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06 avril 2016- 06 avril 2017. Cela fait un an que le Ministre Ange N’Koué est désigné à la tête du Ministère du Tourisme et de la Culture (MTC). L’heure est donc au bilan et dekartcom en parle avec son invité de la semaine : Espéra Donouvossi, Manager culturel et Chef Programme du réseau panafricain Arterial Network. Selon lui, malgré la bonne volonté de l’exécutif, tout porte à croire qu’en douze mois, le Ministre n’a pu rien faire. « Depuis 12 mois, c’est toujours des réunions, des séances d’explication et ou de validation qui sont toujours terminées à queue de poisson » se désole l’invité du 4ème numéro de notre rubrique L’Entretien de la semaine.

Lisez…

Dekartcom : C’est un nouveau régime qui dirige le Bénin depuis le 06 avril 2016. M. Ange Nkoué, Ministre du Tourisme et de la Culture, dès lors, commença à administrer les affaires du secteur culturel. Douze mois après sa prise de service, quel regard portez- vous sur sa gestion ?
Espéra Donouvossi : Je ne ferai pas l’évaluation du ministre. Le chef de l’Etat, en se basant sur le Programme d’Action du Gouvernement le fera.Personnellement je dois reconnaitre qu’il y a eu une grande volonté politique même si c’est au tourisme qu’on taille la part du lion. Pour une fois, le budget du ministère du tourisme et de la culture dépasse celui de la Jeunesse et Sports et même des affaires étrangères. Les différentes actions diplomatiques pour le retour des œuvres pillées par la France et le président qui invite tout le monde au théâtre nous avaient entre temps rassuré le développement de notre secteur culturel.

Cependant, je constate avec tout le monde que rien n’a changé. Ou si changement il y a, il ne touche pas le secteur et ses acteurs, mais peut-être certains individus promusà certains postes au niveau du ministère. Qui plus est, ce sont des individus qui ne connaissent rien du développement culturel.Entre la présidence de la République, les agences nationales indépendantes et les directions techniques qui se torpillent et se vilipendent entre elles, c’est une gestion malsaine et hasardeuse de notre secteur. En plus, le ministère n’a pas une stratégie fiable, inclusive et transparente de communication. Nous avons beaucoup de difficultés à suivre les actions du ministère et à constater leur impact. Notre ministre n’écoute pas assez les acteurs culturels mais paradoxalement reste ouvert et disponible pour des rencontres matinales ou d’explication et ou de validation.

Oui depuis 12 mois, c’est toujours des réunions, des séances d’explication et ou de validation qui sont toujours terminées à queue de poisson. J’ai eu l’occasion d’assister à trois de ces séances et il n’y a absolument rien de concret qui est sorti de ces rencontres. Les acteurs culturels sont souvent invités comme alibi pour valider un document qu’ils n’ont jamais vu auparavant et qui est sommairement présenté en 10 minutes. Les acteurs culturels béninois n’ont jamais été aussi insultés et clochardisés qu’ils l’ont été les douze derniers mois et pourtant c’est grâce à eux que le pays tient encore.

Entre les acteurs culturels et leur ministre de tutelle règne un climat délétère. Les premiers accusent l’autorité d’avoir entamé des réformes sans les impliquer et dénoncent une gestion calamiteuse du Ministre. Quelle analyse faites- vous de cette situation ?
Les acteurs culturels étaient les premiers à demander des reformes. Certains ont même organisé des séances d’échange, d’analyse des problèmes et de propositions déposées au cabinet et aux mains du ministre. D’autres organisations se sont inspirées des premières propositions pour en faire d’autres dans le souci de respecter les objectifs et les différentes sensibilités du secteur. Ce fut de bonnes guerres. Le ministère prenant en compte certaines de ces propositions tout en s’appuyant sur le projet de société du candidat élu président et aussi sur le programme d’action du gouvernement déroule ses actions. Chose normale.

Par contre le climat délétère provient des difficultés du ministère à mettre en place une méthodologie de travail et de communication avec les acteurs culturels.

Les reformes en cours sont les plus souhaitées, c’est le mode opératoire qui pose de véritables problèmes.Le ministère a besoin de renforcer les capacités de son personnel sur les principes de l’administration et de gestion culturelle. Au niveau du ministère du tourisme et de la culture, les informations sont gardées et entretenues avec une certaine jalousie et dans un esprit de pénurie. Certains directeurs techniques et conseillers ont les numéros de certaines personnes qu’ils invitent par texto pour valider un document en une heure ou deux maximums. Un document qu’on n’a pas eu le temps de lire. Personne ne connait les stratégies de communication du ministère.

Je regrette de dire que nous constatons une opacité accrue autour de la gestion du ministère. Les responsabilités sont peut-être partagées mais l’autorité a d’énormes difficultés à jouer son rôle parce que le cabinet est composé de personnes qui n’ont aucune idée du secteur culturel et des méthodologies de gestion culturelle.

