Dans cette interview qu’il a accordée à dekartcom à Ouagadougou, lors de la quatorzième édition du Festival International de Théâtre et de Marionnettes de Ouagadougou (Fitmo), le metteur en scène camerounais Ambroise M’Bia a parlé pèle – mêle des difficultés actuelles du théâtre africain. L’ancien élève de l’école nationale des arts et techniques du théâtre de Paris, sous ses 52 ans de pratiques dans l’environnement de l’art scénique a expliqué que ce théâtre, nonobstant ses problèmes, a été et demeure un modèle pour certains Occidentaux.
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Dekartcom : dites – nous ce qui explique votre présence à la 14ème édition du Fitmo?
Ambroise M’Bia : Je crois qu’il s’agit de revivre les souvenirs agréables. J’ai eu à partager avec mon petit frère Jean- Pierre Guingané les souvenirs que je vis avec les comédiens africains qui ont été programmés dans ce festival et que j’ai l’occasion de découvrir. Le théâtre est une famille. Chaque fois que l’occasion se présente, il ne faut pas la manquer parce qu’au théâtre, nous parlons le même langage. Je suis ici pour deux choses. Je dois présider la réunion du centre africain de l’institut international du théâtre. L’institut international du théâtre est un organisme qui a été créé en 1948 par l’Unesco. Il regroupe plus de 120 pays dans le monde qui sont répartis par zone. Il y a le conseil régional Afrique dont je suis le président. Nous comptons 23 pays membres. Il y a aussi qu’à 72 ans, je continue, en faisant un travail que j’aime, que j’ai choisi qui est le théâtre. J’ai donc mis en scène La guerre des calebasses avec des comédiens de plusieurs générations.
Parlant de cette création, sera –t-elle jouée ailleurs après l’étape d’Ouagadougou ?
Je crois que l’un des problèmes du théâtre africain, c’est qu’on monte le théâtre et il se joue une ou deux fois. C’est dommage ! Nous avons le devoir et l’obligation de tout faire pour qu’un spectacle qui est monté soit présenté au public au moins vingt fois. Il faut que ce spectacle atteigne le niveau voulu. En retournant au Cameroun, nous allons la présenter à la télévision et il y a plusieurs pays d’Afrique centrale qui sont intéressées, nous allons finaliser cela.
Quel bilan peut- on faire de l’état actuel du théâtre africain ?
J’ai envie de dire que ce n’est pas le théâtre africain qui se porte le plus mal. Je n’ai pas envie de dire non plus qu’il se porte très bien. Il se porte comme nous, en Afrique, avec ses hauts et ses bas, avec ses grandeurs et ses misères. Le théâtre africain est un théâtre qui a été un modèle pour certains Occidentaux, ce que des gens ne savent pas. Que ce soit les arts plastiques, que ce soit la musique, on a l’impression que nous pratiquons un art qui n’est pas représentatif. Le problème du théâtre africain, c’est que le métier n’est pas structuré. Je prends le cas des jeunes qui sont en formation actuellement. Après leur formation, ils vont devenir quoi ? Puisque le statut de l’artiste n’existe pas. Le fonctionnaire a un statut. Est- ce qu’on a pensé que le théâtre, ce n’est pas seulement des acteurs sur scène ! Le théâtre, c’est des administrateurs culturels, des scénographes, des régisseurs son et lumière, des spécialistes pour le théâtre enfant. Est- ce que nous avons formé notre public pour aller au théâtre ? Nous pouvons former un public pour aller au théâtre en mettant les enfants sur le théâtre pour enfant pour les habituer à aller au théâtre. Comme on les a habitués à aller au football. On ne peut pas faire du théâtre sans un public. Mais ce public rencontre d’autres difficultés parce que l’argent devient chose rare. Un père de famille qui n’a que vingt mille Francs pour aller jusqu’à la fin du mois n’ira pas au théâtre. L’insécurité qui sévit. Ce sont des choses qui portent atteinte au théâtre. Je crois que le théâtre africain a besoin d’être soutenu de façon pérenne. Pas de saupoudrage. Il ne faut pas continuer de faire le provisoire définitif. Essayons d’être un peu conséquents en comprenant que la mission du théâtre est, certes, de divertir mais il éduque également. La fonction éducative du théâtre est importante parce que le théâtre délivre un message important pour la société. Il apporte sa contribution au développement d’un pays. On doit également comprendre que ce théâtre a ses brebis galeuses. C’est comme partout. Il y a beaucoup de problèmes dont le plus criard est le manque de solidarité des Hommes de théâtres.
