Le photojournaliste béninois Martial Dansou présente officiellement son catalogue entièrement dédié au marché Dantokpa et intitulé « Dantokpa plus qu’un marché », ce vendredi 22 janvier à Canal Olympia de Cotonou. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Martial Dansou partage avec nous les coulisses et les motivations de la réalisation de ce document qui immortalise le plus grand marché à ciel ouvert de l’Afrique de l’Ouest.
Martial Dansou, vous êtes technicien audio-visuel, photojournaliste, consultant en imagerie puis cinéaste-réalisateur et vous venez de réaliser un catalogue intitulé « Dantokpa plus qu’un marché ». Dites-nous, comment est née l’idée de faire un document entièrement dédié au plus grand marché à ciel ouvert de l’Afrique de l’Ouest ?
C’est un travail qui a démarré il y a plus de 5ans. J’ai commencé plus précisément en 2015. Après plus de 20 ans à l’extérieur du pays, j’ai décidé de rentrer au bercail en août 2015. Je connaissais donc très peu Dantokpa. Mais il s’est fait que l’année de mon retour au pays, j’ai eu quelques visiteurs venus de la Suisse. Ces derniers voulaient avoir des souvenirs du Bénin. Ils m’ont alors demandé de les amener faire des achats dans un espace où ils seraient en contact avec les réalités du Bénin. C’est ainsi que j’ai commencé à les amener à Dantokpa pour leurs diverses courses. Arrivé dans le marché, je me suis rendu compte moi-même en tant que Béninois que c’était quelque chose d’énorme en fait. Il est vrai que j’ai lu sur les réseaux sociaux que Dantokpa est le plus grand marché à ciel ouvert de l’Afrique de l’Ouest mais je ne mesurais pas vraiment toute l’étendue de ce marché et encore moins tout ce qu’on pouvait y trouver. Cette découverte a titillé ma curiosité, alors j’ai commencé à fouiller pour voir s’il y avait des archives en version papier ou numérique sur ce marché. Je suis donc allé vers des structures étatiques dont la Bibliothèque Nationale, la Mairie de Cotonou, l’Ortb (l’Office Nationale de Radio et Télévision du Bénin) et la Sogema (Société de Gestion des Marchés Autonomes). Mais malheureusement je n’ai rien trouvé à part quelques documents qui ont été produits par des ONG ou des expatriés qui sont venus faire des choses spécifiques dans le marché comme les sujets de ‘’Vidomègon’’ (enfant placé, domestique) ou le travail forcé des enfants et autres. Mais rien n’a été produit pour mettre en lumière les atouts de ce marché en vue de sa promotion. C’est alors que j’ai pris la décision d’écrire un projet que j’ai intitulé « Dantokpa plus qu’un marché ».
Est-ce à dire que vous avez initié ce projet en vue de la promotion du marché Dantokpa ?
Au départ oui. Mais quelques mois après l’écriture du projet, il y a eu l’investiture du Président Patrice Talon en avril 2016. Lors du lancement du PAG (Programme d’Action du Gouvernement), j’ai constaté qu’il y est prévu le déplacement du marché Dantokpa. Cette nouvelle m’a un peu refroidi et je me disais que mon projet n’avait plus d’importance. Cependant, j’ai pensé que comme rien n’a été produit sur ce marché historique, mon document peut être produit autrement. Alors je me suis dit qu’au lieu de faire un travail de promotion autour de ce marché, il serait mieux que je fasse plutôt un travail d’archivage si tant est qu’il sera déplacé, afin de l’immortalisé pour la postérité. Et c’est ainsi que j’ai changé un peu les objectifs de départ de mon projet. Au lieu de réaliser un document pour dire aux touristes venez visiter le marché Dantokpa, j’ai préféré changer de langage pour donner une valeur historique et patrimoniale à mon travail.
Pourquoi avoir titré ce document « Dantokpa plus qu’un marché » ?
J’avais au départ trois titres à savoir : Dantokpa la légende ; Dantokpa l’unique et enfin Dantokpa plus qu’un marché. Et ce n’est qu’après plusieurs échanges avec mon épouse que j’ai choisi le dernier. Car au cours d’une de nos discussions elle me disait : Dantokpa c’est plus qu’un marché parce que même s’il se fait déplacer, il vivra toujours dans la mémoire des Béninois. Et j’ai trouvé qu’elle disait vrai alors je n’ai pas hésité à choisir ce titre.
Après l’élaboration du projet, quelles ont été les démarches que vous avez entreprises pour la collecte des informations et le travail proprement dit ?
