Bénin Révélation Stars (BRS) 2015 : Les finalistes se montrent pleins d’ardeur 
18 août 2015
MAIDA 2015 : La danse au service des peuples
20 août 2015

Rogo Koffi Fiangor,  conteur togolais : « Les professeurs  qui doivent enseigner le conte  ne sont pas des conteurs »

Rogo Koffi Fiangor est un conteur professionnel, de  nationalité togolaise. Depuis environ une vingtaine d’années, il vit en région parisienne où il prend part à toute activité relative à la promotion du conte africain et à l’assainissement des systèmes éducatifs en vogue en Afrique.  Fidèle donc, à cet engagement, il était en avril 2015 au Bénin où il a, activement, participé  à la 4ème édition des Rencontres Internationales des Arts de l’Oralité (RIAO). A cette occasion, volontiers, l’homme a accordé un long entretien à dekartcom. En voici une première partie.

 Lisez

Dekartcom : Le conte, dites- nous ce qu’on y retrouve.

Rogo Koffi Fiangor : Dans le conte, il n’y a pas  que les histoires classiques où on a le lion en train de chasser la gazelle ou la biche. Il y a dans le conte des récits, des mythes, des épopées, des légendes  qui sont des éléments de la tradition plus les histoires que les gens  écrivent au quotidien après les colletages, plus, ce qu’on  colle  au conte pour en faire une spécificité ; les contes initiatiques, les contes d’amour… Nous n’allons pas nous enfermer dans la tradition mais nous devons nous   projeter dans la modernité.

Pensez- vous que les élèves ont besoin du conte ?

Je crois que les écoles, les universités sont les lieux appropriés pour  amener les contes. Le conte et toutes ses ramifications ont deux vocations : distraire et  instruire. On sait que nous sommes d’une société   de l’oralité et que dans les anciennes veillées, lorsque les gens se retrouvent   autour des vieillards, le conte est une école de vie, de civisme, de morale. Les contes permettent aux aînés de donner des leçons, de livrer des messages, de donner des connaissances, de répondre à des questions existentielles. Quand les enfants demandent par exemple, c’est quoi une histoire, si les parents n’ont pas de réponse, ils vont inventer une histoire  pour que la curiosité de l’enfant s’arrête. Si on fait cela à l’école, on développe l’imaginaire des enfants.  On leur apprend des valeurs et ces valeurs civiques, de vie, de moralité, plus tôt,  elles sont acquises, mieux servent- elles pour le futur de l’individu, pour la contribution de l’individu au développement.

Hormis les leçons de vie, le conte développe les capacités imaginaires chez l’enfant.

N’importe quel conte, tel qu’il soit, d’où  qu’il vienne, c’est un monde de la convention. C’est-à-dire que tu dis à l’enfant que dans le conte, il y un arbre qui parle avec un animal, un animal qui parle avec un  humain, un arbre qui écoute les oiseaux. Mais l’enfant sait que l’arbre ne parle pas. Il rentre dans cette convention, son imaginaire s’ouvre  et  va au-delà du rationnel, du palpable. Il sait qu’il est dans un monde conventionnel, cela  veut dire qu’il projette  sa mémoire dans une deuxième dimension. Quand tu lui  dis que le lièvre et le lion sont en train de se bagarrer  ou de parler, il sait  que les animaux n’ont pas de langage mais il rentre dans son imaginaire, dans  cette convention d’un langage animalier  et il y a des enfants qui  peuvent être très mauvais en mathématique et en physique  mais qui sont très bons en lettre et en science, tout simplement, parce que par ce bais, son imaginaire accroche mieux la connaissance qui,  au préalable, lui semblait inaccessible. Donc on peut utiliser le conte comme outil  pédagogique dans ce sens- là.

Le deuxième, c’est que quand on sait qu’avec le développement des nouvelles technologies, quand les enfants rentrent à  la maison, au lieu que les parents prennent le temps de faire les devoirs avec eux, ils les  mettent devant la télévision  et la télé, c’est la fiction, et la fiction, c’est l’imaginaire des autres qu’on met dans la tête des enfants. Or cette imaginaire de l’autre crée, qu’on le veuille ou non des frustrations énormes. Parce que la sélection imaginaire des autres qu’on voit à la télé, c’est ça qui pousse les jeunes  à penser qu’il fait mieux, beau, meilleur ailleurs et ils veulent aller là -bas, après qu’ils voient la piscine avec les belles filles… ils pensent que c’est ça. Ils ne voient pas la sélection des informations qu’on est  en train de mettre dans sa tête pour non seulement l’acculturer  mais l’aliéner. Or, si tu le ramènes aux réalités de chez nous et que les parents sont en conversation avec leurs enfants,  son imaginaire va penser le développement sur le plan local.