Dans l’expression de leur colère, les artistes s’indignent contre l’attitude du ministre à dérouler l’année 2017 sans saison Artistique. Dites- nous, qu’entend- t- on par saison artistique et quels sont ses indicateurs dans le secteur ?
Une saison artistique est une période de l’année pendant laquelle on remarque une relative constance des activités artistiques et culturelles. La saison artistique devrait permettre des créations, des productions et des diffusions des œuvres à travers des projets et programmes structurants. Dans un passé récent, c’était la pluie de l’ex fonds d’aide à la culture qui arrosait les initiatives et son fonctionnement servait à distinguer les saisons.

Mais de façon honnête, aucun projet financé par le FAC pendant une quelconque saison artistique n’a jamais prospéré ou a laissé un impact. Il n’y en a pas. L’impact qu’il y a c’est que l’artiste dont le projet est financé vit mieux pendant les mois qui ont suivi le financement. Ce qu’on appelait saison artistique c’est exactement la période « de la vache à lait pour paresseux et intrigants » comme le martèle l’écrivain Florent Couao-Zotti.

A l’heure des reformes où le fonds des arts et culture est la principale cible, il ne pouvait pas y avoir de saison artistique avec les mêmes conditions et pendant que les réflexions se poursuivaient. Surtout si des acteurs croisent les bras et attendent le financement de l’Etat. Nous avons tous remarqué que quand d’autres revendiquaient maladroitement le lancement de la saison artistique avec des revendications sur fonds de menace, d’autres initiatives culturelles avaient lieu sans forcément le financement de l’Etat.

Quels seraient les impacts d’une saison artistique bien organisée ?
Une saison artistique bien réfléchie et planifiée devrait devenir une norme qui s’imposera à tous les pouvoirs politiques qui se succèderaient. Pour qu’il y ait une saison artistique réussie et impactant au Bénin, il faut avant toute chose élaborer la cartographie du secteur des arts et de la culture au Bénin. Il faut avoir une idée précise des acteurs et des différentes initiatives et ce à travers toutes les disciplines et dans toutes les villes. Ceci permettra de mieux planifier les différentes activités de la saison tout en impliquant les acteurs et en se basant sur les professionnels recensés.

Je pense que ces préalables sont en place, on a une saison artistique réussie avec des programmes et projets qui permettent d’accroitre la création, la production et la diffusion avec des indicateurs clés qui permettent l’évaluation et l’amélioration.

Une saison artistique qui permet de financer les mêmes projets avec les mêmes objectifs espérant les mêmes résultats pendant plusieurs années ne sera que budgétivore avec zéro impact. Sinon la saison artistique devrait permettre de voir que le Bénin donne rendez-vous au monde entier sur un calendrier stable et précis ; que les artistes béninois trouvent le cadre et l’audience d’expression de leur créativité et les villes deviennent plus vibrantes et créatives.

Le gouvernement a commandité depuis peu un audit au Fonds des Arts et de la Culture (FAC). Cet exercice ou du moins ce contrôle est –il opportun ?
C’est le minimum qu’il faut avant de prendre toute décision ou initier des reformes. C’est une approche professionnelle et responsable. On pourra dire que c’est fait un peu tard mais c’est très bien que ce soit fait. Cependant, un audit ne sert pas à faire chanter des personnes. Le résultat ne sert pas à faire taire certaines personnes qui deviennent trop gênantes par leur prise de position et leur grande gueule. On constate tristement que cet audit ne sert pas à grande chose. Les acteurs culturels n’ont pas connaissance des résultats de l’audit. Aucun acteur culturel n’a été interrogé. Ce rapport devrait servir à évaluer le FAC, identifier les faiblesses et initier des méthodes de son amélioration. Si éventuellement il y a eu mal gouvernance et preuve de corruption ou de détournement, que la justice soit saisie et que les acteurs répondent et remboursent si coupables. C’est seulement ainsi qu’un audit peut être opportun.

Nous remarquons que nombre d’acteurs culturels se dépêchent de nos jours pour trouver une place sur la scène politique. Vous semblez approuver cette démarche. Dites- nous, quel rôle pourrait jouer un artiste dans les arcanes politiques que nous savons, remplis de jeux d’intérêts individuels ?
Il faut partir du fait qu’un artiste est avant tout un homme mais plus doté de créativité, d’humanité et d’un esprit ouvert et flexible. Le problème du monde, c’est que les artistes n’ont pas vraiment eu assez de temps et d’espace pour s’occuper des affaires politiques. Partout où ils s’impliquent le changement est radical et immédiat. Je ne vais pas citer le rôle qu’ils ont joué dans la lutte contre l’apartheid, ni leur rôle dans la révolution tunisienne ni leur histoire dans l’insurrection au Burkina-Faso. Je ne parlerai pas non plus du mouvement Sénégalais Y-en-a-Mare pour aller contre la révision de la constitution et faire plier Abdoulaye Wade.