Qu’est ce que vous proposez pour une porte de sortie ?
Il faut que nos Etats comprennent que le théâtre a un rôle à jouer dans le développement. C’est bien d’investir dans l’alcool, dans le sport et puis tout le monde peut intervenir. Je peux vous dire qu’un directeur de festival n’a pas besoin que de l’argent. Si par exemple, vous êtes, le Maire d’une ville, vous pouvez apporter une aide en termes d’hébergement, d’exonération des taxes d’affichages. La télévision peut faire une réduction au metteur en scène pour lui faire la publicité. Que les autorités nous ouvrent un peu les portes pour que nous puissions évoluer en toute liberté, le théâtre a besoin d’air.
Les hommes de théâtre ne peuvent –ils pas se mettre en partenariat avec les organismes sous- régionaux, régionaux et autres pour trouver de solutions à leurs difficultés?
Il faudrait qu’on trouve des interlocuteurs dans ces organismes qui aiment, comprennent la culture. Il y en a très peu. Voilà un autre problème. Nous fêtons la journée mondiale du théâtre, mais à quand la journée du théâtre africain ? Mais qui va le faire ? En tout cas, ce ne sont pas les acteurs eux- mêmes. Les décisions doivent – être prises par les Hommes qui s’occupent de cela. Je ne dis pas que les Hommes de ces organismes ne font pas leur travail. Mais très peu le font.
Qu’est – ce que vous-mêmes en tant qu’acteurs, vous faites pour résoudre les problèmes du théâtre ?
Nous montons des œuvres en invitant ces personnalités à venir assister aux spectacles. Il faut qu’elles viennent voir ce que nous faisons. Nous organisons des colloques sur ce qu’on doit faire. Il y a des actes publiés. Je crois que notre combat, c’est surtout de produire des œuvres de qualité. Sinon, on va à la dérive.
Au Cameroun, comment se porte la culture notamment le théâtre ?
L’Afrique est indivisible. Le Cameroun ne peut pas faire exception à tous ces problèmes que je viens de soulever. Mais il y a des Etats qui font l’effort pour faire avancer la culture. Au Cameroun par exemple, le Chef de l’Etat a accordé à la culture un fonds spécial, une aide qui me semble assez conséquente d’un milliard de francs. Ce sont des actions qu’il faut saluer.
Est- ce que le théâtre a sa part dans ce fonds culturel ?
Pour ce que je sais, le théâtre n’a pas encore ce qu’il lui faut. Et je crois qu’avec ce fonds, ce n’est pas possible. Je ne sais pas comment c’est géré. Mais je ne peux pas personnaliser. Je parle dans l’ensemble. Je crois que c’est le ministère de la culture qui est le responsable de la politique de la culture d’un pays. Nous devons à partir de cela prendre nous aussi des décisions, des options parce que le théâtre est un secteur important à développer. Regardez au Burkina Faso ce que le théâtre fait pour informer les populations sur la fièvre Ebola. On ne peut pas passer notre vie à faire des choses pour ne faire que rire les gens. Le théâtre pour nous, c’est déjà au départ un texte écrit par un auteur pour la scène. Un metteur en scène qui adapte le texte à la scène, des acteurs qui jouent la pièce, entourés de tous les techniciens à savoir, le scénographe, le régisseur lumière et son, etc. On a besoin de former, ces techniciens, des décorateurs de scènes…
Un appel à la nouvelle génération qui veut faire du théâtre.
Il faut soigner son entrée sur la scène quand on est jeune. Cela veut dire que vous devez tout faire pour qu’on vous remarque. C’est important d’apprendre ce métier et d’avoir une ligne de conduite. Il faut faire son métier, vivre de son art et être représentatif.
Réalisation : Emmanuel Tometin et Esckil AGBO