Entretien avec le comédien Mathieu Koko

« Le milliard culturel, aujourd’hui  n’a rendu aucun service à la nation béninoise. »
Très jeune mais pétri de talents, Mathieu Koko est un artiste comédien qui  s’investit assez dans l’art scénique béninois. Acteur, ayant joué dans plusieurs créations, il aborde via un entretien qu’il nous a accordé  les maux   qui entravent  l’épanouissement  réel  du  secteur théâtral de l’ancien Dahomey. Selon lui, c’est le milliard culturel octroyé chaque année aux artistes qui est la principale source de l’état regrettable actuel du théâtre béninois

Dekartcom : M. Koko, que pensez – vous de l’état actuel du théâtre béninois ?
Mathieu Koko : Je vous remercie pour l’attention que vous portez pour le théâtre. En ce qui concerne le milieu théâtral au Bénin, je pense que les choses sont au ralenti. Ce qui marque l’évolution du théâtre, c’est la création ; lorsqu’il y a création, lorsqu’il y a distribution, on dit que le théâtre évolue. Or  depuis un moment les créations deviennent vraiment rares au Bénin. Les metteurs en scène qui créaient vraiment, je veux parler de Tola Koukouï, d’Ousmane Alédji, de la Ligue des professionnels du théâtre du Bénin et autres personnes, sont aujourd’hui en veilleuse. On ne les voit plus  vraiment créer. Est-ce  parce qu’ils ne sont plus inspirés ? ; est-ce c’est  parce qu’ils ne veulent plus créer ? Est-ce c’est parce qu’ils manquent de moyens  pour créer aujourd’hui  de spectacles au Bénin ? La problématique tourne autour de tout cela. Les questionnements tournent de tout cela. C’est vrai qu’entre 2012 et 2013, il y a eu quelques créations mais la majorité de ces créations sont financées par le Pscc. Avant ces créations, on n’a pas vu d’autres.  Pour récapituler, je peux dire que le théâtre au Bénin souffre énormément. C’est clair qu’il est en régression. A part le Fitheb qui marche d’ailleurs à reculons. Le Fitheb ne marche pas en matière de la qualité des dispositifs organisationnels  et aussi la qualité des spectacles qu’on amène n’est pas à la hauteur de ce qu’était le Fitheb. Voilà  autant de choses qui font que le théâtre ne progresse pas, la plupart des comédiens sont devenus des porteurs de projets. Ils ont tous aujourd’hui des festivals. Si tout le monde quitte la planche pour organiser de festival, c’est clair que  le théâtre ne peut plus vivre puisque tous ceux qui doivent jouer sont devenus directeurs de festival. Il y a également le problème de financement.

Dites-vous que c’est l’augmentation vertigineuse des porteurs de projets qui retardent le théâtre béninois ?
Nécessairement pas. Le problème des festivals, c’est autre chose. Mais nous avons remarqué que la majorité des comédiens sont devenus organisateurs de festival. Ceci parce qu’ils chôment. Si tu es comédien et qu’il n’y a pas création, c’est que tu ne vis pas de ton art. Dans ce cas, ils jettent dans l’organisation des festivals qui est apparemment plus facile pour eux. Le problème de la multiplication  des festivals a aussi ses causes.  C’est une situation qui conduit à se demander si le théâtre peut nourrir au Bénin. Ceci parce que pour vivre du théâtre, il faut jouer. Donc il faut qu’il y ait création, il faut qu’il y ait diffusion. En ce moment, le comédien gagne son salaire. Si tu es comédien dans un pays où il y a à peine deux créations dans une année et que tu n’es pas le seul, imaginez ce que cela peut donner. Le théâtre ne peut pas nourrir son homme au Bénin si on ne repense pas l’organisation du secteur, si on repense au mode de financement du secteur.

