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Dominique Zinkpè : « Si notre gouvernement peut comprendre que l’art peut générer des fonds, on est sauvé »

Dominique Zinkpè est un artiste plasticien béninois dont le talent et le professionnalisme  font parler de lui un peu partout dans le monde.  Dekartcom est allé à  sa rencontre, le dimanche  17 août 2014,  en son domicile, sis à Cotonou.  Dans une ambiance conviviale, il s’est entretenu avec ses visiteurs (les journalistes) sur le début de sa carrière, l’état de l’art plastique au Bénin et sa vision  pour  la fleuraison de cet art dans son pays.

Lire ici l’intégralité de son entretien

Dekartcom : Présentez- vous à nos lecteurs
Dominique Zinkpè : Je suis Dominique Zinkpè. Je suis artiste plasticien qui vit et réside à Cotonou à Fidjrossè où j’ai mon atelier pour travailler autour de la sculpture, la peinture. Pour ce faire, je me fais accompagner en assistance avec des artistes et des ouvriers. Je peints, je sculpte et je fais de dessins.

A quand remonte votre initiation à la sculpture ?
Cela a été banal comme le début de tout jeune béninois. J’ai eu mes aptitudes déjà à l’école. J’avais quelques aptitudes pour dessiner à l’école. Mais après, j’ai pris conscience en me faisant aider par mon feu père qui m’a toujours encouragé. Il avait une phrase au bout des lèvres. Il disait Dominique : « tu as des doigts magiques. Tu dois continuer à dessiner ». J’ai continué à dessiner. J’avais voulu m’orienter vers l’art mais il n’y a pas d’écoles de beaux- arts et les moyens de mes parents ne me permettaient pas d’aller étudier en Occident. Néanmoins, j’ai eu accès au centre culturel français où il y avait beaucoup de livres sur l’art contemporain, l’art en général. Donc, j’ai appris à travers les livres. Et c’est ce que je revendique aujourd’hui encore parce que je suis autodidacte. J’ai eu aussi beaucoup de chances parce que c’est au moment où les Koffi Gahou, les Sizogan exposaient. Je voyais leurs œuvres et ça m’instruit. Alors dans ce petit milieu, j’ai été dopé en voyant mes contemporains et je les aicopiés en quelque sorte. C’est bien après, qu’à travers quelques expositions, la première qui m’a honoré, j’étais parti exposer pour une rencontre à Abidjan. Il s’appelait Grapholic où exposaient Koffi Gahou, Méchac Gaba, Dominique Kouas et moi-même. C’était ma première sortie internationale où j’ai été honoré à travers mon exposition avec le prix du jeune talent africain. Cela a marqué un peu mon début. C’était en 1993, j’avais 23 ans. C’était pour moi l’heure de la prise de conscience. Le prix était contesté parce que les gens ne comprenaient pas comment un autodidacte a gagné un prix devant des professionnels confirmés. Alors quand je suis rentré, j’ai commencé par travailler et c’était une très belle rencontre parce qu’on m’avait montré un artiste africain que je respecte beaucoup. Il réussit à travailler avec une seule matière. Je l’ai pris comme mon maître. A l’époque, je faisais un travail qui ne plaisait pas à mon environnement immédiat. Mes peintures étaient un peu rudes. Mais honnêtement, j’ai continué. Au même moment où mes contemporains vendaient leurs œuvres, je ne vendais rien du tout parce que mon travail est dans une catégorie d’œuvres inacceptables. Heureusement, aujourd’hui, il est accepté.

Une oeuvre de Dominique Zinkpè ©2014/www.dekartcom.net

Une oeuvre de Dominique Zinkpè
©2014/www.dekartcom.net

A part le travail, bien fait, à quoi peut- on rallier votre succès ?
J’ai eu la chance parce que ma famille m’a accompagné. A l ‘époque on pensait que ce sont les gens qui sont des ratés à l’école qui deviennent des artistes. Dans ma famille, ce n’est pas le cas. L’artiste, c’est quelqu’un qui a le même niveau que les scientifiques et qui peut apporter quelque chose à la société. La réflexion a commencé à ce niveau quand j’étais jeune. Je me demandais ce que je peux apporter à ma société. Entre temps, comme j’ai obtenu un prix, j’étais demandé pour honorer des galeries en Occident et même très tôt des musées aussi. Mes œuvres sont très peu vues et célébrées ici à Cotonou.

Pourquoi ?
Il y a avait une organisation qui s’est faite d’une manière que de simples Béninois n’avait pas accès à notre exposition. Je donne un exemple simple, que ce soit à l’institut français, au centre culturel chinois ou américain, dans nos invitations, on n’invite que les élites de la société. Les avocats, les docteurs, les médecins, toute personne qu’on imagine potentielle et qui pouvait nous acquérir. Cela a fait qu’on a été isolé avec l’art. C’est le même cas au Mali, au Sénégal où les artistes, une fois qu’ils sont célébrés un peu en Occident, ils font une sélection dans la société pour des gens qu’on a supposé de nous comprendre, le bonus de nous acquérir. C’est ce qui a fait que l’art a traîné en Afrique de l’Ouest notamment et que je connais le mieux.

