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George Kaboré : « L’institut culturel burkinabé dépassera le ministère de la culture »

A l’occasion du 8ème festival Rendez-vous chez nous, tenu du 4 au 12 février 2016 à Ouagadougou, en plein travail et en bon « maquisard » j’ai fait la connaissance de Georges Kaboré, directeur / fondateur de l’Institut burkinabè. Interloqué par ma méconnaissance et la terminologie culturelle qu’elle sous-tend à mes oreilles de yovo, je l’ai tout de suite interpellé sur le développement à venir de ces équipements à travers le monde. Cela nous a fait rire et permis de faire plus ample connaissance. Après un premier rendez-vous raté mais qui m’a néanmoins permis de visiter le lieu, nous nous sommes retrouvés pour une brève interview.

Dekartcom : Qu’est que l’institut culturel burkinabè ?
Georges Kaboré : L’institut burkinabè est une maison ouverte, une maison d’accueil et de formation pour les artistes et pour les jeunes. C’est un projet jeune tenu par des jeunes et à la disposition des jeunes. C’est un espace que j’ai créé il y a sept ans pour répondre à une absence d’outils de promotion culturelle et de promotion de l’éducation basée sur des valeurs culturelles, différentes de celles de nos ainés ou d’autres personnes…

Cette vision est aujourd’hui portée par de plus en plus de jeunes et ses 1 200 adhérents qui disent qu’il est devenu un lieu incontournable, un laboratoire pour les artistes, une pépinière pour les jeunes talents. Il s’agit à travers du lieu, d’offrir un cadre pour affirmer que chaque rêve compte, chaque pensée compte, chaque vision compte et, que ensemble si nous portons le même rêve nous y arriverons.

L’Institut burkinabè est composé d’une médiathèque d’un espace d’exposition, d’une scène de prestation, d’un espace d’appui scolaire et d’un club littéraire très dynamique qui fait le bonheur de la jeunesse. C’est un public jeune qui fréquente les lieux et qui cherche à apporter des réponses à l’attente du futur, en tout cas des rêves que nous portons pour ce continent.

Quelles sont les activités que vous y menées ?
Nous menons beaucoup d’activités, essentiellement des activités des formations, du soutien scolaire, et des formations de renforcement de capacités des jeunes.

Mais ce qui nous habite est de pouvoir identifier le talent des jeunes et de les accompagner dans leurs potentiels, dans leurs rêves. Nous travaillons sur la confiance de soi : identifier le rêve des jeunes et leur donner les moyens de les réaliser ensemble.

Au sein de l’Institut burkinabè nous avons constitué en premier une bibliothèque. On avait l’habitude de direque si on avait quelque chose à cacher à un africain il fallait le mettre dans un livre. J’affirme que ce n’est plus d’actualité aujourd’hui, en tout cas pas au Burkina Faso.

Institut culturel burkinabè

Institut culturel burkinabè

A l’Institut burkinabè, les jeunes aiment beaucoup lire, il suffit de leur ouvrir le monde par la porte des bibliothèques. Aujourd’hui ils sont rassasiés. Au début quand on a commencé on avait à peine 50 adhérents parce que les gens ne savaient pas ce qui se passait à l’intérieur. Nous avons donc décidé de mettre la bibliothèque « en vadrouille »pour amener les livres vers les gens. On allait dans les lieux d’affluence, on s’installait une journée et on permettait aux gens de louer le livre à 100 francs, et le soir ils nous ramenaient les bouquins. Cela a duré 5à 6 mois avant de ramener tous les livres à la bibliothèque. Les jours qui ont suivi nous avons eu plus de 800 abonnés. Les gens nous avaient retrouvé, sont venus et ont adhéré. Cette opération à moindre coûts nous a permis de toucher un large public. Parce que c’est un crime de ne pas partager le savoir, je pense que les adhésions auraient étaient gratuites si nous avions eu les moyens. Mais cette opération traduit la volonté des jeunes de lire et de comprendre le monde qui nous entoure, de s’ouvrir au monde à travers les livres, et de partager des valeurs communes, que l’on soit du Burkina Faso, de Washington ou de Bangkok. La médiathèque est un volet qui fonctionne très bien au sein de l’Institut.

