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Festival Rendez-vous chez nous 2017 : Le grand jeu du professionnalisme

Du 4 au 26 février se tenait la 8ème édition du Festival Rendez-vous chez nous à Ouagadougou et dans les villages de la commune rurale de Komsilga. Une fois encore le monde entier était accueilli à Ouagadougou. Délibérément culturelle, la ville bruisse des mille initiatives artistiques avec un public fidèle et toujours présent. Le public étranger n’est pas en reste non plus malgré les inquiétudes sécuritaires globalisées qui n’ont pas épargné le Burkina-Faso ces dernières années. Que ce soit Place de la femme dans le quartier Goughin, véritable quartier latin de la ville, à l’Institut français, au Centre international de théâtre de Ouagadougou (CITO), au CDC la Termitière et au Centre culturel burkinabè, les activités s’enchaînent simultanément pendant le temps du festival. Et ce, à quelques jours du célèbre Fespaco qui fera aussi durer les longues nuits culturelles ouagalaises.

Effervescence
C’est dans cette effervescence continue que s’est tenu le Festival Rendez-vous chez nous autour de l’emblématique place de la femme, ancien dépotoir du quartier Goughin, le lieu des bonnes femmes… Dans une ambiance rendue chaleureuse par les scénographes de Face 0 Scéno et les Plastiqueurs, les enfants du quartier et les publics circulaient dans un univers de fête foraine permanente. L’atelier maquillage et la première machine à barbe à papa du Burkina-Faso ont rencontré un vif succès.

Le succès fut aussi au rendez-vous pour les spectacles et les concerts, savante alchimie qui réunit un public bigarré tout autant familial que d’habitués. Tout au long de la journée, les amis, les artistes et les riverains se retrouvent aux terrasses des maquis en attendant les spectacles derrière une Brakina bien tapée et une assiette de brochettes fumantes dans une ambiance poussiéreuse propre à la ville.

Avec plus de 45 compagnies invitées en provenance du Burkina Faso, du Mali, du Togo, de Côte d’Ivoire, du Bénin, de France et de Suisse, le Festival Rendez-vous chez nous s’affirme à chaque édition comme la plus grande manifestation des arts de la rue de la sous-région. Pour le directeur artistique, Boniface Kagambega, « le choix de la culture pour tous et dans tous ses états sont une véritable solution pour l’union ». On imagine aisément que ce sont toutes ces raisons qui ont déterminé l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à sélectionner la manifestation pour l’inclure dans le Grand Tour 2017 qui réunit les 100 événements francophones majeurs de l’année.

Parmi les nombreux spectacles proposés, nous avons rencontré certaines des équipes artistiques pour mieux les connaître et avoir leur avis sur le festival. Tour d’horizon.

Koffi

Teni-Tedji-2016
Marionnettiste à fil du Bénin, Koffi est passionné depuis l’enfance par l’univers de la marionnette. Formé à partir de 2002 par le maître Grégoire Visseho, il a créé sa compagnie les Divines Marionnettes il y a 5 ans et a poursuivi des formations en cordonnerie et en tresses pour fabriquer lui-même ses marionnettes. Vivant de son métier au Bénin avec un important travail dans les écoles du pays, Koffi a déjà eu l’occasion de se produire en Côte d’Ivoire. C’est la première fois qu’il vient au Festival Rendez-vous chez nous. L’invitation a été faite après que Boniface l’eut rencontré sur le Festival Teni-Tedji de Porto-Novo en 2016. Venu présenter 11 de ses marionnettes, Koffi félicite les promoteurs pour la très bonne organisation du festival, la très grande proximité entre les artistes et le public et l’accueil qui lui a été fait, ainsi que la possibilité pour les artistes de voir de nombreux spectacles et de rencontrer des professionnels venus de tous les horizons.

