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Une Oeuvre de Romuald Hazoumé

Galeristes ou commissaires d’expositions, ces Africains, artistes cotés, ont un rayonnement international. Ils exposent chez eux et à travers le monde, qu’ils appartiennent à la diaspora, soient ancrés dans leur pays ou en mouvement entre plusieurs continents. Leurs travaux parlent du passé colonial et de la post-colonie, mais reflètent aussi l’Afrique d’aujourd’hui : un continent créatif, reconnu et décomplexé.

Okwui Enwezor, la sommité
Basé à New York, ce natif de Calabar, au Nigeria, a fondé en 1994 le magazine d’art africain contemporain NKA, à New York. Directeur de la seconde Biennale de Johannesburg (1996-98), puis de la Documenta à Kassel (Allemagne, 1998-2002), des Biennales de Séville (Espagne, 2005-07) et Gwangju (Corée du Sud, 2008), il a aussi été le commissaire général de la Triennale à Paris (Palais de Tokyo, 2012). Cet esprit ouvert dit s’intéresser aux « changements historiques en cours dans les domaines de l’art, de la politique, de la technologie et de l’économie ». Directeur depuis 2011 de la Haus der Kunst (Maison de l’art) de Munich, il a été nommé directeur artistique de la prochaine Biennale de Venise, qui ouvrira en mai 2015. La consécration.

Sindika Dokolo, grand collectionneur
« Si nous ne disons pas au monde ce que nous sommes, si nous ne montrons pas le meilleur dont nous sommes capables, nous ne mettrons jamais un terme à l’incompréhension et à la condescendance ». Le mari d’Isabel dos Santos, fille aînée du président de l’Angola et richissime femme d’affaires, rêve à 42 ans de créer un musée d’art contemporain à Luanda, qui serait le premier du genre en Afrique. Né à Kinshasa d’un père congolais et d’une mère danoise, il a grandi à Bruxelles et Paris. Il est rentré au Zaïre en 1995 auprès de son père banquier, et y est resté après la chute de Mobutu. Grâce à ses propres activités dans le ciment, les telecoms, les mines et le pétrole, il a acquis plus de 1 000 œuvres d’art. Il les montre au public depuis qu’il a lancé une Triennale des arts à Luanda, en 2004.

Yinka Shonibare MBE, chevalier de l’Empire britannique
Cet artiste nigérian de 52 ans, très coté, a vu son travail mis en valeur en 2002 par
Okwui Enwezor à la biennale de Venise, puis par Simon Njami dans l’exposition Africa Remix. Il vit à Londres, où il est connu pour ses habits victoriens faits en wax, ce fameux pagne « africain » qui ne l’est pas tant que ça… Tout est parti, explique-t-il, d’une question que lui a posée un jour l’un de ses professeurs d’art britannique : « « Pourquoi tu ne fais pas de l’art plus africain ? » Mais je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire. Et puis je suis allé au marché où je me suis renseigné sur le wax. J’ai appris que ce tissu a été fabriqué en Hollande à partir de motifs indonésiens, pour être finalement vendu à l’Afrique de l’Ouest où il est devenu très populaire. Donc, ces tissus sont multiculturels, comme moi. Les utiliser, c’est comme une blague : “Regardez ce que c’est l’Afrique typique !” ». Fait chevalier du « Plus excellent ordre de l’empire britannique » en 2004, il en ajoute les trois lettres (MBE) à son nom depuis, comme pour mieux en souligner l’ironie.

Simon Njami, découvreur de talents
« Quand on cherche l’Afrique dans l’art, on cherche quoi, à part des présupposés ? » Né en 1962 à Lausanne de parents camerounais, il a découvert sa « négritude » à Paris, adolescent. Une notion qu’il ne cesse de remettre en question depuis. Romancier à 23 ans, il a co-fondé à 29 ans, en 1991, le magazine d’art Revue noire, avec ses amis Jean-Loup Pivin et Pascal Martin Saint-Léon. Directeur des Rencontres africaines de la photographie de Bamako (2001-07), il a été commissaire en 2004 d’Africa Remix, une grande exposition qui a tourné trois ans et contribué à mettre l’Afrique sur la carte du monde de l’art contemporain. Tout en travaillant à son prochain roman, il a réuni en 2014, au Musée d’art moderne de Francfort, une cinquantaine d’artistes africains -pour moitié inconnus- autour de La divine comédie, un texte de Dante. Leurs interprétations de l’enfer, du purgatoire et du paradis font salle comble et tournent à travers le monde.

