Encore plus d’hardiesse dans son choix d’une musique exclusivement de recherche. Jah Baba remonte le niveau de travail sur son chemin d’une musique identitaire béninoise qu’il parcoure depuis une quinzaine d’années. Cette fois-ci, c’est dans une forêt en région nago à Adja-Ouèrè dans le département du Plateau que le compositeur chanteur, ingénieur de son et instrumentiste béninois est allé se recueillir avec son groupe pendant plusieurs jours. A sa rencontre dans la matinée du lundi 24 août 2020 dans son centre, Africa Sound City à Cotonou, l’artiste accepte de nous raconter ce séjour dans un milieu spirituel puissant où se sont produits des événements jamais enregistrés dans sa carrière. Mais comme ce petit garçon décidé à toucher un serpent parce fasciné par sa peau scintillante aux milles couleurs, Jah Baba est motivé à ne pas arrêter de pareilles expériences, vu la bonne, riche et diversifiée moisson. A la différence, l’artiste ne sera pas lui, violemment retiré mais obtient plutôt la bénédiction du vieux pour poursuivre. De son audace, c’est le Bénin musique qui en sort gagnant. La moisson sera livrée au public d’ici peu. Interview.
Qu’est-ce qui fait l’actualité à votre niveau en ces temps ?
Actualité en cette période de Covid-19 ? (Rire). Tout le mois passé, j’ai eu la chance de faire des résidences. J’ai fait une première résidence avec un projet que j’ai mis en place, Bénin Zo Yèyè. C’est un projet qui vise à parcourir toute sorte de style de musique avec des instruments et mélodies traditionnels de chez nous dans une démarche d’intégration et de mondialisation avec un esprit de décolonisation de la culture. Ça s’est passé avec Bonaventure Didolanvi, Raphaël Shéyi, Jean Houédécoutin, … On a fait une restitution ici à Africa Sound City. Bien évidemment, le projet continue. C’est un concept qui doit demeurer même si nous, on n’est pas là.
Qu’en est-t-il de la deuxième résidence ?
Là, c’est moi-même avec mon groupe. Ma musique s’inscrit dans une logique de recherche de musique identitaire béninoise depuis des années. C’est ça qui nous a valu le premier et le deuxième album. On continue les recherches. Cette fois-ci, on est allé faire une résidence dans la forêt igbό ὶtủà Adja-Ouèrè.
Pourquoi cette forêt ?
C’est une forêt dont j’entendais parler depuis mon enfance. Au milieu, il y a une rivière mythique qu’on appelle odὸ ίtủ. Il y a beaucoup de choses qui se sont passées dans cette forêt. C’est la forêt où vont les grands chasseurs de la région. Y va qui peut, pas qui veut. Pour moi, ça a un sens spirituel et naturel puissant. J’ai voulu expérimenter les énergies qui s’y trouvent. C’est une forêt relativement calme qui vous permet d’être connecté au verbe, à l’originalité.
En quoi a consisté cette expérimentation dans ce lieu ?
On a fait un camp dans la forêt avec tous les instruments qu’il faut et on a fait un travail formidable. On a parcouru quelques endroits chez des musiciens traditionnels. On leur à poser des questions sur comment ça bouge, comment ça fonctionne, quel instrument on utilise pour faire telle ou telle musique, et à quelle occasion. On a recueilli beaucoup d’informations qui complètent en réalité le travail que j’ai commencé il y a un peu plus de 15 ans. A cela nous avons ajouté les autres informations que nous avions recueillies dans les autres départements. On a fait ensuite une synthèse et une sélection parce qu’on ne prouvait pas tout aborder en deux semaines.
Comment avez-vous travaillé après cette phase de collecte et de synthèse ?
Surtout la nuit, on va plus en profondeur de la forêt où on recueille des sons des oiseaux et le souffle des arbres et de leurs feuilles. On se lève le matin, on fait des footings. En pleine journée, on travaille la musique avec nos instruments et le matériel en plus avec les mélodies que nous avons à notre disposition. Sur 15 jours, on a fait 6 jours à travailler 24h/24. La nuit, on fait des mises en boîte. On a enregistré 6 morceaux. On a parcouru le Toba, Bolodjo, Tchingounmè, Goumbé, Sèlèguèdjo-un rythme qu’on retrouve dans toute l’Afrique, le nom change selon les pays-. On a fait aussi le rythme Oro de la localité.
Oro aussi ?
Oui, le rythme. Et pour ça par exemple, il s’est produit quelque chose qui m’étonne et qui étonne tous les musiciens jusqu’à maintenant. On a joué dans la forêt effectivement. C’est vrai qu’au départ on avait approché quelques personnes. On est allé vers la mairie, la police et quelques autorités traditionnelles mais pas vraiment vers la Cour royale. Sur ce rythme, quand j’ai donné le premier coup, mon Bata -son instrument principal de percussion, ndlr- s’est cassé alors que c’est un instrument qui ne se casse pas. C’est formidable.
