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Le spectacle Tassi Hangbé : l’harmonie des dualités

Fidèle Gbégnon dans le rôle de Tassi Hangbé. Crédit photo: Tognidaho

La salle rouge du Palais des Congrès de Cotonou a accueilli le mercredi 23 décembre 2021, l’avant-première du spectacle Tassi Hangbé la reine interdite. Texte de Florent Couao-Zotti dans une mise en scène signée par Ousmane Alédji. La distribution de ce spectacle nous laisse des noms connus et respectés de la scène artistique béninoise : Nicolas de Dravo Houenou (Gnansounou), Nathalie Hounvo Yékpè (Dossi), Raphaël Hounto (Roi Akaba), Fidèle Gbégnon (TansiHangbé), Ahissou Tatiana et Ahissou Carine et Rachelle Agbossou (Nan).

La fable du texte renvoie à l’histoire de la reine Tassi Hangbé, sœur jumelle du Roi Akaba, seule femme ayant eu droit au trône de Houégbadja à Danxomè. Elle abdiqua face à la ruse et à la rage de Gnansounou qui défendait le pur-sang de la succession au trône en faisant disparaître son unique fils Tankpinou. Incomprise, meurtrie et blessée dans son amour propre, la reine et sa troupe d’amazone et de meute féminine, resteront des figures assez représentatives de la lutte émancipatrice d’un matriarcat pris dans l’étreinte de la féodalité et du machisme.

vue d’ensemble des comédien.nes ©Tognidaho

Le spectacle que propose Ousmane Alédji est une harmonieuse ambivalence entre les dualités. Tenez, c’est la scénographie ancestrale aux allures modernes qui ouvre le bal des oppositions dualistes. Le décor des Bas-reliefs et des Assen est de Dominique Zinkpè et donne l’impression au loin d’une réalité saisissable. Des séquences du texte sont projetés et cela peut être perçu comme un sous-titrage du spectacle mais autrement cette démarche peut se comprendre comme une parfaite collaboration entre l’oralité et l’écriture qui se donnent rendez-vous sur scène. La cérémonie du deuil qui ouvre la scène avec des costumes en blanc et en noir participent toujours de cette démarche de conjugaison des dualités. Sur un autre plan, la langue française qui vient violer l’entretien télépathique entre la reine Tassi Hangbé et son défunt frère Akaba est quelque peu déconcertante mais cette intrusion s’inscrit dans l’harmonie des dualités quand on se réfère à l’usage des langues nationales dans le spectacle. La précision des tournures du mahigbé dans les dires de Nathalie Hounvo-Yékpè rencontre la magie et la densité du yoruba des Teriba. Les rires et les applaudissements des spectateurs durant certaines répliques de Nicolas de Dravo Houenou sont les preuves du burlesque provoqué par les phrases imagées, les proverbes ou les paraboles à contenu érotique et obscène. Mahi et Yoruba au palais royal d’Agbomè, c’est peut être insolite mais cela participe d’une esthétique linguistique qui permet d’arpenter les pistes des relations fraternelles et amicales entre Yoruba-Fon-Mahi car certaines références historiques renvoient les ancêtres de d’Adja-Tado à Ilé-Ifè.

Ousmane Alédji crée une harmonie dans le système des codes qui désintègre en jeu et en fonctions dramatiques. Il ne choisit pas des acteurs qui vont jouer mais des professionnels pour porter le jeu. Ce n’est pas une comédienne qui joue la danseuse, c’est plutôt une professionnelle de la danse qui s’y met (Rachelle Agbossou). Ce n’est pas des comédiennes qui jouent les chanteuses mais plutôt des chanteuses professionnelles qui portent les chansons (Les sœurs Teriba). Cela ne diminue pas les qualités supra-humaines de l’acteur et de sa capacité d’adaptation au rôle mais cela fonctionne comme une démarche d’aller-retour entre la vraisemblance et l’invraisemblance. Ce spectacle est resté fidèle dans la distribution naturelle des rôles du théâtre africain à l’instar des manifestations saisonnières ou des danses ou contes au clair de la lune où chaque acteur connait son rôle et l’assume avec talent et volonté.

La configuration ésotérique de la séquence du deuil, du détrônement du roi Akaba, de l’intronisation et du couronnement de Tassi Hangbé confère aux spectateurs un autre statut, celui des initiés. Car à Agbomè, seuls les initiés peuvent assister à une telle cérémonie. Ces quelques tableaux ludico-spirituel effacent les frontières entre le sacré et le profane, les mythes et les réalités et tranchent le débat entre superstitions et spiritualités. L’on est tenté de dire que le caractère dualiste des jumeaux est l’épine dorsale de cette création où vivent en harmonie tradition et modernité, oralité et écriture, sacré et profane, mythes et réalités, langue française et langues béninoises, liberté et enfermement, visible et invisible, nuit et jour, bien et mal, homme et femme, patriarcat et matriarcat. Cette création d’Ousmane Alédji nous confond en offrant un duel réel entre les certitudes et les doutes de nos choix et ceux des autres dans le jeu de la vie et du pouvoir.

Paterne Djidéwou TCHAOU

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