Nous animons également un club littéraire chaque mercredi autour d’un ouvrage. L’occasion d’inviter des professeurs et de faires des exposés autour desquels les jeunes s’affolent. On se rend compte que l’on peut tous lire le même livre et le comprendre différemment.C’est un véritable moment d’enrichissement mutuel, un partage avec toutes les générations et où l’on observe le regard de jeunes sur l’avenir.

Cet exemple concerne le livre, mais c’est également un laboratoire culturel qui réunit des artistes amateurs et professionnels. Quels types de pratiques trouve- t -on à l’Institut burkinabè ?
L’Institut burkinabè réunit des artistes amateurs, des débutants et des artistes en voie de professionnalisation. Je pense que nous avons eu sur nos planches depuis sept ans presque tous les artistes burkinabè qui tournent. Les jeunes artistes qui sont connus aujourd’hui et qui font la fierté de la musique burkinabè sont des produits, en tout cas soutenus, de l’Institut burkinabè. Nous travaillons aujourd’hui autour de la sauvegarde du patrimoine culturel. Lorsque vous voyez le travail d’un artiste comme Tim Wensey qui joue avec des instruments qui sont en train de se perdre, je pense que l’Institut burkinabè permet la sauvegarde de nombreux instruments traditionnels, et de savoir-faire pour leur conception. Nous travaillons autour des « Mémoires partagées » pour préserver ces axes de notre culture et permettre à des adultes, nos ainés, de transmettre le savoir, le savoir-faire, et le savoir fabriquer aux plus jeunes. C’est l’objet de ce cadre qui accueille les ainés et les jeunes dans un même espace. Il s’agir d’unir des visions collectives positives pour la vie culturelle de ce pays. Le Burkina Faso est un pays culturel par excellence, il est un pôle culturel incontournable où la culture est notre pétrole. Il est nécessaire que cela soit partagé.

Au travers de ces projets de transmission intergénérationnelle très affirmés, et de l’expérimentation des rêves, quelle place l’Institut Burkinabè occupe-t-il dans le panorama culturel de Ouagadougou ?

C’est aujourd’hui une fierté pour nous.

En 2010, les gens se moquaient de nous. On nous disait que nous voulions faire de la concurrence à la France et aux Etats-Unis alors que nous n’étions que des petits jeunes du bout de la rue. Qui vous connait ? Qui vous connaîtra ? Vous ne tiendrez même pas six semaines, même pas 10 mois. Et surtout, que nous n’étions pas capables…

Nous avons su prouver que nous étions capables de nous approprier notre culture ainsi que les outils qui accompagnent la promotion de la culture en Afrique, et au Burkina Faso en particulier. Nous avons prouvé que l’on pouvait se l’approprier et la diriger selon le respect et la vision qu’on eut nos ancêtres et nos parents. C’est ce qui explique la cohésion sociale de ce pays, ce qui explique la passion culturelle et la gentillesse des burkinabè. Toutes ces valeurs sont cultivées autour de la musique et des contes que nous tentons de sauvegarder.

Aujourd’hui lorsque l’on parle de culture à Ouagadougou, on évoque en premier le Ministère de la culture, et tout de suite après l’Institut burkinabè qui porte une identité forte avec notre vision, notre passion, notre courage, notre détermination, et notre désir de partager cette expérience avec d’autres pays africains et de par le monde.

Je suis même sûr qu’un jour nous allons dépasser le Ministère de la culture puisque nous n’avons pas de limites géographique pour nous délocaliser, contrairement à lui.

Il y a donc bien une idée hégémoniste de l’institut burkinabè à terme ! Rires

Parlez – nous vos ressources financières.
C’est sûr que cela n’est pas facile mais l’argent ne fait pas tout, car nous aurions pu avoir un budget colossal sans avoir d’idées.

Je pense que les idées et les rêves ne meurent pas quand ils sont portés par tant de personnes. Cette ressource humaine qui constitue l’Institut Burkinabè est la force et la pérennité de ce projet. Pour le moment nous sommes limités au niveau matériel aux dons que nous recevons de temps en temps, aux adhésions. A côté de cela nous faisons tourner les artistes et j’essaye de collecter de l’argent sur mon nom. A chaque tournée par exemple je prélève 10% sur chaque date que je trouve pour les artistes. Ce sont des petits ponts comme cela que nous avons mis en place qui permettent de récupérer quelques ressources. Mais je pense que l’assurance de la survie et la continuité de ce projet ne se basent pas seulement sur l’argent mais sur la solidarité et la vision des jeunes qui doivent aujourd’hui être l’avenir de ce continent.