A qui le tort, les autorités ou les comédiens ?
A mon avis pas les comédiens. Nous sommes dans un monde où les  autorités participent contribuent à la régression du secteur en y injectant  de l’argent frais ; en cherchant  par tous les moyens de l’argent. C’est ce qui fait que notre système est à ce niveau. Le théâtre ne nourrit pas encore son homme au Bénin pour une seule raison : c’est  parce qu’il n’y a pas  création ; et ceci parce qu’il n’y a pas de moyens. C’et tout.

Nous avons des festivals un peu partout dans le pays. Mais l’impact direct de ces festivals sur le patrimoine culturel de notre pays est de taux zéro. Les gens n’organisent pas les festivals dans l’intention d’apporter un plus à la promotion des valeurs  culturelles de notre pays. Prenez l’ensemble des ces festivals  qui s’organisent : quel est le plus que ces festivals apportent  à la promotion des valeurs culturelles, à la promotion des arts du Bénin ? Ce sont des événements qui ne seront pas pérennes. Ceci parce qu’ils manquent de structures, ils manquent de nouveautés; ils n’apportent pas grande chose à la culture de notre pays. Il y a tellement de festivals  et  pourtant les acteurs culturels chôment. Il ne peut pas avoir tant de festivals dans le pays pour que les comédiens  ne trouvent pas à faire. Les festivals sont comme un marché de vente de produits ; donc ils arrivent lorsque la production existe. C’est-à-dire qu’on a produit tellement de bières, qu’on en a de stocks alors qu’on ne trouve pas de marché d’écoulement de bière. Il faut alors créer des buvettes  pour que des gens aillent boire. On distribue la bière dans cette buvette et les gens iront boire. Les festivals sont comme les buvettes, les bières sont comme les acteurs, les producteurs, les œuvres d’art. Les festivals devraient donc proliférer lorsque, tellement il y a de compagnies dans le pays qui créent des œuvres, des spectacles et qui ne trouvent pas de marchés pour les diffuser.  C’est à partir de ce moment que les festivals doivent venir. Maintenant c’est l’inverse. On crée d’abord les buvettes avant de remarquer qu’il  n’y a pas de bières pour aller en produire. C’est ce qui se passe dans le pays et personne ne réagit. On lutte même pour le financement de ces événementiels au détriment  de la production artistique.

Que deviennent  les festivals scolaires, l’entreprise par excellence  qui les artistes comédiens béninois ?
D’abord, je vais vous dire les festivals scolaire notamment ceux  du théâtre scolaire sont à encourager, ils ont à promouvoir. Mais ce, à quoi on assiste aujourd’hui nous amène à se demander si vraiment  de cela qu’on a besoin.  Il y a quelques  années en arrière, le Bénin n’avait pas une école de théâtre. La seule école qui existait et qui formait les comédiens, c’était  le ‘’ Festival du théâtre scolaire Kaléta’’. Il est et demeure  jusqu’aujourd’hui le premier festival du théâtre scolaire au Bénin. Jusqu’en 2003, c’était l’unique festival de théâtre scolaire au Bénin. La génération  de théâtre  qu’on a aujourd’hui au Bénin est sortie de cette ‘’ école’’. 90% des comédiens qui évoluent   sur scène aujourd’hui ont pris par le festival Kaléta ou bien ils ont connu le théâtre grâce au festival de théâtre scolaire Kaléta. A un moment donné, on a senti la nécessité de multiplier ce festival. C’est ce qui a suscité la création au niveau de chaque département la création de festival de théâtre scolaire. Ces festivals qui ont été créés pour porter  haut le festival Kaléta ont été mis en réseau. C’est ce qui a fait créer aujourd’hui le réseau national de festivals de danse et de théâtre scolaire. C’est un réseau qui regroupe sept festivals  qui s’organisent dans les six anciens départements. Mais à un moment donné, on a assisté à une multiplication spectaculaire de festivals. Ce qui a, du coup, fragilisé  les festivals qui ont été créés pour des idéaux.   Ceci parce qu’à un moment donné, il y a eu de l’argent qui est rentré dans le système. C’est-à-dire le fameux milliard culturel. Ce milliard culturel qu’il fallait nécessairement dépenser par tous les moyens. C’est ce qui a suscité de  créations de festivals à gauche et à droite, je dis bien qui a suscité. Tout simplement parce que ces festivals  ne sont pas créés par ambition ou pour des idéaux. Des gens ont créé ces festivals pour juste avoir de l’argent  au fonds d’aide à la culture. Ce sont les administrateurs du fonds d’aide à la culture  qui suscite cela.  Je le dis et je suis prêt à la répéter partout.

