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Entrevue avec Achille Adonon : « Autrement, le monde ira de mal en pire jusqu’à ce que le chaos nous emportent tous. »

le plasticien béninois Achille Adonon

Pour le compte de cette entrevue, la rédaction de dekartcom reçoit pour vous le plasticien béninois Achille Adonon. En exposition à l’espace artistique et culturel « Le Centre » (Abomey-Calavi-Bénin) du 08 août au 31 octobre 2020 à Lobozounkpa avec la série d’œuvres « Le monde fond », il présente sa conception des bouleversements qui sévissent dans le monde actuel. Sur une vingtaine d’œuvres, nous avons choisi nous accentuer surtout sur celle qui est la pièce maîtresse de cette exposition : l’installation « Le chaos ».

Artiste plasticien, vous vous intéressez surtout à la cause des enfants de rues et votre médium c’est « les chaussures délabrées ». Actuellement, vous nous présentez un travail axé sur les accalmies du monde actuel. Alors dites-nous quel a été le déclic ?

Une œuvre de la série « Le monde fond »

 

Il faut dire que j’ai commencé à travailler sur le thème de cette exposition depuis 2015. Au départ c’était « Gbèôgba » (le monde se brise en langue Fon). J’ai eu le temps de méditer longuement et en 2019 j’ai opté pour « Le monde fond ». Alors, lorsque le Centre m’a invité pour une résidence de création, j’ai choisi murir mes réflexions sur ce thème. Et c’est ce qui donne lieu à cette série d’œuvres.

Pourquoi « Le monde fond » ?

Le monde fond

 

« Le monde fond », c’est l’histoire d’un petit village, sortit tout droit de mon imagination et que j’ai choisi de nommer : ‘’Le temps’’. Les citoyens qui y vivent souffrent énormément. La famine, les épidémies, le manque de moyens financiers et les maladies sont des réalités de ce village. Ces fléaux parce que les habitants de mon village imaginaire n’ont pas respecté les lois prescrites par les ancêtres. Les lois (de Dieu, de Allah selon la conception de chacun) y sont bafouées. D’où le thème « Le monde fond ».

Bien que l’histoire de ce village soit le fruit de votre imagination, ne serait-elle pas en réalité une métaphore de notre monde ?
Vous faites bien de le souligner. « Le temps » est certes un village imaginaire. Mais je le compare à notre village planétaire. Quand j’observe les deux villages et que je fais une comparaison c’est approximativement les mêmes fléaux. Je m’interroge donc sur le pourquoi de ces fléaux. Pour moi, c’est parce qu’on se dit qu’on peut tout. Notre égo nous amène à faire des choses qu’on ne devrait pas faire. Le harcèlement sexuel, l’inceste, l’homosexualité, le viol sont des phénomènes qui, autant de nos ancêtres étaient des abominations. Il est vrai qu’aujourd’hui, il y a la modernisation mais en réalité rien ne va parce que nous bafouons le spirituel. Avant que le corps ne souffre c’est d’abord l’âme qui souffre. C’est toujours le spirituel avant le charnel. Et c’est ce que j’essaye de traduire à travers les œuvres de cette exposition et en l’occurrence avec l’installation « Le chaos ».

Quel dialogue faites-vous entre l’exposition « Le monde fond » et la spiritualité ?
Quand Dieu a créé le monde, il était informe et c’est par la parole que la création est survenue. Nous autres hommes, sommes des créatures de Dieu. Tout autant que nous sommes, nous plaçons notre foi en quelque chose même si ce n’est pas Dieu. Et étant donné que je travaille beaucoup plus sur la thématique de l’humain plus précisément celle des « enfants abandonnés », je m’intéresse à toute son entité. C’est-à-dire le corps ; l’âme et l’esprit. D’où la nécessité du lien entre la spiritualité et mon travail.

Je procède surtout par la ‘’récupération de chaussures’’. Ces chaussures que je récupère sont pour moi bien plus que de simples objets. Au-delà de cet aspect, je pense que la force de l’Homme se trouve dans ses pieds, d’un point de vue spirituel. Chaque chaussure que je récupère représente l’énergie’’ de l’être qui a eu à la porter. En jetant ces chaussures, ils ont laissé une partie d’eux ou de leur énergie dans la nature. Et je redonne vie à ces chaussures dans mes créations. Ainsi leurs propriétaires qu’ils soient vivants ou morts se réincarnent dans le monde que je leur créé au travers de mes œuvres.

Intéressons-nous à présent à la pièce maitresse de votre exposition. Lorsque que l’on est face à l’installation « Le chaos », on est quelque peu confus quant à l’afflux d’informations. Outre les autres pièces de l’œuvre, l’assemblage de chaussures d’enfants, d’hommes et de femmes imbibé de rouge, accroché au plafond captive fortement l’attention. Parlez-nous déjà de la symbolique du rouge dans cette installation.

L’installation « Le chaos »

 

Ici, la couleur rouge fait échos à la royauté. Quand on se réfère à nos anciennes sociétés, la couleur rouge est omniprésente dans les costumes et parures royaux. Le royaume d’Abomey par exemple fait surtout appel à deux principales couleurs que sont le rouge et le blanc. Outre la royauté, la symbolique du rouge renvoie également au danger.Revenant à l’installation, la couleur rouge parce que c’est ‘’le chaos’’. Le rouge pour illustrer les viols, les meurtres, les sacrifices humains et autres infamies que commettent les habitants du village « Le temps ».