Dès le départ, « Dantokpa plus qu’un marché » était un projet de catalogue suivi d’un documentaire de 52 minutes qui est toujours en cours d’ailleurs. C’est un projet qui nécessitait beaucoup de fonds. Alors j’ai d’abord réalisé la maquette du projet que j’ai déposé dans plusieurs Ministères, ainsi qu’auprès des organisations au plan national et international, dont la GIZ, la Coopération suisse, la Coopération belge… Ensuite pour avoir déjà fait les recherches de base sur le marché, il m’a été facile de faire un travail détaillé. Avec mon équipe, on a décidé de sillonner chaque compartiment du marché tout en mettant un accent particulier sur leurs différentes fonctions. On s’est donc donné pour mission de passer au peigne fin tous les articles vendus au marché Dantokpa, de l’entrée en passant par les différents stands jusqu’à la berge lagunaire. Quelques temps après, j’ai réussi à avoir le soutien financier de la Coopération suisse pour la réalisation du catalogue uniquement. Ce n’est qu’après cela que j’ai constitué autour de moi une équipe dont des écrivains, des chercheurs, des photographes, des anthropologues et des historiens pour sa réalisation.
Comment avez-vous choisi les spécialistes en question ?
A vrai dire quand on veut faire quelque chose et que nous avons une vision claire et définie, on procède de la meilleure manière possible pour s’entourer des personnes qu’il faut afin d’atteindre ses objectifs. J’ai donc cherché à me faire entourer des gens pointus et compétents. Je suis allé vers des spécialistes dont Ousmane Alédji ; Franck Ogou ; Alain Foka et bien d’autres qui sont incontournables dans leur secteur respectif. Mais à vrai dire ce n’est pas les moyens qui ont poussé ces derniers à m’accompagner. C’est plutôt la vision du projet. Je donne l’exemple de l’honorable El Hadj Malèhossou qui m’a accompagné tout le long du projet avec tout son cœur sans aucune rémunération. Il a fait des descentes au marché avec mon équipe et moi. Et je les remercie d’ailleurs d’avoir cru en mon projet parce qu’on peut utiliser des millions pour un travail et ne rien faire d’appréciable, mais quand la vision est claire avec le peu que nous avons on peut produire de grandes choses.
A en croire vos confidences, « Dantokpa plus qu’un marché » c’est tout un parcours. Quelles sont alors les difficultés que vous avez rencontrées dans la réalisation de ce projet ?
C’est un projet qui a été écrit depuis 2015 et qui a vu le jour en 2021. Cela en dit long sur le parcours et les difficultés. Il y a d’abord eu des difficultés d’ordre financier. Après que la Coopération suisse ait accepté de nous accompagner, la mise en œuvre du PAG qui prévoit le déplacement du marché Dantokpa a bloqué la signature du contrat. C’était devenu un peu délicat car il y a ce que nous avions prévu faire en tant que simple individu et ce que l’Etat prévoit dans le PAG (Programme d’Action du Gouvernement). Alors pour éviter toute incidence diplomatique avec l’Etat béninois, la Coopération Suisse a cherché à comprendre 3 ans après les réelles motivations de ce catalogue. Et ce n’est qu’après avoir eu la certitude que nous ne voulons que faire un travail de conservation, d’archivage qu’ils ont enfin décidé de nous faire le versement. Après ce long processus, la Coopération suisse m’a pleinement accompagné sur le projet. Et je puis dire qu’ils ont été formidables. En plus du financement, ils ont préacheté 50 exemplaires du catalogue à distribuer aux Institutions et Organismes de mon choix.
L’autre difficulté s’est faite sentir dans les diverses administrations en ce qui concerne l’accès aux autorisations et surtout aux informations liées au marché. C’était vraiment compliqué parce que les autorités étatiques étaient elles aussi un peu sceptiques quant aux réelles motivations du projet. Mais j’ai finalement eu l’autorisation de la Sogema (Société de Gestion des Marchés Autonomes) pour les prises de vues dans le marché.
Outre les difficultés administratives, quelles sont les réalités auxquelles vous étiez confrontées une fois au contact des vendeurs et riverains du marché ?