Romuald Hazoumé, installations à clés
Installé au Bénin, il s’est fait connaître avec ses masques faits à partir d’objets récupérés, bidons d’essence ou aspirateurs. L’une de ses dernières installations montre 2 000 cadenas fermés sur la jupe de la « déesse de l’amour », qui garde les clés comme des bijoux à ses oreilles et autour de son cou. « Dans le vaudou, c’est un acte très grave de fermer un cadenas et de jeter la clé », explique cet initié. Une pratique pourtant courante, sur certains ponts de Paris… Très coté, Hazoumé, 52 ans, fait partie avec le peintre congolais Chéri Samba de l’écurie de la galerie parisienne André Magnin. Il irrite parfois le monde de l’art. « Ce n’est pas parce que nous sommes Africains que nous devons nous dévaloriser, dit-il. Nous avons les moyens de faire les choses correctement ! Je refuse d’aller à la Biennale des arts de Dakar, parce qu’elle est très mauvaise… »

Linda Givon, galeriste à Johannesburg
Sa galerie Linda Goodman, du nom de son ancien mari, à Johannesburg, reste une adresse incontournable. Linda Givon, Sud-Africaine blanche de 78 ans, l’a fondée en 1966, contribuant à lancer nombre de talents noirs et blancs. Concurrencée depuis 2003 par les galeries Stevenson au Cap et Momo à Johannesburg, rachetée en 2008 par l’ex-consultante en finances et productrice de cinéma Liza Essers, la galerie reste la reine quand il s’agit de faire la cote d’un nouvel artiste. C’est chez elle que le tableau controversé du peintre Brett Murray, qui montrait le président Jacob Zuma nu, en exhibitionniste, a été vandalisé en 2012. Dans son catalogue figurent 40 talents, des illustres aînés William Kentridge et David Goldblatt aux jeunes en plein essor, comme le photographe Mikhael Subotzky, 33 ans, en passant par les quadragénaires confirmés : le peintre Moshekwa Langa et le plasticien marocain Mounir Fatmi.

Mounir Fatmi, le pouvoir de la déconstruction
Etabli à Tanger, Lille et Paris, ce vidéaste et plasticien marocain de 44 ans cultive l’art de mettre les pieds dans le plat. Partout où il monte ses installations, il donne à réfléchir et pose des questions. Sur l’islamisme, il a notamment réalisé une série intitulée « Save Manhattan », où il installe, entre autres, des volumes du Coran comme des Twin Towers, sous la légende : « Comprendra bien qui comprendra le dernier ». Sa biographie officielle indique qu’il « traite de la désacralisation de l’objet religieux, de la fin des dogmes et des idéologies », mais aussi de la « mort de l’objet de consommation ». Cet homme qui refuse d’être « aveuglé par les conventions » montre son travail en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient. Trois régions du monde où il a reçu des prix.

Mary Sibande, variations autour d’une robe bleue
L’identité, tel est le thème central du travail de cette Sud-Africaine de 34 ans, basée
à Johannesburg et représentée par Momo Gallery. Fille et petite-fille de « maid », ces employées de maison qui portent toujours des uniformes pour servir dans les familles blanches, elle s’est créé un personnage : Sophie, son « alter ego », mise en scène dans ses installations, est vêtue d’un vêtement hybride. Une grande robe victorienne de couleur bleue ou violette, surmontée d’un tablier blanc de bonne. Titre moqueur de l’une de ses dernières expositions : « The purple shall govern », un jeu de mot entre la couleur violette et « The people shall govern » (Le peuple devra gouverner), un slogan de la lutte contre l’apartheid.

Koyo Kouoh, commissaire d’exposition axée sur la « matière première »
Installée depuis 1996 à Dakar, cette Camerounaise a étudié la finance et l’administration bancaire, mais a vite changé de voie. Directrice des Arts et de la culture à l’Institut de Gorée (1998-2002), commissaire indépendante lors des Biennales de Bamako en 2001 et 2003, conseillère culturelle pour l’ambassade américaine au Sénégal (2003-08), elle a ouvert en 2011 un centre d’art: Raw Material Company (« Compagnie de la matière première »). Sollicitée à Londres, Amsterdam et New York, Koyo Kouoh estime elle aussi que « l’art est politique, même si les gouvernements et les sociétés africaines ne le perçoivent pas comme tel ». L’important pour elle commence à la base : « L’artiste du quartier doit être reconnu comme le cordonnier ou le boutiquier pour son rôle dans la société. » Elle fait partie, avec Bisi Silva au Nigeria, Marilyn Douala Bell au Cameroun et Marie-Cécile Zinsou au Bénin, d’une nouvelle génération de femmes qui montent des centres d’art.

Omar Victor Diop, l’étoile montante du portrait
D’abord connu pour ses portraits d’artistes à Dakar et ses images de mode futuriste, il vient d’entrer en orbite dans le monde de l’art, à 33 ans. « N’exagérons rien, je n’ai pas non plus reçu le Prix Nobel », sourit-il. On le compare à Seydou Keïta ou Samuel Fosso, un photographe camerounais qui a fait des séries d’autoportraits. Il fait des jaloux, mais il trace sa route. Sa dernière série, « Diaspora », a fait sensation à Paris Photo en novembre. Dans ces douze autoportraits, il revêt les habits de personnages noirs devenus des personnalités en Europe, du temps de l’esclavage et des colonies. Ses tirages limités se sont vendus comme des petits pains. Parmi ses acheteurs, un certain Lilian Thuram, touché par son propos. Ses héros méconnus des XVIIe et XVIIIe siècle portent en effet des accessoires de… football. Un clin d’oeil à une autre forme d’excellence africaine, plus contemporaine.

Source: RFI

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