« Pour comprendre une personne qui plus est un artiste, il faut chercher à la connaitre… »
Après la sortie de son premier livre « Ailleurs presque nulle part », (poésie) parue en 2019 en France, le journaliste-écrivain béninois Eric Azanney revient sur le marché livresque et cette fois-ci avec un essai intitulé « Engagement artistique et identité ». Interviewé le lundi 6 septembre 2021 à Cotonou, l’auteur revient sur les coulisses de la réalisation de ce nouveau joyau qu’il a édité au Bénin chez « Savanes du continent » et qui met la lumière sur trois grands artistes africains d’origine béninoise.
Eric Azanney, le 4 septembre 2021, vous avez mis sur le marché un nouveau livre intitulé « Engagement artistique et identité ». Que peut-on savoir de cet ouvrage ?
Engagement artistique et identité est un essai qui prend en compte trois artistes d’origine béninoise mais que je préfère désigner par « Africains ». Il s’est agi dans un premier temps de les sélectionner en considérant les orientations de leur travail, la convergence de leur souffle, l’écho de leur succès, pour ne citer que ces points-là. Nous espérions, en amorçant ce chantier, contribuer à la réception du travail de ceux-ci par les publics, et dans la foulée, soigner des convictions, susciter des vocations. Les artistes ne créent pas ex-nihilo. L’art n’est généralement pas un hasard. Et les créateurs, derrière leur projet esthétique, s’investissent souvent de précieuses missions. Il revient aux publics d’avoir la sensibilité, l’attention, la patience et parfois l’humilité de cerner les aspirations en présence. Aussi, pour comprendre une personne qui plus est un artiste, faut-il chercher à la connaitre, la sonder, savoir d’où elle vient, dans quel environnement s’est-elle construite, les choses qui comptent pour elle, etc. C’est le travail qui a été fait dans le livre Engagement artistique et identité qui s’est penché sur les artistes Ousmane Alédji, Sylvestre Amoussou et Dominique Zinkpè. Le livre est fait de longs entretiens autour de la vie, l’œuvre et les opinions de ces créateurs de différentes disciplines mais avec bien des caractéristiques en commun. Une partie annexe boucle l’ouvrage, avec des articles de critique écrits sur le travail des trois artistes. Le tout est précédé d’une préface signée par le Professeur Yacouba Konaté de la Côte d’ivoire qu’on ne présente plus.
Nous avons bien des talents au Bénin. Vous auriez pu faire un trio : Alougbine Dine, Romuald Hazoumè et François Okioh. Ou encore : Georges Adéagbo, TolaKoukoui et Jean Odoutan. Mais votre choix s’est porté sur ces protagonistes, alors l’on est bien en droit de se demander ce qui a motivé ces choix.
En effet. De talents, le Bénin en regorge suffisamment dont ces trois-là. Tous les noms que vous venez de citer ont beaucoup de mérites, d’ailleurs, ils ont tous étés évoqués dans le livre, au cœur des échanges. C’est vous dire que l’universitaire Dr Philémon Hounkpatin a certainement raison lorsqu’il parle de ce livre, dans son texte de présentation rédigé pour le lancement, comme étant une « contribution à la rédaction de l’histoire de l’art béninois ».
Pour répondre plus clairement à votre question, en plus d’être relativement de la même génération, Ousmane Alédji, Sylvestre Amoussou et Dominique Zinkpè, selon nous, partagent l’affirmation de soi et l’autodétermination que leur engagement insuffle à leurs œuvres, quel que soit le médium. C’est vrai, on aurait pu ajouter un artiste ou deux artistes à la liste mais le but n’était pas non plus d’être exhaustif dans ce travail circonscrit au thème de l’« engagement artistique et identité ». Aussi avons-nous d’autres chantiers déjà entamés qui prendront en compte une autre catégorie de personnes dont peut-être certaines de celles que vous citez.
Nous sommes curieux d’en savoir sur les coulisses de réalisation de ce projet. Par exemple, combien de temps y avez-vous consacré ?
Il faut dire que sur la liste de départ, ils étaient six, après cinq et finalement nous avons estimé qu’avec trois nous pouvions bien faire le travail et faciliter la consommation aux lecteurs.
Comme évoqué dans l’Avant-propos du livre, la première interview a démarré en 2017 et c’était avec Dominique Zinkpè. Mais le questionnaire a été élaboré vers la fin de l’année 2016. Ce n’était pas si évident, vu qu’ils sont tous des artistes avec beaucoup de sollicitations. Certains entretiens se sont faits sur plusieurs mois, d’autres en quelques jours, à domicile, au bureau, dans un espace public, etc. Une fois les interviews en boite, il y a la transcription, vous le savez très bien, ensuite lectures, relectures, reformulations, harmonisation, accord des interviewés pour « Bon à publier ». Enfin l’édition qui est une autre paire de manche.
