Paterne Tchaou est un journaliste culturel du Bénin. Il est également le Promoteur du Festival des Arts Mahi et d’Ilé Ifè (FAMI). Jeune acteur et très actif dans l’environnement artistique béninois, il s’insurge contre la somnolence dans laquelle est plongé depuis près de deux ans le secteur des arts et cultures de son pays. « La douleur est vive » et il nous le fait savoir à travers cet entretien. Paterne Tchaou est l’invité de Dekartcom.net de ce mercredi 17 janvier 2018.
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Dekartcom.net : Depuis la prise du pouvoir de l’actuel régime au Bénin, nous constatons une stagnation du secteur des arts et de la culture. Fondamentalement, rien n’a bougé. Le secteur et ses institutions sont sclérosés. En tant que jeune acteur culturel, la douleur est vive, n’est ce pas ?
Paterne Tchaou : Elle est vive. Je reviendrai posément à votre question. Mais pour l’instant, je voudrais passer par ce canal pour présenter les vœux les plus sincères au Président de la République et à ses collaborateurs en particulier le Ministre en charge du Tourisme, de la Culture et des Sports. Je souhaite aussi une fructueuse année à tous les acteurs culturels. Que cette année soit celle du plein épanouissement de leurs projets. Cette année doit être celle de la rupture effective avec l’inertie culturelle. Je suis à nouveau à vous pour répondre à votre question.
En effet, l’arrivée du régime de la Rupture et du Nouveau départ a donné naissance à une vague de réformes. L’annonce des grands chantiers de restructuration et de réorganisation de l’administration publique n’a pas épargné le secteur culturel. La réforme la plus visible effectuée selon moi est le changement de dénomination du Fonds d’Aide à la Culture qui est devenu Fonds des Arts et de la Culture. Ce nouveau FAC n’ayant pas de légitimité administrative ressent d’énormes difficultés à décoller. Il faut rappeler que l’ancien FAC devait des fonds à certains acteurs culturels. Le solde des gros projets et les projets individuels. Et jusque là, aucune suite favorable n’a été donnée pour ces acteurs qui ont contracté des dettes pour exécuter des projets culturels au nom de l’Etat Béninois. C’est un manque de responsabilité qu’il faut corriger et assumer pleinement puisque l’État est une continuité.
Par ailleurs, nous assistons à cette inertie culturelle aujourd’hui pour diverses raisons. Il y a une absence de législation sérieuse et ambitieuse dans la pratique des arts et de la culture au Bénin. Et les acteurs culturels qui doivent y travailler et l’exiger aux autorités publiques ne parlent pas d’une même voix. Il n’existe aucune plateforme consensuelle et impartiale de réflexion et d’actions. Et cette situation est un prétexte qui renforce la mauvaise perception que les autorités se font déjà du secteur et des acteurs. C’est ce qui fait que chaque ministre fait son ‘’One man show’’ sans une réelle prise en compte des priorités des acteurs. Il faut travailler à un cahier de charge clair qui sera annexé à un calendrier précis pour une relance du secteur culturel.
Le ministère des Arts et de la Culture doit être un ministère autonome et non rattaché, pensent certains observateurs. Êtes-vous du même avis ?
À observer de près le climat actuel, on serait tenter de leur donner raison. Nous ne disposons pas de tous les éléments d’analyse qui ont poussé l’autorité à prendre une telle décision de fusion, par conséquent, nous ne pourrons pas juger. Mais à notre humble avis, nous pensons fièrement qu’un pays comme le Bénin avec tout son potentiel culturel et artistique doit disposer d’un département ministériel à part entière.
La France que nos autorités prennent toujours comme exemple n’a pas fusionné les deux départements. La culture est la sève de notre développement social, économique et éducatif. Elle est d’une importance indiscutable. Toute fusion avec n’importe quel autre département est un permis de sous-développement. C’est la culture qui nourrit le tourisme. Les touristes ne viendront pas contempler notre état d’assimilation mais ils viennent voir comment est ce qu’on se nourrit, comment est ce qu’on s’habille. Ils viennent pour danser sur nos sonorités, tenter de fredonner nos chansons. Ils viennent pour constater la différence entre notre écosystème, notre environnement social et leur civilisation.
Le Président Patrice Talon compte sur le tourisme pour atteindre ses objectifs de développement. Et je pense que s’il veut réellement les atteindre, la culture doit être son fer de lance. Il importe donc que le secteur ne soit fusionné à aucun autre département pour laisser le potentiel culturel s’épanouir pour nourrir convenablement le tourisme. Cela n’a rien à avoir avec la personne du Ministre Oswald Homéky dont nous reconnaissons la compétence et le dynamisme dans le secteur des Sports. Mais nous proposons une autonomisation du ministère de la Culture afin de permettre que les réformes soient faites avec le concours des acteurs culturels car on ne peut pas faire le bonheur d’un homme sans sa volonté.
