Après publication d’une critique de journaliste sur un spectacle qu’il soit de danse, de musique, de théâtre ou d’une œuvre d’art plastique…, les artistes et acteurs culturels concernés adoptent, vis- à- vis du journaliste une stratégie offensive. A l’endroit du journaliste critique, pullulent des menaces à ne pas en finir. Une situation qui devient monnaie courante au Bénin.
Fortuné Sossa est un journaliste culturel, aujourd’hui, Président de l’Association des Journalistes Culturels du Bénin (AJCB). Dix ans en arrière, il fut victime de violentes attaques verbales voire physiques de la part d’un artiste- comédien pas les moindre du pays ; ceci, pour avoir critiqué une représentation théâtrale dans laquelle, le comédien a joué. A dekartcom, le professionnel des médias raconte, comme si c’était hier, l’incident : « c’est un article que j’ai écrit suite à la représentation du spectacle Instincts primaires… combats secondaires mis en scène par Alougbine Dine. Dans mon article, j’ai démontré que la plupart des comédiens sur la scène ont manqué d’être à la hauteur du jeu pour donner à voir un beau spectacle. Dès la publication, l’un des comédiens s’est fâché et a adressé un droit de réponse au journal [j’étais au quotidien La Nouvelle Tribune à l’époque]. Mais ledit droit de réponse était une violente compilation d’injures. La direction du journal a décidé de publier cette compilation d’injures, intégralement, tout en me demandant de rédiger une note de la rédaction pour l’accompagner. Ce qui fut fait. Le comédien en question découvre cette publication et se fâche à nouveau à cause du contenu de la petite note de la rédaction. Il décide d’écrire un nouveau droit de réponse et c’est certain de ses confrères comédiens qui lui ont dit : « Nous le connaissons. Si tu écris, il va aussi écrire à nouveau. » C’est ainsi que l’intéressé à abandonner son ouvrage mais pas totalement. Car, à l’initiative ‘’Vendredi des artistes’’ qui a suivi, il était arrivé tout furieux en demandant est-ce que le journaliste Fortuné SOSSA est dans la salle ? Heureusement pour moi, je n’y étais pas parce que pris par une autre activité. C’est un confrère qui était dans la salle où se déroulait le ‘’Vendredi des artistes’’ qui m’a appelé au téléphone pour m’avertir en ces termes : « Si tu es en route pour venir au ‘’Vendredi des artistes’’, rebrousse chemin parce que tel comédien te cherche avec fureur … Mais ce qui m’avait paru surprenant, le metteur en scène ne m’avait fait aucun reproche, encore moins l’auteur du texte, Florent Couao Zotti qui est aussi un éminent critique d’art et qui avait par ailleurs suivi la représentation. »
Si l’artiste en colère avait croisé le journaliste, qu’est ce qui se serait passé à l’ex- centre culturel français ? Sans doute, les deux acteurs s’en seraient venus aux mains.
Les situations pareilles, après publication d’une critique d’art sont légions. Comme Fortuné Sossa, plusieurs journalistes béninois reçoivent de promesses intimidatrices venant des artistes et promoteurs culturels.
Josué Mèhouenou du quotidien La Nation a, aussi, maintes fois, essuyé leur colère. Contrairement à son aîné, les menaces à son endroit ne sont pas souvent directes. C’est auprès de ses confrères qu’il les apprend. « Un promoteur d’une grande manifestation de musique avait promis m’assigner suite à une publication faite sur l’un de ses évènements. Un papier pour le moins critique, sans parti pris et avec toutes les normes professionnelles requises. J’ai toujours espéré les assignations mais en vain », confie le culturel du journal du service public.
Henri Morgan, une jeune plume engagée au profit de la culture béninoise est aussi victime des menaces voire menaces de mort. Son récent cas est relatif à un article dans lequel il a jugé, trop subjectif le clip d’une des jeunes artistes, actuellement en vogue au Bénin. Au regard de la pesanteur des véhémences à son encontre, le jeune journaliste discerne: « Mon expérience dans la critique des évènements culturels ou œuvres d’acteurs culturels me permet aujourd’hui d’affirmer que les acteurs culturels sont très allergiques aux critiques. Surtout quand ces critiques ‘’défavorables’’ impactent une grande audience et suscitent des commentaires comme le cas sur ma page Jaimelaculture du réseau social Facebook. Même
s’ils reconnaissent (pour la plupart) la pertinence de la critique, leur vœu, c’est qu’elle ne soit pas étalée en public et surtout sur les réseaux sociaux. Autrement, ils concluent que vous avez une haine gratuite contre eux et bonjour les menaces. Si une seule fois dans ma vie professionnelle, j’ai critiqué une œuvre artistique ou un évènement culturel avec l’intention de nuire à un acteur culturel, je ne serai plus de ce monde. Le 31 janvier 2015, un comédien m’a vu et m’a dit qu’il a appris que j’étais gravement malade parce que j’ai critiqué un évènement culturel. Je lui ai répondu que je ne suis jamais tombé malade. Je vous parle la main sur le cœur et mes yeux tournés vers Jésus, l’Unique Seigneur de ma vie. J’en viens à la conclusion que les acteurs culturels, dans leur globalité, ne veulent pas savoir ce que le public pense réellement de leurs œuvres pour s’améliorer ». D’un exemple à un autre, les témoignages se révèlent émouvants.
Donatien Gbaguidi du journal L’événement Précis, Marcel Kpogodo de Le Mutateur et Patrick Hevé Yobodè de L’Informateur, tous, au moins une fois, victimes de ces menaces, se désolent de ce comportement des artistes et promoteurs de leur pays.