Comment avez-vous résous cette situation ?
Je n’ai pas pu résoudre le problème jusque-là mais j’ai eu à discuter avec l’aîné, le vieux qui nous est apparu à peine 4 minutes après que la situation se soit produite. Il est venu. On s’est salué. Il dit : « On vous entend jouer. Vous ne vous êtes pas rapprochés des personnes qu’il faut. Du coup, tu as ton instrument cassé. N’est-ce pas ? ». Je me suis dit, mais qui lui a dit que mon instrument s’est cassé. J’ai fait allégeance. Il dit : « Non, fiston tu as ma bénédiction ; continue ton travail ».
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Cela m’a confirmé que la recherche que nous sommes en train de faire est authentique et originale et qu’on a choisi un bon endroit.
Outre l’aspect mystique, c’était quand même un gros risque aussi de séjourner dans une forêt juste sous des arbres avec vos matériels si sensibles ?
Le risque, si ça doit arriver, ça arrivera. De toutes les manières, qui ne risque rien n’a rien.
Il fallait prendre ce risque ?
Ah oui. Et puis, il faut être audacieux pour avoir des choses exceptionnelles. Je me suis préparé psychologiquement pour ça. Pour les musiciens avec qui j’y suis allé, c’est magique ; cela valait la peine d’être vécu. En plus, il y avait de la bonne bouffe. On a commis quelqu’un du village pour la nourriture. C’était de l’alimentation naturelle, saine, riche et variée d’une qualité exceptionnelle. Ce fut un merveilleux séjour. Il fallait oser faire cette expérience. Je suis très content et prêt à reprendre. Quand vous allez par exemple dans les collines sur les montagnes, c’est une autre réalité. Au nord, c’est encore toute une autre réalité.
Vous pensez faire ce tour ?
J’ai très bien envie de le faire. D’ailleurs, ça a été toujours ma méthode de travail. La seule différence, c’est qu’on n’était jamais allé dans une forêt. C’est ce travail qui m’a aussi motivé à créer Africa Sound City parce qu’il faut forcément un cadre ; il faut du matériel. Pour ça toujours, je suis en train de montrer un autre Africa Sound City à Pobè. Dans le Plateau, il n’y a rien du genre alors qu’il y a du talent.
Vous étiez combien dans cette forêt ?
Une dizaine. 5 musiciens, 2 ingénieurs de son, 3 cadreurs, 1 machiniste, 1 réalisateur.
Vous y avez tourné aussi des clips ?
On a fait des documentaires. On voulait faire des clips mais la situation sanitaire ne nous l’a pas permis. On l’a reportée. On a profité de l’occasion pour parler de notre approche musicale à ces jeunes qui sont dans la localité et qui abordent la musique, que ce soit moderne ou traditionnelle. On a fait des masters class avec eux. J’ai aussi travaillé avec eux dans le domaine de la sonorisation parce qu’une chose est de recueillir des informations mais il est une autre de pouvoir réussir à les reproduire sur des supports phonographiques. On en a profité aussi pour enregistrer un groupe traditionnel de Bolodjo qui fait un travail formidable.
6 morceaux enregistrés, ce sera un album ?
Oui, cela fera objet d’un album qui va sortir bientôt mais avant on fera une restitution probablement la semaine prochaine si tout va bien. Après, nous allons faire des tournées si on a les moyens.
Parlant de moyen, est-ce que vous avez eu des soutiens particuliers ou c’est de la proche de Jah Baba ?
Il y a la proche de Jah Baba mais il y a aussi Africa Sound City et l’Institut français.
En quoi les sons des oiseaux et de la végétation de cette forêt vous ont été utiles ? Vous les transposez dans les compositions ?
Vous aurez la chance d’écouter l’album avec comme effets spéciaux les cris des oiseaux, la respiration des feuilles, les sifflements des criquets. Chacun de nous dans cette forêt a fait un travail exceptionnel. On peut entendre la même chose mais pas de la même façon. Cette pluralité dans la manière d’entendre et d’apprécier les sons nous a vraiment aidé à avoir de la vraie matière. Le Bénin est trop riche. On a tellement de choses à faire. Si les dirigeants peuvent prendre conscience de ça et dépolitiser la culture puis donner les moyens à ceux qui travaillent effectivement, je pense qu’on a besoin seulement de 5 ans. Après, on va créer le marché, ça va tourner.
Que leur direz-vous à cet effet ?
Je trouve que les gouvernants devraient se pencher sur des initiatives du genre. Il faut que le ministère en charge de la culture se donne les moyens, je pense qu’il en a, de repérer des groupes qui font ce travail de recherche et leur permettre de faire des résidences partout dans le Bénin. Cela va produire forcément des résultats formidables. Je vous assure, cela va changer cette façon de voir la musique béninoise qui n’est pas la musique d’ailleurs chantée en langue traditionnelle béninoise.
Réalisé par Blaise Ahouansè