Et justement en parlant d’eux, les acteurs culturels ne parlent pas d’une même voix. Vous venez de regretter l’absence d’une plateforme impartiale des acteurs. Est ce que cela empêche l’autorité de les écouter ?
Un adage dit que « Trop de viandes dans une sauce ne la gâte pas ». S’il y a plusieurs voix discordantes, l’autorité peut mettre de l’ordre en accord avec les concernés. Cela doit aussi fait partie des réformes institutionnelles qu’il faut opérer pour avoir une seule instance représentative de la corporation. Il y va de l’intérêt des autorités comme des acteurs culturels car cette situation de flou arrange les criquets pèlerins et les spécialistes de couloir. Je voudrais exhorter le ministre Oswald Homéky à se mettre au dessus de la mêlée. Il doit s’ouvrir aux acteurs culturels afin qu’ils l’accompagnent dans la réussite de sa mission.
La reconnaissance professionnelle de l’artiste reste toujours un problème. Les réformes du statut et de la maison de l’artiste peinent à s’appliquer. Apparemment ce n’est pas la priorité ?
Je parlais tantôt de l’absence d’une législation sérieuse et ambitieuse. Le décret 2011-322 du 2 avril 2011 portant statut de l’artiste en République du Bénin ne règle pas le problème sans sa mise en œuvre effective. On ne peut pas parler du statut de l’artiste sans une maison de l’artiste. Le Pouvoir public doit connaître les urgences du secteur. L’effectivité de cette réforme va permettre aux artistes de connaître leurs devoirs afin d’exiger leurs droits. Le droit d’auteur, les droits voisins, le droit à un contrat de travail, à une rémunération, à la formation continue, à des espaces de création et de diffusion, à la sécurité sociale, aux allègements fiscaux, sont autant d’éléments qui relèvent de la compétence du pouvoir public qui doit aussi travailler à éviter les concurrences étrangères déloyales afin de garantir un climat de saine émulation et de prospérité à ses citoyens artistes.
Une fois que les droits des artistes seront respectés dans un climat sain, je pense qu’ils pourront aisément accomplir leurs devoirs et cesser de paraître comme des amuseurs de galeries ou des déshérités. L’artiste est un métier comme le médecin, l’avocat ou le policier. Son rôle est aussi indispensable qu’important dans l’équilibre psychique des citoyens. Il faut donc que les autorités reconnaissent et s’y conforment afin de restaurer l’image du travailleur ‘’Artiste’’.
Une fois que le Ministère des Sports est associé au ministère de la culture, c’est une occasion pour lancer par exemple les classes culturelles à l’instar de celles sportives ? Vous ne pensez pas ?
C’est une belle opportunité mais en même temps cela peut être un cimetière pour les jeunes talents scolaires si on n’y prend pas garde. Les formateurs des Classes sportives proviennent de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Physique (INJEPS) selon mes informations. C’est une structure crédible de formation dans le secteur sportif. Dans le secteur des Arts et de la Culture, des efforts de centre de formation se font aussi bien dans le public que le privé. Nous savons tous la qualité de la formation reçue à l’École Internationale de Théâtre du Bénin (EITB). Nous reconnaissons le travail effectué par l’Institut National des Métiers d’Arts, d’Archéologie et de la Culture (INMAAC) et bien d’autres.
Alors il faut faire appel à ces compétences pour former ou renforcer les formateurs de ces Classes culturelles. Pourquoi ne pas mettre même en place en accord avec l’INMAAC un programme de validation des acquis pour permettre aux professionnels de mettre leurs compétences et expériences au service de la nation et de ces jeunes talents. Tout ceci permettra d’éviter l’amateurisme et la contre performance dans ce processus d’éducation culturelle et artistique qui passe par nos établissements scolaires.
Un mot pour conclure l’entretien
Je souhaite vivement que la pratique artistique et culturelle ne sombre pas dans notre pays. Nous devons à tout prix nous opposer à l’inertie culturelle et artistique. Les valeurs humaines, artistiques et culturelles existent dans ce pays. Les compétences qui doivent construire ce pays sont disponibles, il suffit que les autorités publiques sachent à qui confier quoi.
C’est une question de couloir et d’expérience. Chaque compétence doit être gérée dans son domaine d’expertise pour pouvoir être efficace. Je notifie humblement au Président Patrice Talon, au Ministre Oswald Homéky qu’il y a les compétences qu’il faut dans le secteur culturel. Il suffira juste de bien prospecter chaque secteur et ceci sans subjectivité. La Culture est la seule matière première du Bénin. Ce n’est pas autre chose. Notre intelligence ne doit pas nous perdre. Ne cherchons plus loin.
Réalisation : Esckil AGBO