Donc le conte doit rentrer dans le système éducatif pour non seulement  être utilisé comme  moyen pédagogique de meilleure réception de certaines leçons mais  en plus pour instruire et éduquer les enfants autrement que l’éducation classique traditionnelle  des livres. Moi, je préfère qu’on apprenne la  phytothérapie à l’école que des poèmes des auteurs  français.

Mais le conte est déjà inséré dans le système éducatif un peu partout en Afrique

Oui. Les autorités l’ont compris mais on constate que  les enseignants prennent cette discipline comme une discipline secondaire.

Je pense que l’erreur que nous faisons dans l’ensemble des pays africains surtout francophones, c’est que les choses sont toujours faites à moitié. Pour ce qui concerne le Rogo Koffi Fiangor,  conteur togolais  « Les professeurs  qui doivent enseigner le conte  ne sont pas des conteurs »conte, il est mis au programme ; d’accord, il est décrit dans les livres, d’accord mais  nous sommes les premiers à savoir que le conte ne peut pas être enfermé  dans une étude livresque. Le conte, c’est un  genre de l’oralité.

Deuxième erreur que nous faisons, les professeurs  qui doivent enseigner ne sont pas des conteurs. Conter est un métier ; on ne le savait pas  mais maintenant on sait. Qu’est -ce que cela coûte de mettre en place,  en dehors du programme  qui est dans les livres, au niveau des réseaux associatifs des tournées pour qu’ils passent  d’établissement en établissement pour raconter de façon vivante aux élèves  des contes. Comme cela, les apprenants  vivent les contes de l’intérieur, de façon vivace ;  de façon interactive. De cette façon, ils pourront poser de questions aux  conteurs  et que ces derniers répondent.  Si on  fait cela  en une heure, on économise  5 à 10 heures de cours. Parce que c’est toujours mieux.

Donc, selon vous,  on ne peut pas enseigner le conte via les livres ?

Oui, mais cela ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est de dépasser le caractère livresque pour passer à une autre forme ; c’est-à-dire la forme qui appartient  au genre lui-même. C’est la même chose pour le théâtre. Comment on peut aller jusqu’au Brevet d’Etude du Premier Cycle (BEPC) sans jamais voir une pièce de théâtre, sans jamais voir des comédiens sur scène. Il vaut mieux être fort en pratique et moins en théorie.

Et le conte peut-il favoriser le développement d’un pays ou d’un continent ?

Je pense, oui. La vendeuse du charbon et important. Dans le système éducatif, tout est important.  Comment vous   voulez qu’un scientifique arriverait à convaincre  son public s’il ne détient pas  les mécanismes de communication, et, on peut  les obtenir rien que par les contes : le mouvement, l’articulation, le déplacement, la façon de parler, la façon d’accrocher, la façon d’organiser un début, un milieu et une fin. C’est la structure du récit.  Tu as beau être le meilleur mathématicien du monde, quand tu arrives et que tu ne parles qu’avec des chiffres, tu es mort. Personnes ne t’écoutera. Or,  si tu fais un peu de comédies, de mise en scène du récit que tu veux communiquer,  tu vas attirer l’attention des gens. Les arts de l’oralité, le conte fait partie.

Comment l’Afrique peut- elle vendre aux autres continents son conte sinon sa culture?

Je n’aime pas l’expression vendre. Mais ce n’est pas les Africains qui disent qu’ils n’ont rien à donner ; c’est les autres qui le disent pour un constat simple. Si les lions  avaient leurs propres historiens, tous les glorieux faits de chasse ne seront pas en faveur des chasseurs.

Nous, nous n’avons pas eu la chance de connaître et de pratiquer très tôt  et très vite l’écriture. C’est  pourquoi on nous compte dans la littérature orale. Mais nous avons connu des royaumes, nous avons connu des empires,   nous avons des  récits historiques prouvant que le continent africain n’a jamais été en retard. Plus loin que ça, dans certains débats, l’Afrique est cantonnée à l’Afrique de l’Ouest, au Sud du Sahara. Or, l’Egypte fait partie de l’Afrique et jusqu’à nos jours, les pyramides construites 4000 ans avant Jésus Christ, on n’a pas encore fini de les découvrir et de décrypter  l’écriture hiérographique.  Si on a eu des connaissances 4000 ans avant  Jésus- Christ et que jusqu’à nos jours, avec les technologies  sophistiquées, on ne sait pas à 100% comment les pierres ont été montées, alors nous avons nos mots à dire dans le processus du développement.

Tout cela, ce n’est pas l’Afrique ça !

Réalisation : Esckil AGBO/ @dekartcom.net

Share and Enjoy !

0Shares
0 0

Comments are closed.

0Shares
0