Je dois avouer que c’était compliqué de recueillir les informations dont on avait besoin. Lorsqu’on débarquait, les bonnes dames et autres vendeurs du marché nous prenaient pour des agents de l’Etat venus faire des recensements ou autres contrôles dans le cadre du déplacement du marché. Ce qui ne facilitait pas du tout les premiers contacts. Outre ces difficultés, nous avons été confrontés à une autre réalité : celle du Coronavirus. Les gens étaient vraiment sur les nerfs à cause de la mévente due à la pandémie. Je dois reconnaitre que sans la volonté de Dieu ce projet n’irait jamais à son terme car pour ce qu’il est des difficultés, il faut dire qu’on en a rencontré de plusieurs ordres. Tout était en place pour empêcher la réalisation du projet.
Pour qui connait un peu l’histoire de Dantokpa, le cultuel occupe une place importante dans la vie du marché. Alors quelles sont les informations que vous avez recueillies dans ce sens-là ?
En Afrique et qui plus est au Bénin, le spirituel ne se sépare pas du naturel. L’histoire nous révèle qu’un marché ne se créé pas de façon anodine. Il y a toujours le côté cultuel ou spirituel dans la création d’un marché. Le nom Dantokpa dérive d’ailleurs d’une divinité qui est le ‘’Dan’’ (serpent, dieu de la prospérité). Nous avons d’abord cherché à comprendre d’où vient le nom Dantokpa. C’est ainsi que nous avons découvert que le nom Dantokpa est une dédicace à cette divinité et qu’il y a au sein du marché deux temples de cette divinité. L’un est situé à Gbossodji (stand de vente de moutons) au centre du marché et l’autre au niveau de la berge lagunaire non loin de Sigboglouè (stand dédié aux accessoires de beauté). Cette histoire est à découvrir dans le catalogue.
L’histoire du lien entre cette divinité et la prospérité du marché est plutôt passionnante. Nous nous y sommes d’ailleurs attardés dans le catalogue pour permettre aux gens de mieux cerner cet aspect.
Pour l’avoir sillonné pendant 5 ans pour un travail scientifique, qu’est-ce que vous retenez du marché Dantokpa ?
J’ai été impressionné par les découvertes que j’ai faites grâce à ce travail. Il y a un brassage culturel énorme à Dantokpa. Des langues y sont parlées et des gens de diverses nationalités cohabitent. Il y a des maisons en plein cœur du marché et j’ai fait la rencontre de personnes qui y sont nées, ont grandi et vieilli. J’ai eu la chance de faire la connaissance de dame Joséphine Gnonlonfou qui y vend des bouteilles depuis 50 ans. J’en ai rencontré d’autres qui ont 30-40 ans d’expérience professionnelle à Dantokpa. Ces découvertes m’ont personnellement marqué. Plusieurs parmi les gens interviewés ont confié avoir fait des chiffres d’affaires énormes. Certains ont envoyé leurs enfants étudier dans les plus grandes universités du monde.
Le plus touchant c’est qu’il y a plus de 30.000 ambulants qui viennent bras ballants, acheter des articles pour ensuite les revendre dans le même marché. Ils font leur chiffre d’affaire qui leur permet de vivre, et retournent chez eux le soir comme un simple fonctionnaire. Dantokpa a beaucoup de facettes. Je ne savais pas avant ce travail que le marché s’anime aussi la nuit par exemple.
Je sais qu’il y a plusieurs autres théories mais pour moi, Dantokpa est indéniablement le poumon de l’économie béninoise.
Vous n’êtes pas sans savoir que le marché Dantokpa sera déplacé, quel est votre avis par rapport à cela ?
Je ne suis pas économiste ni environnementaliste, je fais juste mon travail d’artiste archiviste. Aujourd’hui au Bénin le développement va à la vitesse de la lumière, donc il faut garder des traces du passé. Quand on parlait de l’assainissement de la voie publique tout le monde se plaignait, mais maintenant quand on voit le travail qui est fait on est tous heureux.
Un mot pour conclure cet entretien ?
Je pense qu’en Afrique en générale et plus particulièrement au Bénin nous ne valorisons pas nos archives. Des recherches que j’ai faites, j’ai remarqué avec grand regret que pour avoir des informations de notre pays, il faut aller à l’extérieur et payer pour les avoir. Des archives de notre histoire sont bien entretenues à l’Ina (Institut National de l’Audiovisuel) en France alors que nous-mêmes n’avons rien. Et c’est bien dommage. Le monde évolue. On est en 2021 et il faut qu’on arrête de se reposer sur la tradition orale seulement. Le cerveau de l’Homme est comme une machine et peut être défaillant à un moment donné. Les contes, le système de ‘’bouche à oreille’’ et autres ne suffisent plus pour léguer ou transmettre notre histoire. Il nous faut archiver.