de jeunes notamment des personnes déscolarisées ainsi que des personnes en phase de réorientation. Puis le dernier projet en date dénommé « Artirium » nous a permis de toucher des jeunes en situations difficiles. Nous les avons formés en animation culturelle. Nous avons également formé d’autres jeunes au montage de tutoriels à partir de leur téléphone. Je pense que pour être modeste on peut évaluer tout cela à 500 acteurs en moyenne. Et il faut dire, qu’en termes d’accompagnement, nous avons des structures partenaires qui ont déjà pu employer certains. Nous venons également d’entamer un autre programme plus corsé qui concerne la transmission autour des techniques de création, de management, d’entreprenariat dans le secteur artistique.
Je ne saurais oublier la plateforme benincrea.net sur laquelle on s’attèle a publié des opportunités artistiques et culturelles à l’endroit des jeunes en Afrique. Je pourrai parler aussi des prix Kirina qui ont permis de récompenser trois jeunes humoristes et trois jeunes danseurs contemporains africains dernièrement.
Au-delà de ces projets, vous avez remporté en 2018, le Prix RFI Théâtre et éditez plusieurs pièces à succès que vous avez vous-même mis en scène pour la plupart. Dites-nous, que vous inspirent les succès que vous avez enregistrés jusque-là ?
Contrairement à ce que certains pensent, je n’ai pas volé de succès en succès. J’ai eu de gros échecs. J’ai échoué deux fois au Prix RFI Théâtre avant de le remporter. J’ai aussi échoué une fois au Grand Prix Littéraire du Bénin avant de l’avoir. J’ai créé des pièces qui n’ont pas eu de succès. Et il y a eu plein d’autres échecs. Mais le truc c’est que quand le succès arrive une fois, il a tendance à effacer tous les échecs. Ces échecs ne restent que dans le cœur de celui qui les a vécus. L’essentiel sera qu’ils nous servent de carburant et de source d’inspiration. Donc voilà une de mes premières sources d’inspiration. L’échec est pour moi un carburant. Il me pousse à me surpasser.
Propos recueillis par Inès Fèliho / © Dekartcom 2022
[i] Les Récréâtrales : Espace panafricain d’écriture, de création, de recherche et de diffusion théâtrales qui se tient tous les deux ans à Ouagadougou depuis 2002.