Donc vous condamnez les administrateurs ?
Je mets tout le fonds d’aide à la culture dans cette histoire. Le milliard culturel, à mon avis, aujourd’hui  n’a rendu aucun service à la Nation béninoise.

Etes- vous sûr ?
J’en suis très certain. Quand vous prenez  ce qui était  l’environnement culturel  avant  et après le milliard culturel, vous allez vous rendre compte ce milliard culturel  n’a rendu aucun service à notre nation.  On repart à l’éternel problème dont on parle au niveau  du théâtre. Le milliard est en train de faire cinq ans mais  il n’y a pas d’impact. Vous connaissez un espace culturel qui soit bien équipé en matériels de régie, de scène !

Si on vous donnait l’occasion de supprimer le milliard culturel, allez- vous le faire ?
J’ai dit quelque part que si l’occasion se présentait, je dirai qu’il faut supprimer d’abord le milliard culturel et repenser à sa gestion. C’est vrai qu’on a un nouveau directeur qui a des visions louables. Il faut lui   laisser le temps pour voir s’il pourra changer les choses. Ceci parce  que  c’est un système vicieux. Si les gens lui laissent la main, il fera de bonnes choses. Autrement, il ne pourra rien faire car il n’est pas un magicien. Le problème du fonds à la culture, ce n’est pas le directeur. Mais ce sont qui décident de ce qu’on doit faire ave l’argent, les administrateurs.

Mais ce sont vos collègues, ce sont des artistes comme vous qui connaissent vos problèmes ?
Pour moi, ceux -là ne sont plus des artistes, mais des mendiants culturels. Lorsque  vous le prenez individuellement et observez ce qu’ils font, vous verrez 90% d’entre eux ne sont pas des professionnels de l’art.  Ce sont des artistes circonstanciels, des prostitués culturels. La question qui se pose est de savoir comment ils réussissent à se mettre à ce niveau. Pourquoi ne pas dire qu’aujourd’hui ceux qui doivent être administrateurs du fonds d’aide à la culture doivent avoir un niveau intellectuel donné. Ceci  parce qu’il ne s’agit pas de voter mais il est question d’étudier des projets. Il y  en a parmi eux qui n’ont même pas le baccalauréat. Je vais vous dire une chose. Cela fat déjà près de quatre ans  que les festivals scolaires qui se sont érigés, qui ont fait la  promotion du théâtre béninois, qui ont fait la formation des acteurs culturels  béninois  ont reçu de financement du fonds d’aide à la  culture. La seule raison qui justifie cet état de chose est que les porteurs de ces festivals  ne sont pas des gens avec qui il faut négocier ; ce n’est pas des gens à qui il faut donner de l’argent et avoir un retour. On a déjà fait la 17ème édition du festival Kaléta. Un festival qui est créé et qui a eu lieu régulièrement pendant 17 ans au Bénin et que vous décidez unilatéralement  de ne plus financer. Or ce festival a volé de ses propres ailes pendant des années. Les festivals scolaires sont des festivals de qualité ; ce sont des festivals qui se sont édifiés avant le milliard culturel.

Que faire ?
Il faut refaire  les états généraux  de la culture béninoise pour définir ce dont on a besoin dans l’immédiat et ce dont on a besoin à long terme.

Entretien réalisé par Denver C.