La dernière élection présidentielle au Bénin a démontré l’engagement citoyen des artistes et leur implication dans la politique du pays. Ils ont à travers des œuvres spécifiques, exprimé une position collective, pour le moins, chacun, en ce qui le concerne, a accompagné la campagne en s’affichant clairement pour ou contre tel projet de société, tel candidat. A l’inverse, pour une fois, les artistes n’ont pas été traités comme des caisses de résonnance destinés à agrémenter les meetings.

De manière générale, un niveau de responsabilité et de respect mutuel a été observé entre le politique et l’artiste, entre le citoyen et le créateur. J’ai bien envie de citer des gens comme Camille Amouro, Ousmane Aledji, Sylvestre Amoussou, Isidore Dokpa, Constantin Amoussou, Florent Couao-Zotti, Orden Alladatin, Kamal Radji, Philippe Abayi, John Acardius , Giovanni Houansou, Frank Behanzin, Judes Zoumenou, Claude Balogun, Mathieu Koko… et la liste est longue. C’est des gens qui ont su hausser le niveau du débat politique avec des propositions et des prises de position qui ont permis une inclusion et participation plus actives des populations sur les différents programmes de société. Les femmes et les jeunes n’ont jamais été aussi actifs et sereins dans le choix lors d’une élection présidentielle au Bénin. C’est l’impact quand on implique les arts et la culture dans tout debat socio-politique.

Parlant du député Orden Alladatin, qu’est- ce que les artistes peuvent attendre de lui ?
Les artistes ne doivent rien attendre d’un individu. Les artistes veulent contribuer à un environnement permissif ou la création règne et les artistes soient plus reconnus et respectés pour leur contribution au développement socio-économique du pays. Je ne voudrais pas me prononcer sur le cas de l’honorable Orden Alladatin qui connait mieux le secteur des arts que le parlement, je suppose.

Monsieur Espéra Donouvossi, vous avez été promu au poste de chef programme au niveau du réseau Arterial Network. Veuillez nous présenter brièvement ce réseau et nous livrer vos impressions sur cette promotion.
Cela fait 10 ans que ce réseau existe et est connu avec une présence effective dans près de 50 pays du continent même si aujourd’hui Arterial Network travaille formellement avec 17 pays. Arterial Network est un réseau panafricain créé en mars 2007 à l’île de Gorée au Sénégal, qui regroupe des artistes, des organisations et des institutions engagées dans le secteur créatif africain.

Sa vision est de travailler pour un secteur créatif africain de la société civile en plein essor, dynamique, et durable, engagé dans une pratique qualitative dans le domaine artistique de plein droit, de sorte à contribuer au développement, aux droits humains et la démocratie, et à l’éradication de la pauvreté en Afrique. Arterial Network est unique dans son genre d’organisation parce qu’il n’est comparable à aucun autre réseau ni àaucune autre organisation sur le continent et au monde. Pour moi, c’est une chance de retourner travailler dans une maison que je connais très bien après 4 ans en tant que chef projet en Afrique du Sud.

Quels sont vos champs d’intervention en votre qualité de responsable administratif de ce réseau ?
Je suis chef programme renforcement des capacités. L’un des axes principaux d’Arterial Network est la formation. Ce programme qui a fidélisé beaucoup de membres et crédibilisé beaucoup d’organisations culturelles sur le continent. Partant des guides pratiques sur la gestion culturelle, la levée de fonds, le plaidoyer, gestion de festivals et autres discours théoriques autour de la culture, Arterial Network a pu s’imposer comme la référence dans les programmes de renforcement des capacités des acteurs culturels. Déjà plus de 75 formations dans près de 25 pays pour plus de 5000 bénéficiaires dont près de 100 Béninois et pourtant le besoin existe toujours.

Mon rôle en tant que chef programme est de réorganiser et de planifier ce programme selon les nouvelles orientations stratégiques d’Arterial Network et dans une logique de hub. Après 10 ans d’existence, le réseau s’est auto évalué et a pris de nouvelles résolutions pour assurer que la vision soit répandue dans une approche inclusive et égalitaire.
A ce poste, j’ai l’obligation de continuer avec les programmes de formation dans une approche novatrice et qui permettra au réseau de demeurer cette pépinière d’éclosion des professionnels des métiers des arts et de la culture.

Nous avons la formation en gestion culturelle dans les villes créatives d’Arterial Network, la formation et l’incubation des organisations, le programme de formation des femmes africaines leaders culturelles. Nous allons rentrer en partenariat avec les centres de formation certifiés pour rendre plus professionnelles nos formations pour contribuer au développement d’un secteur créatif africain qualitatif et viable.

Je souhaite vraiment qu’un jour le ministère du tourisme et de la culture du Bénin bénéficie de l’expertise d’Arterial Network comme c’est le cas au Mali, en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud, au Togo, en Guinée, au Sénégal, en Swaziland, au Zimbabwe etc…

Réalisation : Esckil AGBO / ©Dekartcom_2017

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