Compagnie Ivoire Marionnettes

Compagnie Ivoire Marionnettes- DR

Compagnie Ivoire Marionnettes- DR

Habituée du festival, c’est la troisième fois que la compagnie ivoirienne s’y produit. Elle a présenté cette année le spectacle « Vié Quixote » qui est une commande de l’Ambassade d’Espagne en Côte d’Ivoire en 2016 pour les 400 ans de Cervantès, en collaboration avec le metteur en scène Luis Marquès (fondateur du Festival des arts de la rue de Grand Bassam).

Avec l’utilisation de nombreux accessoires et la présence de 7 manipulateurs, la compagnie menée par Badrissa Soro revisite le mythe de Don Quichotte « à la sauce » ivoirienne et ce avec beaucoup d’humour et de finesse. Avec l’utilisation de « gros français », le public partage l’universalité du texte et sa transposition africaine. Ici comme ailleurs, il s’avère que« pour un grand peuple l’avenir sort du passé », que « l’homme ne mange pas la vie, c’est la vie qui le dévore », ou « qu’il faut parfois un fou pour inspirer un roi ».

Médaille d’or des Jeux de la Francophonie de Nice en 2013 avec le spectacle « La main qui donne » dans la catégorie marionnettes géantes, la compagnie Ivoire Marionnettes s’affirme comme une des équipes montantes de la sous-région. Cette reconnaissance – ainsi que l’appui de l’OIF pendant 4 ans – leur assure aujourd’hui une visibilitéet une notoriété jusque chez eux. La compagnie qui possède ses propres locaux est en train de mettre en place de l’Académie Ivoire Marionnettes avec le soutien de l’OIF, du Ministère de la culture et de la francophonie et de la Coopération suisse. D’ores et déjà des formations régulières sont dispensées pour les amateurs et des élèves de l’INSAAC (l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle). Un festival de la marionnette est en préparation à Abidjan pour faire suite à l’organisation d’un mini festival en 2016 dans la programmation de la 9ème édition du MAASA.

Présente pour la 3ème fois sur le Festival Rendez-vous chez nous la compagnie apprécie la mise en réseau professionnelle possible et le fait de pouvoir assister à de nombreux spectacles. Elle reconnaît cependant que les retombées en programmation sur d’autres événements est encore faible en ce qui les concerne. Elle apprécie enfin les nombreuses évolutions du festival, qui grandit d’année en année, comme celle des projections vidéos Place de la femme qui permettent de montrer à tout le monde les autres spectacles organisés dans la journée.

Assurément, pour eux, « Rendez-vous chez nous est le plus grand festival des arts de la rue de la sous-région ».

Compagnie Kumulus

Compagnie Kumulus

Compagnie Kumulus – DR

C’est avec plaisir que nous j’ai retrouvé Barthélémy Bompard et son équipe dont j’avais accompagné les premiers pas de la création de « Silence encombrant » en 2011 à Niort et qui a connu un certain succès en France. Habituée à traiter les maux de notre société, la Compagnie Kumulus fait partie de ces compagnies françaises qui ne font pas dans le divertissement.

Invitée en février 2014 avec son spectacle sur les conditions de l’exil « Les rencontres de boîtes » à Ouagadougou, l’envie commune entre la compagnie et Boniface Kagambega de poursuivre l’aventure s’est faite jour pour créer un spectacle sur place. Boniface a proposé de faire un spectacle sur les femmes, à inventer sur place avec celles-ci et des comédiens burkinabè.

Après un repérage en 2016, la création s’est effectuée en 5 semaines à Bobo Dioulasso, casting inclus, à partir de témoignages de femmes et du travail avec les comédiens burkinabè et français. « Série C », c’est le titre du spectacle, est un portrait au vitriol sur la place des femmes dans la société contemporaine. Le propos est de faire un spectacle universel et non exclusivement sur les difficultés rencontrées par les femmes au Burkina Faso. Un volet sur les violences faîtes aux femmes au Faso et l’excision a quand même été inclus.

