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Le Sphinx d’Ousmane Sow, une maison-œuvre pour abriter les sculptures du maître sénégalais

Le sculpture sénégalais Ousmane Sow. Crédit photo: DR

Le musée, qui a ouvert ses portes début mai à Dakar, regroupe des pièces majeures qui n’avaient encore jamais été montrées au public.

C’est le visage d’une tristesse pleine, prémonitoire. Le regard vide qu’un cou affaibli oriente vers le sol. La peau couverte de brindilles luit sans éclat, cerclée d’un collier de barbe sale. « Je le vois maintenant, c’est Ousmane Sow, souffle Béatrice Soulé, émue devant cette tête de paysan sculptée. C’est un autoportrait de lui à la fin de sa vie. Les mêmes yeux vitreux quand je le veillais, lui tenais la main toute la nuit, le voyant mourir… Ça me sidère. » Veuve de l’un des plus grands sculpteurs sénégalais, décédé en décembre 2016, Béatrice Soulé ne peut s’empêcher de contempler, à chaque fois qu’elle passe devant, cette sculpture réalisée une année et demie avant la fin. Même en cette journée chargée de mai, où elle organise à Dakar le vernissage de la maison dédiée à l’œuvre de l’homme qu’elle aimait, elle prend le temps.

En répondant à une volonté de l’artiste après sa mort, ses proches ont rapatrié la majorité de ses œuvres pour en emplir les vastes pièces du « Sphinx », la maison que le sculpteur avait lui-même dessinée et construite au détour d’une ruelle ensablée du quartier Virage de Dakar, face à cette mer qui l’inspirait tant.

L’exposition du Pont des Arts, une « déflagration »
Béatrice et Ousmane se sont rencontrés en 1996, alors qu’il en coulait la dalle. Très vite il demande à la réalisatrice française de s’occuper de ses expositions, lui qui commence à peine à se faire connaître hors du Sénégal. Au célèbre artiste local, elle ouvrira les portes d’une carrière internationale à l’aide d’une « déflagration » : l’exposition historique du Pont des Arts en 1999, où Ousmane Sow exposa 70 sculptures. Les Indiens de Little Big Horn, les Noubas et les Masaïs de ses séries africaines fascinèrent les Parisiens, attirant plus de 3 millions de visiteurs. De sa vaste collection, on retrouve aujourd’hui, dans sa maison rénovée, les pièces majeures dont certaines n’avaient jamais été montrées au public.

Notables locaux et dignitaires étrangers s’y serrent pour observer ces colosses de fers à béton, de plastique, de paille et de jute. Béatrice circule en courant d’air entre les tutoiements des amis venus « retrouver leur Ousmane ». Elle se rappelle quand elle campait seule avec lui dans ces quatre étages en construction. Elle le filmait pour un documentaire, lui « passait d’une sculpture à l’autre et en même temps faisait les carreaux de sa maison, rit-elle. Il n’aimait pas travailler sur une seule pièce à la fois. Alors qu’on s’approchait de la date de l’exposition du Pont des arts, il retapait en plus une CX dans laquelle il dormait. Ça me rendait folle ! »

Victor Hugo, Nelson Mandela et Charles de Gaulle
Nouba, Peuls, Masaï, Zoulous : les corps maçonnés de ses séries africaines toisent le visiteur pétrifié. « Ousmane ne pouvait montrer que des hommes dignes et forts. Quand Médecins du monde lui a passé commande pour la journée de la misère, il a refusé de faire un miséreux. Il a fait celui qui avait le mieux parlé de la misère », explique Béatrice. Victor Hugo, frôlant les trois mètres, se tient désormais debout dans la salle dédiée à « ses grands hommes », chargés d’un symbolisme sédimenté. Ainsi la montre de l’écrivain français évoque autant le rythme du poème que le temps qui passe pour l’homme en exil. Le général de Gaulle porte des vêtements de 14-18 et de 39-45 aux poches plates car « c’était un homme honnête ». Devant lui, Nelson Mandela se dresse en gardien de but. Le CAAP sur le maillot signifie : Club africain des anti-pourris. Et de sa main, il place son mur pour écarter les chefs d’Etat véreux.

Au rez-de-chaussée, une maquette attire le regard. Celle d’un homme, sa femme et son enfant rentrant des Amériques au Sénégal. Une commande de l’ex président Abdoulaye Wade. « Il a fait volte-face, a gardé le thème mais l’a fait réaliser par des Nord-Coréens », confie Béatrice. Difficile de manquer aujourd’hui ce qui aurait dû devenir la plus spectaculaire œuvre d’Ousmane Sow. Le monument de la Renaissance africaine qui dresse ses 52 mètres au-dessus de Dakar.

Les sculptures animées, un rêve de fin de vie
Seul lieu resté en l’état depuis le décès du maître, l’atelier sur le toit du « Sphinx » demeure encombré de bouquets de globes oculaires, de mâchoires désarticulées, de pantins et de poupées enchevêtrés au milieu d’outils. « C’est ici qu’il a passé la fin de sa vie, glisse Béatrice. Il y a longtemps, quand il était kinésithérapeute à Montreuil, il voulait faire des films d’animation. Dans son cabinet, il se racontait des histoires avec des soucoupes volantes accrochées à des filins, les filmait à l’aide d’une caméra Pathé à manivelle. Je ne sais pas comment les patients ne s’affolaient pas ! » Un rêve auprès duquel il reviendra à la fin de sa vie. « Il était hanté par ses sculptures animées. »

Un personnage en particulier le poursuivit tout au long de sa vie. On le retrouve éparpillé dans les étages de sa maison. Ici une tête démantibulée, là un bras désarticulé, et au sommet du « Sphinx », le corps décapité, assis sur une chaise en bois de celui qu’il nommait « l’empereur fou » ; chimère d’une grande œuvre immuable qu’il n’aura pu animer que dans sa sublime immobilité.

Source: Le Monde Afrique  / Par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)

 

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