Quel est alors le lien entre la royauté et ces infamies de ce village que vous venez de citer ?
Il y a toujours un roi qui dirige un village. S’il y a des dis fonctionnements dans un village, c’est au roi et aux notables qu’il faut reprocher cela. C’est ma manière donc d’indexer les dirigeants de ce monde.

Que représente la chaise au sol à laquelle sont accrochées des chaussures et des pages de la bible ?
Elle représente ‘’Le trône’’. Quand le trône est au sol c’est qu’il n’y a plus de roi. C’est toujours la narration du « chaos » qui continue. Des dirigeants illégitimes, avides de pouvoir sont des choses qui attisent la colère du peuple et suscitent des soulèvements qui conduisent à une certaine instabilité. Nos ancêtres adoraient Dieu à travers plusieurs divinités.Ces dieux sont matérialisés par divers objets et représentations. C’est ce que j’ai essayé d’illustrer avec la chaise de l’installation. Si le trône est par terre c’est la preuve que les dieux sont mécontents.

Est-ce votre manière de mettre en exergue les troubles que connaissent les Etats, surtout ceux africains ?
Eh oui ! Vous l’avez bien cerné, je m’adresse aux gouvernants. Surtout à ceux-là qui bafouent les règles divines. Si on se base sur les réalités de nos sociétés, il n’est pas un secret que quand des dirigeant bafouent les règles préétablies, la colère des dieux s’abattent non seulement sur eux mais sur tout le village dont ils ont la charge. En ce qui concerne la Bible, je parle des religions chrétiennes. Ceux-qui se disent chrétiens piétinent aussi la parole de Dieu ou si vous voulez, ces prescriptions écrites dans un livre saint qu’on appelle Bible.

Mais lorsqu’on observe l’installation, le christianisme est beaucoup plus mis en exergue que les croyances endogènes dont vous nous parlez. Comment expliquez-vous cela ?
Nos aïeux connaissaient Dieu bien avant l’avènement du Christianisme et d’autres religions importées. Leur Dieu était matérialisé par des représentations et des objets dans lesquels ils invoquaient des forces divines et qui constituent des divinités. C’est ce que j’ai essayé d’illustrer avec ce trône qui est au sol. Et si ce trône est à terre c’est pour signifier que tout comme les Chrétiens et autres religieux, les gardiens des valeurs endogènes ont également faillit en désobéissant. Regardez bien et vous verrez que j’ai utilisé de la peinture que j’ai essayé de travailler afin d’illustrer au mieux un ingrédient assez fréquent dans les cultes endogènes qui est le kaolin. Ces trainées de poudre font référence à nos divinités endogènes.

Le ‘’trône’’ de l’installation « Le chaos »

 

Mais lorsqu’on se réfère à la Bible, plus précisément au livre de l’Apocalypse, il est prédit qu’à un moment donné, l’humanité connaitra beaucoup de troubles. Ce qui ressemble un peu au chaos que vous décrivez dans votre installation. Alors ne pensez-vous pas que Dieu en est aussi pour quelque chose ?
C’est une prophétie et il est dit que : tôt ou tard, elle s’accomplira certainement. Tout ce que nous vivons aujourd’hui est certes écrit mais je m’intéresse au pourquoi et comment de ce chaos-là pour situer les responsabilités.

Dites-nous, vous êtes de quelle obédience religieuse ?
Je suis chrétien évangélique.

Alors étant chrétien évangélique, avez-vous conscience que d’aucun verrait en votre technique une sorte de profanation ? La Bible étant quelque chose de très sacrée et que vous avez pourtant déchiré et éparpillé au sol.
Que Dieu m’en excuse. Mais j’essaie de dire la vérité. Je n’ai pas fait cette installation afin que quelqu’un m’applaudissent. Je l’ai plutôt faite pour choquer et toucher le cœur de quelqu’un. Je ne cherche même pas à dissuader ceux qui qualifieraient mon installation d’une abomination. J’endosse l’entière responsabilité et je suis conscient de mon acte. Et comme depuis le ventre de ma mère, pécheur j’étais, né dans le péché, ce que je viens de faire confirme encore que je suis pécheur. Mais tous ceux qui auront compris « Le chaos » feront un examen de conscience parce qu’ils doivent se retrouver dans cette œuvre. J’ai éparpillé des pages de bible au sol parce qu’on ne peut voir l’œuvre sans les piétiner.C’est d’ailleurs une Bible que j’utilise depuis des années et qui a une valeur importante pour moi. Et c’est fait exprès car cela traduit l’expression : « Marcher sur la parole de Dieu ».

Maintenant que vous nous avez élucidé toutes ces confusions quant à cette installation, dites-nous en peu plus sur le propos de cette œuvre.
Le propos de cette installation est tout simplement la repentance. Les dirigeants, prêtes et prêtresses de diverses religions, adeptes, fidèles ou athées, tous doivent faire un examen de conscience et œuvrer à un monde meilleur (faire du bien autour de soi et surtout respecter les prescriptions divines). Autrement le monde ira de mal en pire jusqu’à ce que le chaos nous emportent tous.

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Inès Fèliho
Inès Fèliho
Rédactrice à Dekartcom

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