Grâce à la participation de nombreux partenaires français comme les Ateliers Frappaz de Villeurbanne, Parades à Nanterre et l’Atelier 231 à Sotteville lès Rouen, le spectacle sera présenté en mai et juin 2017 dans sept villes de France.

Malgré les aléas techniques auxquelles les compagnies ne sont plus habitués en France avec la professionnalisation des arts de la rue, l’équipe de Kumulus se dit réjouie de la rencontre avec les artistes burkinabè dont l’énergie artistique force le respect. L’existence d’un tel festival et son caractère bon enfant de fête de quartier en font un moment de réjouissance salutaire.

Malgré la précarité de certains moyens techniques et financiers, l’organisation du festival illustre aussi d’autres possibilités de coopération, plus solidaires, entre le Nord et le Sud. La majorité des productions étrangères sont effectivement soutenues par les pays ou les collectives locales d’origine des compagnies pour que l’événement puisse exister à Ouagadougou. Il est à noter à ce titre le rôle de l’association ACMUR France qui récolte par le biais de dons et de cotisations l’essentiel des fonds pour permettre la programmation, le transport et l’hébergement des compagnies africaines programmées.

Rendez-vous chez nous, festival solidaire de la sous-région.

Festival Rendez-vous chez nous 2017 Le grand jeu du professionnalisme

Art de la rue et sécurité dans l’espace public
Le festival joue aussi pleinement son rôle d’agora, puisque dans la matinée du samedi se tenait une table ronde sur les enjeux de sécurité sur les manifestations culturelles. Selon le mot du modérateur Athanase Kabré, « le Burkina Faso est aussi à la mode sur cette question sécuritaire globalisée ».

Cette rencontre a réuni une trentaine de personnes issues des compagnies présentes, des professionnels et des organisateurs autour du Commandant de gendarmerie Evrard Somda (dit « le tombeur de Diendéré »). Ce dernier s’est montré très satisfait de la rencontre traduisant la maturité des organisateurs culturels concernant les préoccupations sécuritaires de ces manifestations qui réunissent des foules.

La présence de professionnels français tels que Patrice Papelard, directeur des « Invites » de Villeurbanne et Anne Le Goff, directrice de « l’Atelier 231 » à Sotteville lès Rouen ont permis des échanges d’expertise avec la situation burkinabè. Les attentats du 16 janvier à Ouagadougou ou du 14 juillet à Nice en 2016 ont secoué l’opinion tout autant que les responsables politiques. La mise en place en France d’une commission autour du Préfet Weigel à laquelle participe Anne Le Goff a permis de prendre conscience du savoir-faire et des spécificités liés aux arts de la rue. Un référentiel des manifestations au regard des arts de la rue est en cours de rédaction – arts, espaces publics et sécurité – et devrait être publié en mars/ avril prochain.

Si les attentats ont réveillé les autorités politiques sur ces manifestations, il a été rappelé qu’il n’y a pas de risque zéro et qu’il convient de ne pas stigmatiser les manifestations culturelles au nom du tout sécuritaire. D’autant que les autorités politiques ont aussi pris la mesure de la dimension économique de ces manifestations et de leurs impacts sur les territoires. La solution, ou plutôt la préconisation première est de pouvoir travailler très en amont avec les forces de police et de sécurité. Le Commandant de gendarmerie Somda s’est aussi proposé de pouvoir dispenser, gracieusement, des formations de méthodologie sécurité à destination des opérateurs culturels et à encourager les participants à mieux communiquer avec les ministères concernés. Rendez-vous a été pris dans l’assistance pour une telle formation.

Spectacles, mise en réseau, formations, réflexions, expositions, et convivialité exacerbée Place de la femme, le Festival Rendez-vous chez nous est sans conteste le plus grand festival des arts de la rue de la sous-région. Il tend également à devenir un haut lieu de sociabilité permettant à tout un quartier et une partie de la ville de Ouagadougou de se retrouver autour d’un motif : la rencontre artistique.

Adrien Guillot / Ouagadougou – février 2017

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