Qu’est- ce que Dominique Zinkpè fait aujourd’hui pour corriger cela ?
Moi, j’ai commencé par faire des activités pour respecter un peu notre côté culturel qui est si fort. J’ai grandi à Abomey et je me suis rendu compte que le royaume d’Abomey avait compris les artistes très tôt. C’est l’un des rares royaumes en Afrique de l’Ouest qui permettait aux artistes de créer. On leur donne des terres et même des femmes. On célébrait l’art depuis le temps de nos rois. Les Tokoudagba, les Hountondji, les Yèmadjè, ils ont développé leurs travaux parce que leur royaume leur a donné l’opportunité. Maintenant, nous sommes dans le monde moderne. Le ministère ne réussit pas à défendre les artistes. Pour voir les œuvres majeures de nos grand- parents, ce n’est pas ici au Bénin. Nos musées sont vides. Les œuvres majeures de Danxomè sont dans les musées en Europe où maintenant de vous à moi pour voir, célébrer les œuvres de nos ancêtres, on doit payer au minimum 30 euros. Ça, c’est l’histoire qui s’est arrangée avec les missionnaires, avec l’histoire de la religion catholique où il y a un rapatriement d’œuvres majeures des artistes (rois) qui honorent aujourd’hui les musées en Occident. Revenons à nous les contemporains. Cela risque de se passer encore parce que la plupart des gens qui nous acquièrent aujourd’hui, ce n’est pas des Béninois. Pourquoi, des gens font des voyages pour venir m’acquérir ici aussi bien en sculpture qu’en peinture. Nos valeurs d’aujourd’hui ne sont pas reconnues. Pour cela moi, j’ai commencé par faire des œuvres pour séduire ma population. On est arrivé à une époque où on était frustré et on dit que nos gens ne connaissent pas nos valeurs. Je dis que c’est faux. Le Béninois est capable d’analyser une pièce d’art et de la respecter. C’est nous, artistes qui n’avons pas réussi à nous mettre à la hauteur de leur goût. C’est vrai qu’on fait des choses qui plaisent aux Européens. Alors, j’ai démarré un projet qui date de 2000 où j’ai commencé par faire un travail avec les taxis- brousses. Ce n’est pas une pièce qu’on va acheter. Mais je me suis promis de d’attirer l’attention de simples Béninois devant une de mes œuvres d’art pendant au moins cinq minutes, juste pour regarder. J’avais aussi exhorté les autres artistes contemporains de faire la même chose. Si on réussit à vendre de manière égoïste nos œuvres afin de nourrir nos familles, il faut aussi réussir à accrocher nos populations béninoises.

Et vous ne reprochez rien aux populations dans cet état de chose ?
Je ne veux pas accuser la population parce que je sais que mon peuple a le goût et le respect pour l’art. Il y a eu déphasage. C’est pour cela que je nous rejette le tort. J’en suis convaincu parce que j’ai vécu des expériences. On parle de peintures corporelles. Cela vient des animistes. Quand les vodounsi se promènent avec des peintures sur le corps mais l’art a toujours a existé… D’une manière ou d’une autre, l’art a toujours existé en Afrique. Maintenant, c’est à nous de dire que l’art est là. Ils vont nous célébrer. En tout cas, j’ai eu beaucoup de bonheur à travers l’art chez moi. Les taxis Zinkpè ont été célébrés, mes œuvres en sculpture Ibédji sont célébrées par les miens. Nous avons un manquement et cela c’est de réussir à intéresser nos proches. Je demande aux autres artistes de se rapprocher de la société. Moi, j’ai peint « Jonké » plusieurs fois. « Jonké » existe et c’est un quartier fabuleux.

Et aux autorités, vous reprochez quoi ?
Elles sont pauvres d’esprit. Elles n’ont pas encore compris la valeur de ce qu’elles ont à vendre. Nous, les Béninois, on n’a rien. On n’a pas de ressources minières. Nous vendons notre intellect… C’est d’ailleurs pour ça que nous avons perdu notre belle renommée de quartier latin. On ne l’a plus. D’autres pays nous ont dépassés. Ce que je vais dire aux autorités, c’est de revoir leur politique d’actions. Ce que nous avons à vendre, c’est notre culture. Si notre gouvernement peut comprendre que l’art peut générer des fonds, on est sauvé. C’est vrai qu’elles ont fait quelques efforts via le fonds d’aide à la culture mais il reste beaucoup de choses à faire.

Que faut- il faire aujourd’hui pour donner le goût de l’art plastique aux populations notamment la jeune génération ?
Il faut qu’on revienne à l’ancien temps. On dessinait à l’école. Mais aujourd’hui, c’est annulé. Il faut réintroduire l’éducation basique d’apprendre à dessiner. Cela fera de futurs artistes. Il faudrait que dans les écoles, on apprend de l’art. Qu’on encourage les enfants à aller voir des expositions, de voir le théâtre. Si on le fait ainsi, dans dix ans, nous aurons des élites de la société qui seront sensibles à l’art. En dehors de cela, il faut dire que nous avons des musées historiques qui sont des lieux nobles pour accueillir des œuvres d’art. L’idée, c’est de nous recycler. Nous avons besoin d’un musée d’arts contemporains béninois. La fondation Zinsou a essayé de faire ce qu’elle peut. Mais cela ne suffit pas. Nous devons commencer par animer nos musées.

Votre mot de la fin
Je remercie le site dekartcom pour son travail quotidien pour nous, artistes africains.

Réalisation : Esckil AGBO

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