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Iran-Afrique – Saeid Shanbehzadeh : « Comme mes ancêtres africains, je suis en exil »

Saeid Shanbehzadeh et son neyanban sur scène. © Jean-François Mousseau

ENTRETIEN. À travers sa musique, l’Iranien Saeid Shanbehzadeh cultive et perpétue l’héritage des descendants d’Africains dans son pays. Il en explique l’histoire et la souffrance.

Son dernier album Pour-Afrigha (Descendant d’Afrique) est un double hommage à ses racines africaines maternelles et afro-baloutches du côté de son père. Faut-il le rappeler, le Baloutchistan est une région partagée entre l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan ? Originaire du sud de l’Iran, où se concentrent les afro-descendants, de la ville de Bouchehr notamment, ce musicien est depuis plus de trente ans un maître du neyanban (sorte de cornemuse perse), du neydjoufti (clarinette formée de deux roseaux) et du damman (un tambour). Accompagné de son fils Naghib aux percussions, du chanteur Rostam Mirlashari et du guitariste Manu Codjia, Saeid explore ici la richesse de ces traditions musicales, bien vivantes mais malheureusement marginales, et œuvre pour leur reconnaissance, leur valorisation.

Le Point Afrique : Pour-Afrigha est un hommage à la fois à vos racines africaines et baloutches…
Saeid Shanbehzadeh : Oui. Pour-Afrigha est le nom que portait ma mère et signifie « fils/fille d’Afrique » en persan. Ma mère est issue de la 3e ou 4e génération d’Africains, nous savons très peu de choses sur ses ancêtres. Les afro-descendants se concentrent dans le sud de l’Iran, le long des côtes du golfe Persique et du Baloutchistan. Ils étaient amenés d’Afrique de l’Est et centrale depuis l’île de Zanzibar, plaque tournante du commerce sur laquelle les sultans d’Oman régnaient de la fin du XVIIe à la fin du XIXe siècle. D’après mes recherches, l’esclavage en Iran, définitivement aboli en 1928, existait et concernait aussi les Géorgiens, les peuples d’Asie centrale… L’esclave noir était cher. Pour montrer leur pouvoir, leur richesse, les maîtres les chargeaient d’ouvrir la porte de leur maison, d’accueillir les visiteurs. Beaucoup de descendants africains s’appellent d’ailleurs Diamant. Quant à mon père, afro-baloutche, on ne connaît rien de ses racines, on ne sait pas où il est né… C’est d’ailleurs un tabou en Iran, ne pas connaître ses origines paternelles. Alors, on était obligés d’inventer une histoire à son sujet.

Quelle est la place de cette culture aujourd’hui ?
La culture afro-iranienne n’est pas reconnue en Iran. Si tu dis à un Noir iranien qu’il est descendant d’Afrique, c’est une insulte pour lui. Personne ne parle de ses origines avec fierté, non ! C’est triste, car ça empêche la quête de la vérité. Alors que c’est la réalité, c’est naturel ! Lorsqu’ils voient des rites africains, ils disent « les Africains font comme nous », alors que ce sont les Iraniens qui ont reçu ces influences d’Afrique… Même certains membres de ma famille ne comprennent pas pourquoi je cherche à connaître cette histoire, mes racines. Mais je veux comprendre d’où vient le mouvement de ma musique, qui est très différent de celui des autres joueurs de neyanban. Notre musique est notre première source d’informations, et, dans le sud de l’Iran, c’est celle des descendants d’esclaves à 80 % !

Pouvez-vous nous présenter l’un de vos instruments, le neyanban, associé à des séances de possession, de guérison ?
C’est une sorte de cornemuse, un instrument perse très ancien qui se joue dans toute la région du golfe Persique, de la mer d’Oman au Koweït, Qatar, sultanat d’Oman… À l’arrivée des esclaves, ses rythmes se sont africanisés. Il n’y a pas si longtemps, le neyanban était considéré comme la culture des pauvres. C’était très mal vu. Seuls les gitans, les Noirs et les coiffeurs en jouaient. C’étaient les castes de la société. Aujourd’hui, c’est un instrument pour la danse, la transe. Après la révolution islamique, il fut interdit pendant dix ans : si les rythmes africains ne sont plus au service de la religion mais au sein de fêtes, avec de la transe, des cris de libération, ça effraie et c’est vu comme un danger. Maintenant, parce que je joue à l’international et que je suis invité dans les festivals européens, le regard sur cet instrument a changé, c’est devenu important ! Mais ce n’était pas mon but. Pour moi, c’est naturel, c’est un instrument de musique. Pourquoi compliquer les choses ? À Bouchehr, ma ville d’origine, les musiciens pensent que le succès, c’est de jouer à l’étranger. Mais, pour moi, la réussite est ailleurs, dans la recherche musicale. Je joue aussi du damman, percussion très précieuse de notre région, ramené d’Afrique du Sud. Il accompagne les cérémonies religieuses, au sein d’un ensemble formé d’une trompe « bough » – une corne d’antilope koudou – et de cymbales. Bouchehr est la seule ville en Iran où les gens dansent pendant les funérailles. C’est là aussi un rite hérité de l’Afrique.