Le dernier raconte ses mésaventures, en série : « Ma toute première expérience remonte en 2005, où j’ai produit un Encadré pour fustiger le fait qu’il y avait conflit entre Bless Antonio et Rodolpho Tumba en ce qui concerne le rythme Zékédé. L’un et l’autre des artistes, ne voulait plus me voir. Des menaces par-ci et par-là. Bless Antonio a même tenté un procès contre moi, procès que certains doyens à l’époque ont joué de leurs poids pour éviter. Depuis lors au sein même des nombreuses rédactions que j’ai parcourues, j’ai pu constater que les patrons de presse au Bénin, n’aiment pas qu’on critique quelqu’un dans leur journal. Pire encore, ce sont les confrères, à l’avènement de certaines associations de journalistes culturels, qui exercent sur moi une folle pression pour ne pas critiquer tel ou tel événement.
En 2013, j’ai produit un article sur les festivals BGA/SICA, où je démontrais que ce n’était que du vent. Même si les organisateurs ont reconnu la pertinence de ce que je dénonçais,
ils n’ont pas toutefois apprécié la critique. Des menaces de partout, même de certains devanciers qui avaient fait chemins avec le promoteur de ces deux festivals. J’ai appris qu’il était allé porter une plainte avec une action en justice, qui ne m’a jamais été notifiée. Ceci m’a valu, l’exclusion de leur base de données, et des insultes sur la toile.
La dernière en date, c’est mon article sur le fameux Festival international du Musique du Bénin (FIMUB). Le gâchis, l’improvisation et le souci de se faire plein les poches entre amis avant le départ du ministre Abimbola, ont tué une belle initiative, disais-je. Un article qui dix minutes après sa publication sur mon blog : yobode06.blogspot.com, était à plus de 600 lectures. Trente minutes après, c’est le président d’une association de journalistes culturels, proche du ministère de la culture qui m’appelle pour me demander d’enlever expressément mon article de la toile. S’en suivront d’autres menaces et pas des moindres. Les remontrances de plusieurs autorités du ministère de la culture et artistes, membres du comité d’organisation de ce machin ».
Mais qu’est – ce qu’on leur reproche fondamentalement ?
A cette interrogation, Marcel Kpogodo, président de Noyau Critique, une association des journalistes et critiques culturels répond : « Les artistes béninois, dans leur grande majorité, adorent les plates flatteries, les béates approbations visant à leur faire
plaisir… c’est pourquoi, leurs reproches ne sont pas souvent fondés. Ils vont même jusqu’à croire que le journaliste culturel qui émet des critiques a été instrumentalisé par leurs concurrents ou leurs ennemis pour présenter une mauvaise image de leur manifestation. Moi, je me suis fait des ennemis parmi certains artistes pour avoir simplement émis un point de vue qui semblait désapprobateur par rapport à un comportement artistique donné, dans une œuvre. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à refuser de me saluer après avoir lu des critiques sur mon blog culturel ou dans mon journal, Le Mutateur ». A fortuné Sossa, on reprochait son jeune âge ou peut – être sa petite taille. « Ce comédien trouvait que quelqu’un comme moi n’a pas le droit de juger un spectacle dans lequel il a joué. Il trouvait que j’étais prétentieux », fait savoir le journaliste. Au culturel de L’Evénement Précis, on lui reproche de tuer, par ses critiques des initiatives.
Donatien Gbaguidi: « Ils me reprochent souvent de tuer leurs initiatives par mes écrits et qu’étant quelqu’un de bien lu, je ne devrais plus écrire n’importe comment. Rien de concret en fait. Sinon ils sont souvent d’accord avec mes critiques mais se disent outrés juste parce que c’est moi ». Même jugement à Henri Morgan. A en croire ce dernier, les artistes s’irritent parce que les critiques sur leurs œuvres, spectacles… sont rendues publiques. « Ils reprochent que cela soit fait en public, c’est – à dire, publié dans un journal, sur un blog ou un site. » Ils auraient souhaité que les critiques se déroulent entre le journaliste et l’artiste. Donc en catimini.
Dans ce cas, la critique de l’art garde toujours son sens ?
Non, semble dire le président de l’AJCB, Fortuné Sossa. Pour lui, la critique d’art en
journalisme est l’expression du regard du journaliste sur l’œuvre d’un artiste. L’œuvre peut être une peinture, une sculpture, un roman, une pièce de théâtre, un spectacle de théâtre, de danse, de la musique, etc. La critique du journaliste se fonde sur ses prés – requis, sa culture générale et sa capacité d’analyse. La critique d’art n’est donc pas forcément une arme pour détruire l’œuvre de l’artiste. C’est un genre journalistique pour exprimer ce que l’on a vu et senti au contact de la création artistique avec assez d’objectivité ».
« Elle comporte les aspects positifs et négatifs susceptibles de pousser l’artiste ou le promoteur culturel à améliorer ses prestations », renchérit Donatien Gbaguidi tout en précisant qu’on ne peut être critique de tous les arts. On est critique dans un domaine bien défini.
Par ses analyses, commentaires, le journaliste apparaît ainsi comme le « guide du goût du public ».
C’est pourquoi, Josué Mèhouenou propose aux artistes et promoteurs culturels d’avoir un esprit d’ouverture. Selon lui, « il leur faut aussi un niveau élevé de culture et de connaissance pour savoir qu’un événement culturel bien pensé et géré dans les règles de l’art grandit avec les critiques. »
Pour en arriver là, Donatien Gbaguidi suggère : « que les journalistes qui n’ont aucune notion de critique dans un domaine donné ne s’y hasardent point. Et que ceux qui ont les outils nécessaires pour critiquer continuent de le faire sans méchanceté et sans motivations incongrues. »
Esckil AGBO/ @dekartcom.net