Quels sont les enjeux de développement et les projets à venir de l’Institut burkinabè ?
C’est de pouvoir s’exporter. Lorsque l’on parle de la Chine au Burkina Faso on voit les produits chinois, quand on parle des pays arabes on voit le pétrole, quand on parle du Burkina Faso je voudrais que l’on voit la culture. Le Burkina Faso est riche par sa culture, il est influent pas sa culture, son savoir-faire et son artisanat, et nous aimerions aujourd’hui pouvoir nous exporter dans des pays où il y a déjà une forte communauté burkinabè comme la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Soudan. Il nous faut regarder ailleurs car ce sont ces valeurs que nous voudrions partager avec le reste du monde. Si l’argent est le nerf de la guerre, la culture peut-être le muscle de la paix.

L’Institut Burkinabè est partenaire du Festival Rendez-vous chez nous, en quoi consiste votre implication sur le festival ?
Depuis trois éditions nous essayons d’apporter modestement notre part à ce festival. Nous participons, c’est à dire que nous offrons le cadre de l’Institut burkinabè pour les résidences de créations avant le festival. Nous intervenons également sur le plan logistique en mettant ce dont nous disposons quand ils en ont besoin. C’est ce que nous pouvons apporter puisque nous n’avons pas d’argent à donner. L’espace est à leur disposition pour leurs créations et nous suspendons nos activités pendant la période du festival pour amener notre public à porter son regard sur les spectacles et les rencontres.

C’est un festival pour lequel j’ai un immense respect. Le travail déployé dans l’espace public est énorme. Cela rappelle toutes ces émotions d’enfants que l’on a eu, de pouvoir jouer et courir dans la rue sans inquiétude et de pouvoir partager des moments d’émotion et de plaisir avec les artistes.

Quel regard portez-vous sur le festival depuis 8 éditions et sur ce que cela génère sur le quartier ?
Déjà pour le quartier, cela se voit sur la dynamique économique des familles. L’espace qui reçoit le festival, la Place de la femme, on observe toutes les familles qui mettent des petits commerces autour de la place pour se faire un peu d’argent. En ces temps de crise, c’est clair que c’est le bon moment, c’est bienvenu pour aider les familles à trouver un équilibre avant que les choses ne s’améliorent dans le futur.

Sur le plan des transports, on mesure que beaucoup de personnes ont loué des motos ce qui génère des retombées économiques à l’échelle de la ville entière. S’il y avait un outil adapté, il serait intéressant de mesurer l’impact économique réel du festival.

Au-delà de la cela il y beaucoup de projets qui naissent favorisés par les rencontre entre les artistes et les acteurs culturels, entre le directeurs du festival et les programmateurs. Il existe une dynamique d’échanges qui se met en place et qui ouvre le pays et les artistes vers d’autres horizons et d’autres collaborations qui sont bénéfiques pour tout le monde. Cela est palpable.

Je regrette cependant que sur cette édition « Les Grandes Personnes », les mascottes du festival étaient habillées par « Total ». Je n’ai pas apprécié cette collusion du charme artistique qu’incarnent ces marionnettes géantes pour le Festival, et qui ne représentent en rien cette multinationale. Elles incarnent au contraire une diffusion d’émotions partagées depuis des années, fabriquées à partir d’une volonté construite avec les populations, sans vendre un produit ou une marque. Je pense qu’il y a d’autres moyens de représenter les sponsors.

A la fin de l’interview nous nous remettons en marche de conserve vers la grande scène où se déroule un concert de musique fusion entre des musiciens maliens et français. Au-delà d’une affirmation culturelle purement burkinabè, je partage le rêve de George Kaboré pour une autonomisation qui permette d’accueillir partout toutes les cultures et d’offrir à la jeunesse africaine la possibilité d’être au monde avec ses propres valeurs. C’est me semble-t-il le caractère universel de la culture. Il ne s’agit pas de partager les mêmes contenus, mais de pouvoir s’approprier les modalités d’échange et de partage autour de valeurs communes, pour toutes les cultures.

Réalisation : Adrien Guillot, Ouagadougou – février 2017

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