Vous dédiez le morceau « Bousalameh » au grand cinéaste iranien Abbas Kiarostami, disparu en 2016…
Dans les croyances afro-iraniennes, Bousalameh est un mauvais esprit de la mer, un monstre qui s’attaque aux marins et les dévore. C’est une créature inventée, que l’on connaît mais que l’on ne voit pas, une grande source pour l’imagination. Le lien avec le cinéma de Kiarostami est évident : il pose des questions, ne donne pas de réponses. C’est à toi de penser, de faire appel à ton imagination. C’était un visionnaire : dans l’un de ses premiers films, un personnage dit des choses très justes sur l’avenir de l’Iran. Pour moi, c’est impossible d’accepter sa mort, ce qu’il a fait est tellement présent… Il est toujours là.

Vous ne pouvez plus retourner en Iran : en 2005, vous avez été condamné par le gouvernement iranien pour avoir soi-disant insulté la religion en introduisant des éléments des cérémonies afro-descendantes dans un spectacle de danse contemporaine…
Selon moi, c’était plutôt le fait de la jalousie de certaines personnes… Comme mes ancêtres africains, je suis en exil, je ne l’ai pas choisi. Je ne suis pas un activiste politique, je suis musicien, ce que je suis et ce que je pense s’expriment à travers mon art. C’est difficile d’être condamné à l’exil sans savoir pourquoi. J’espère un jour retourner en Iran, je vis avec, tous les jours, mon quartier natal de Bouchehr… Ça me blesse qu’on raconte des choses fausses à mon sujet. Ils ne savent pas quelles difficultés j’ai ici pour préserver ce trésor sans faire du commercial. Sans changer de direction, ou faire le censeur en jouant pour les communautés iraniennes à l’étranger. Car il y a la règle, la tradition, des tabous artistiques, et, si tu transgresses, tu es mort. En Europe, j’ai la liberté, la confiance de dire les choses sans peur, sans ce regard des autres, affirmer qui je suis, ce que fais, interroger mes origines.

Avez-vous souffert du racisme en Iran ?
Enfant, j’ai appris que la meilleure défense, c’est l’attaque. Ça a commencé dans les jeux de gamins, tu te fais traiter de « sale Noir » : dès qu’il y a un problème, c’est la première insulte que tu entends ! Donc j’ai saisi très vite que je devais être plus fort, anticiper les agressions en attaquant d’abord. C’est pour ça que j’ai choisi de devenir champion en athlétisme. Jamais je n’ai été victime de ma vie, à pleurer, me plaindre… non ! Mais, avec le temps, j’ai compris qu’il fallait changer la méthode d’attaque. L’ennemi n’existe plus, on l’oublie. Il faut s’exprimer à travers la poésie, car la vérité est mieux acceptée à travers la beauté du langage poétique. En France, c’est une respiration. J’ai observé du racisme envers les Noirs, mais pas dans mon milieu professionnel. Ça m’a libéré de quitter cet environnement agressif : pour le travail artistique, tu n’as pas besoin d’être agressé, en concurrence avec les autres, et sur le marché aussi, pour vendre… Ici je suis tranquille, j’ai réalisé cet album Pour-Afrigha en famille et entre amis, un vrai plaisir. On travaille, on mange ensemble, on est tous les mêmes, il y a un vrai lien social. Ça aussi, c’est très africain, cette vie en tribu !

PROPOS RECUEILLIS PAR ASTRID KRIVIAN / Le Point Afrique

Saeid Shanbehzadeh, Pour-Afrigha, Buda Musique-Universal, 2017. En concert le 11 janvier au studio de l’Ermitage, Paris

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