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Sylvestre Amoussou, réalisateur béninois : « Le cinéma est  une manne financière pour le tourisme.»

Sylvestre Amoussou est  un producteur, réalisateur de nationalité béninoise. Il a, à son actif, trois longs métrages dont deux en 35 mm. C’est un homme qui jouit d’un grand prestige  dans le monde cinématographique africain et européen.   Dans cet entretien qu’il a accordé à dekartcom (en prélude à notre dossier sur le code de la cinématographie béninoise), il fait des propositions pour une loi, bénéfique aux acteurs et consommateurs des œuvres cinématographiques.  

L’interview, c’est  dans les lignes qui suivent

Dekartcom : Quel est votre regard sur  l’état actuel du cinéma béninois ?

Sylvestre Amoussou : Le cinéma béninois n’est absolument pas structuré et pratiquement inexistant. Le plus malheureux, nos politiques n’ont aucune conscience par-rapport au cinéma. Limite s’ils ne le méprisent pas. Ils n’ont aucune vision à long terme de tout ce que pourrait apporter le cinéma à notre pays. Par contre les hommes du cinéma sont là et bien là. Nous avons de bons techniciens, de bons comédiens et de jeunes réalisateurs en devenir. Je suis fier de cette jeune génération.

 Le cinéma béninois, a-t-on remarqué, n’est pas discipliné.  Chacun y va comme il le veut. Ceci,  pour défaut de code de la cinématographie. Qu’est- ce que vous en dites, en tant que réalisateur ?

Il faut professionnaliser le métier. Recenser tous les professionnels. Donner de vrais moyens à la direction de la cinématographie. Et surtout les politiques doivent comprendre l’importance du cinéma aussi bien économiquement que socialement. Ils doivent également comprendre son fonctionnement. Notre cinéma doit avoir une véritable chaîne de production et de diffusion. Aussi tout se structura car uniquement les meilleurs resteront. Le public est très exigeant. Mais faudrait-il encore qu’ils puissent réellement réaliser leurs œuvres.

Le  code   de 1990, voté en 1998  et non promulgué pour  vice de procédure,  vous en savez quelque chose ?

Non, je n’en ai jamais entendu parler. Mes premiers pas derrière la caméra je les ai faits à l’étranger et donc dans un système structuré que je croyais loyal. J’ai donc alors décidé de suivre les pas de nos aînés réalisateurs mais bien vite je me suis rendu compte de la farce qu’est le système de subvention du cinéma africain. Système qui était le seul à exister et donc qui contrôlait les images des Africains. A partir de là mes sens se sont éveillés.

J’ai compris que si nous voulions des images qui nous ressemblent, des images qui nous rendent fiers, des images  qui donnent espoir à notre jeunesse, il fallait que ces images soient financées par les nôtres, je suis donc revenu vers les miens.  Mais il faut également revoir tout le système de diffusion qui a également été détruit. Les politiques  occidentaux ayant également tué tout notre système d’acquisition avec leur soi-disant générosité en donnant à nos chaînes des films gratuits.

Aussi notre culture de la gratuité n’a fait qu’enfler. Combien de dirigeants de nos chaînes n’ont dans la bouche que le mot de « donner » quand vous avez réalisé un film. Et pire, le système international ayant réussi à faire en sorte que notre cinéma ne puisse pas être rentable dans notre propre pays, si nous voulons être diffusés, il nous offre l’aumône pour notre production qui leur permet d’exister sur notre continent. Là, nous avons besoin de l’appui de nos politiques. Là, nous avons besoin que nos politiques imposent leur voix et nous protègent.

Selon nos investigations, depuis ce temps jusqu’à présent, le projet  tarde à revenir sur la table des députés. Avez- vous des informations à propos ?

Non, aucune information. Mais les élections étant proches, il est temps de prendre cette question à bras le corps et à poser les bonnes questions à nos futurs candidats.

Les acteurs du cinéma, selon vous, sont-ils tous prêts pour un code de la cinématographie ?

Bien sûr qu’ils sont prêts. Ce sont les politiques qui rechignent et surtout n’y comprennent rien. De plus, c’est un travail pharaonique. L’Etat doit prendre ses responsabilités pour permettre aux professionnels de travailler dans un cadre bien défini.

Quelles sont les conséquences de ce défaut de code de la cinématographie au Bénin ?

Il y a un manque de création. Donc, les acteurs de ce milieu ne peuvent pas vivre de leur métier. Mais au-delà  du fait que nous ne puissions vivre de notre métier, le plus grave est que nous absorbons les images des autres, la propagande des autres. Notre jeunesse veut ressembler à l’autre au lieu de se construire avec sa propre culture. Nous détruisons socialement et intellectuellement notre pays. De plus, nous n’avons aucun rayonnement à l’international.

