Entretien avec Freddy Massamba : « Le MASA 2020, un tremplin pour les artistes »
17 juin 2020
Cinq hommes arrachent un poteau funéraire au musée du Quai Branly pour dénoncer la «dépossession de l’Afrique»
17 juin 2020

Un jour, une œuvre : Monia Abdelali, le banal mis à nu

D’abord par la peinture puis la sculpture, comme des cris du cœur, Monia Abdelali dénonce les injustices de la société marocaine et met intrinsèquement l’accent sur la condition féminine.

Paroles de femmes : pleines d’agrément, riches d’enseignement. L’œuvre de Monia Abdelali capte d’emblée le regard de quiconque la fixe. Littéralement saisi, comme capturé par la puissance esthétique qui s’en dégage par-delà l’immensité de sa mélancolie. Certes, celle-ci n’est pas le seul motif explicatif de cette sidération. Autre chose se joue dans cette étrange attraction : la composition elle-même, quasi psychédélique, l’articulation des formes obsessionnelles, le mystère qui s’y déploie, le jeu des couleurs.

«Me trouvant en Floride vers les années 90, et comme ce n’est pas très loin de l’Amérique du Sud, j’ai découvert une sorte de brassage: l’art afro blanc. Un mélange très spécial qui m’a poussée, étant très intéressée par l’art africain, à entreprendre des études dans ce sens. La seule chose qui me dérangeait, c’était le côté spirituel de la chose. En Jamaïque, comme d’ailleurs en Afrique, il y a des gens pour qui la statue a une fonction spirituelle dont on recueille la baraka (bénédiction). J’aimais bien ce qui se passait en tant que volume, ni quelque chose de brute, ni en même temps de très profond…c’est ce qui donna à mon art un départ ! The Independant Group, le père de la pop, m’a énormément influencée. Il a beaucoup marqué mon travail et mon écriture lorsque je venais de débarquer dans cette espèce de folie qu’est le pop art, allié de belles couleurs et d’admirables formes. The Independant Group est un mouvement anglais qui s’est formé juste après la guerre mondiale afin de casser le classicisme et l’art abstrait qu’il considérait être un art snob qui demande un bagage culturel pour les comprendre et fait pour une élite intellectuelle… Or, depuis quatre, cinq ans c’est d’ores et déjà une histoire complètement révolue ! Devant l’embarras du choix des produits et objets dont le contenant est devenu plus cher que le contenu, il est évident que le pop art, pour moi, est mort. Car les objets étaient sa muse. C’est là où j’ai compris l’histoire du banal !».

L’univers de Monia est fait de logique et d’absurde, d’illusion et de réel, de violence et d’humour, d’éternité et d’éphémère. Entre le nouveau et l’ancien; moderne et classique; post et pré; entre la couleur et la menace, la lumière et les ténèbres, quelque chose de trouble se joue dans la vision d’une œuvre autant insaisissable que spontanément captivante.

Copie-t-elle la vie ? Dresse-t-elle un bilan des valeurs humaines ? Monia trouve son inspiration dans les grands conflits, la femme, les aspirations de gens, la bêtise journalière et les inégalités.

«La plus belle aventure de l’homme c’est l’homme ! Un être qui m’intéresse énormément. Certes, lorsqu’on s’y intéresse, on s’intéresse également à ses bonheurs, à ses malheurs – aux injustices. Une chose très courante dans – presque – tous les pays. Ainsi, c’est ce qui explique mon intérêt pour les droits de l’homme !».

Monia s’anime tout d’abord de son quotidien, puis réalise des croquis. Elle y rajoute ensuite une vive (quelque fois brute) couleur en utilisant de l’acrylique et rarement -vraiment rarement – de la peinture à l’huile, mais également des collages. L’artiste utilise une palette de couleurs flashy et toujours du carton recyclé. En outre, la technique mixte lui permet de véhiculer, avec ironie et sarcasme, des messages de paix et de s’engager dans les luttes sociopolitiques de son temps.

«Mes personnages sont tous de mon imagination. Ils ne sont jamais ce qui se révèle à l’œil nu ! C’est-à-dire ce qu’on voit au premier abord, au premier degré».

Monia Abdelali donne libre cours à ses coups de gueule, en particulier en rapport avec la condition de la femme arabe d’aujourd’hui. Burlesque et lucide, déroutant et critique, provocateur et dénonciateur, le travail de Monia Abdelali est d’une excellente facture. Comme en témoigne le barbu qui tient une femme ainsi qu’un champignon hallucinogène, «car ils sont très très souvent sous extasy», se moque Monia. Et de relever «Il piétine sur tout ce qu’il ne comprend point». Qui est cette femme ? Que veut-il d’elle ? Pourquoi la tenir ?… Le privilège que le port de la barbe peut faire espérer n’a pas empêché le bouc qui en était pourvu, de se faire tout bonnement dévorer par les loups !

«Cette sculpture est une réponse à l’affaire des jupes courtes. Vous vous rappelez de la polémique en 2015 ? La fille que tient le barbu représente à la fois les deux jeunes ayant comparu devant le tribunal pour atteinte aux bonnes mœurs, lors d’une course habituelle dans un souk à Inezgane, faute à leurs robes jugées indécentes, attentatoires à la pudeur, puisque trop courtes. Horrible ! Elles ont été lynchées, traquées. Craignant pour leur sécurité, elles se réfugièrent dans une boutique en attendant l’arrivée de la police. Ceci dit, une fois sur place les autorités donnèrent raison à la foule et les embarquèrent au poste de police…».

Connu pour son poignant pop art, allant des couleurs criardes de ses toiles, en passant par les sculptures lumineuses, Monia sait faire remarquer ses œuvres provocatrices qui donnent corps aux revendications féministes. «J’ai l’impression d’être une espèce d’équilibriste (rires). Mon âme et mon esprit sont en communion. Quand la société me déstabilise, quand franchement plus aucune logique peut me paraitre acceptable, avec un minimum d’enthousiasme, je m’enferme dans mon atelier et commence à créer. Je me coupe du monde pour le recréer tel que je le perçois et tel que je souhaite qu’il soit…».

Essentiellement préoccupée par la condition de la femme dans le monde d’aujourd’hui, Monia s’insurge également contre la pauvreté, l’injustice… et contre tous les tabous de la société. L’artiste plasticienne mêle sexe, religion et pouvoir.

«Je retranscris un monde, bien qu’existant déjà avec plein de messages, dans lequel on est encerclé par les lobbyistes».

L’œuvre de Monia Abdelali dépasse les cadres chronologiques, techniques et thématiques de cette tendance liée à l’avènement de la société de consommation.

Source

Share and Enjoy !

0Shares
0 0

Comments are closed.

0Shares
0