L’édition, justement ! Votre récent livre qui est de la poésie, vous l’avez sorti en France en 2019. Pourquoi l’option du Bénin, pour ce livre dont nous parlons aujourd’hui ?
Merci. Le choix d’une maison d’édition, c’est surtout en fonction de la cible du projet de livre qu’on porte. Ce projet-ci, je savais que je le publierai au Bénin même avant la publication d’ «Ailleurs presque nulle part» chez un éditeur français. Pour la simple raison que malgré tout ce qu’on peut reprocher à l’édition au Bénin, ma première cible pour Engagement artistique et identité se trouve au Bénin et en Afrique. J’ai envie que les jeunes béninois et africains lisent ce document, les moins jeunes aussi. Le publier en Europe exclurait facilement les lecteurs d’ici dont le pouvoir d’achat de livre tourne autour de 9 Euro, alors qu’un livre de plus de 200 pages coûterait dans les 18 voire 20 Euro minimum quand c’est édité en France. Le choix du Bénin aussi parce que ça fait plus cohérent de se faire éditer chez soi, lorsqu’on parle d’engagement et d’identité.
Cela ne voudrait pas dire que la cible pour ma précédente publication n’était pas le Bénin ou l’Afrique. Même si on sait que la poésie, de toutes les façons, a son public d’initiés (presque) et qu’elle ne brasse pas du grand monde comme le roman, la nouvelle, je tenais à être lu par qui le souhaiterait quelle que soit sa localisation et pouvoir donc être distribué vers n’importe quel lecteur intéressé. Ce qui fut le cas, puisque des personnes connues comme inconnues de partout dans le monde me contactent pour me dire ce qu’ils pensent de ma poésie qu’ils ont pu trouver à lire. Mais ce n’est pas tout ! Je n’avais pas eu à investir de l’argent pour être publié ailleurs, pour la simple raison que c’était à compte d’éditeur, le texte leur a plu et ils ont accepté de le publier sous contrat.
Vous voulez dire que pour Engagement artistique et identité, il a fallu que vous déboursiez de l’argent ?
C’est le cas. L’édition locale (je parle du Bénin et dans une certaine mesure de l’Afrique), malgré toute sa bonne volonté arrive rarement à proposer à un auteur l’option « à compte d’éditeur ». Elle n’a pas les moyens de prendre des risques. Sous d’autres cieux, il y a des subventions et ou exonérations. C’est aussi une question de politique culturelle, nous y arriverons je l’espère. Alors pour en revenir à notre sujet, oui j’ai dû payer l’édition de ce livre et il n’y a pas lieu de s’en plaindre, je savais à quoi m’attendre.
Mais alors quelles ont été vos sources de financements ?
C’aurait été soulageant d’en avoir eu plusieurs en dehors de soi-même. (Sourire).
Vous savez quand même qu’au Bénin il y a un Fonds des Arts et de la Culture (FAC) et que vous pouviez vous faire soutenir pour un pareil projet ?
Oui. Et je pense comme vous, à vrai dire. Autant j’aime à penser qu’il ne faut pas compter sur une force extérieure à soi a priori pour exécuter un projet qu’on porte, autant je me dis : c’est quand même un fonds mis à disposition par l’Etat béninois au bénéfice des créateurs et de la promotion des arts et de la culture du pays au plan national qu’international. Alors vu qu’il s’agit non seulement de livre mais surtout d’un qui parle d’artistes importants de trois différentes disciplines, je me suis dit : pourquoi pas ? J’ai donc aspiré au financement du FAC en remplissant les formalités nécessaires mais rien. De mars à septembre, je n’ai pas eu de retour. Que nenni ! Alors évidemment on ne va pas pleurnicher comme un enfant capricieux à qui on a refusé une sucrerie. (Sourire). On va supposer qu’il y a beaucoup de demandes et qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde ou qu’il y a des projets plus pertinents à accompagner. Une curiosité me taraude néanmoins l’esprit après mes investigations et j’entends bien profiter de votre question pour la partager : y aurait-il aux yeux des responsables du FAC des disciplines artistiques plus dignes d’attention que d’autres ? Dans un autre contexte, je vous en dirais volontiers sur ce que j’ai découvert. Je vous dirais par exemple qu’au cours de cette même année 2021 qui n’est pas encore finie, une même personne ou organisation a été financée trois fois.Mais ici, je ne m’étalerai pas davantage là-dessus parce qu’on parle de la sortie de mon livre qui est un événement heureux.
Que diriez-vous pour conclure cet entretien ?
Inviter tout le monde à se procurer Engagement artistique et identité. Il coûte 5 mille francs Cfa en Afrique. Merci à Dekartcom.net pour son intérêt.