Le code, une fois, voté et promulgué, quels en sont les avantages pour toute la chaîne du  cinéma béninois (cinéastes, réalisateurs, producteurs, consommateurs).  

Effectivement, il est primordial d’établir un code de la profession. Mais avant de l’établir, il faut répondre à une première question : « comment rendre notre cinéma et notre audiovisuel viables et rentables? »

Il faut donc penser à la fin de la chaîne avant de penser au début de la chaîne. Le début de chaîne, nous l’avons : des réalisateurs, des techniciens, des comédiens. Nous en avons de bonnes qualités et pratiquement pour tous les postes et j’en ai eu encore la preuve sur mon dernier long-métrage tourné au BENIN.

Donc,  comme je viens de le dire, penser à la viabilité et à la rentabilité en fin de chaîne.

En deux points principaux pour qu’ils soient viables et rentables, il faut un nombre X de productions béninoises.

Pour qu’il y ait un nombre X de production, il faut qu’il y ait un montant X de financement.

Le nerf de la guerre est bien là le financement. Le jour où vous aurez de véritables financements, vous aurez des productions ; dès lors, le métier se structura, il n’y aura pas le choix. Uniquement,  les meilleurs resteront et là, nous arriverons à une véritable professionnalisation.

Professionnalisation veut dire que vous pouvez vivre de votre métier et que le secteur du cinéma devient une économie du pays.

Jusqu’ici les financements les plus importants pour les réalisateurs viennent de l’extérieur (France – Europe). Aussi, ce sont eux qui décident de nos images qui sont donc rares et peu qualitatives car inintéressantes pour la majorité des Africains et donc pour les Béninois et donc avec aucune existence commerciale. « Celui qui paie la note décide du menu ».

Il faut donc un financement qui vienne du BENIN.

Où trouver assez de financement ? Car le cinéma est cher mais il peut également rapporter gros pour un Etat et les politiques doivent le comprendre.

Pour cela il faut par exemple : décider d’un quota de diffusion de films béninois qui sera inscrit dans la loi. Ce quota aura un objectif économique car il apporte une obligation d’acquisition des diffuseurs.  Bien évidemment, il faudra interdire l’acquisition de programmes gratuits (offerts par l’étranger qui tuent et déstructurent notre système et qui plus ai contrôlent notre image).

Aussi,  si nos télévisions paient nos films pour la diffusion ou encore rentrent en coproduction, nous pourrons ainsi refuser de laisser nos films à des diffuseurs étrangers qui nous prennent pour des mendiants et qui nous donnent des miettes pour diffuser

Africa Paradis, un des longs métrages de Sylvestre Amoussou

Africa Paradis, un des longs métrages de Sylvestre Amoussou

largement nos films en Afrique. Surtout que la nouvelle bataille de l’audiovisuel est en train de se déplacer en Afrique comme le reste de l’économie car le cinéma fait partie de l’économie. Nous ne devons pas perdre cette bataille de l’indépendance de l’image.

Nous pouvons également taxer les sociétés étrangères avec un pourcentage pour le cinéma ainsi que la téléphonie. Défiscaliser les entreprises béninoises qui financent la production cinématographique.

Il faut également mettre en place une protection des auteurs. Nous devons également nous battre contre la piraterie qui est une véritable plaie.

Aussi, si nous avons une bonne production, nous pourrons trouver un système économique viable pour des  salles de cinéma qui permettront  à leur tour de tisser un système économique autour d’elles. Mais si les salles de cinéma ouvrent à nouveau, il faut une surveillance infaillible de la remontée des recettes. Pour que cet argent permette de réaliser de nouveaux films.

Aussi, nous voyons que ce domaine est complexe et qu’il a besoin bien évidement des acteurs économiques du cinéma et de l’audiovisuel mais aussi des politiques.

Par contre, je trouve irresponsable que les politiques se permettent de parler de ce domaine qu’ils méconnaissent totalement, et qu’ils laissent à l’abandon dans les mains d’étrangers qui produisent des images qui nous dévalorisent. Pour toute discussion concernant l’audiovisuel et le cinéma, les représentants du cinéma et de l’audiovisuel doivent –être présents.

Il est temps que les politiques comprennent que le cinéma et l’audiovisuel sont de véritables mannes financières mais également des créateurs d’emploi. C’est aussi l’image d’un pays à l’international et donc à nouveau une manne financière pour le tourisme.

Réalisation : Esckil AGBO/ @dekartcom

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