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Bénin _ Affaire Fonds d’Aide à la Culture : Coup de gueule et propositions du cinéaste Idrissou Mora-Kpai

Idrissou Mora Kpai, cinéaste béninois

Idrissou Mora Kpai est un cinéaste béninois, diplômé de l’Université des Arts Cinématographiques «Konrad Wolf» à Babelsberg. Il a réalisé plusieurs courts-métrages et des documentaires. Les films d’Idrissou ont été vus à travers le monde. Largement passés en revue par la presse professionnelle, académique et populaire, ses films sont aussi l’objet de diffusions universitaires, en Europe et aux Etats-Unis. «Si-Gueriki, la Reine-mère ; 62mn» (cinéma du réel 2002, Rotterdam 2003) ; a reçu plusieurs distinctions dont le Bayard d’or du meilleur documentaire au 17ème Festival International du Film Francophone de Namur. «Arlit, deuxième Paris ; 78 mn», (Festival de Berlin 2005), a notamment reçu le prix du meilleur documentaire au Festival Tricontinental de Milan, le Bayard d’or du meilleur documentaire au 20ème Festival International du Film Francophone de Namur. « Indochine, sur les traces d’une mère ; 71 mn» (Busan International Festival ; 2011» a notamment reçu le Grand Prix du Jury au Festival du film engagé d’Alger 2012, le prix du documentaire au FESPACO 2011. En 2013, Idrissou a été lauréat du prix Prince Claus des Pays-Bas qui récompensent des réalisations exceptionnelles dans le domaine de la culture et du développement. Idrissou fut Professeur Visiteur de Cinéma à L’Université de Duke en Caroline du Nord et a été en résidence d’artiste à l’Université de Cornell, dans l’Etat de New-York. Idrissou habite actuellement à Pittsburgh, en Pennsylvanie aux USA.

Sur sa page Facebook, Il se prononce sur la polémique autour du Fonds d’aide à la culture du Benin et fait quelques propositions

Fonds d’Aide à la Culture : Qu’est-ce que j’en pense ?
Tout d’abord, bravo à la plateforme WANILO ! Mes félicitations pour cette victoire qui n’est qu’un début. Vous avez démontré qu’avec une réelle volonté, on peut changer le cours des choses.

Comme je l’avais déjà souligné au cours des échanges avec des amis Facebook, l’argent mis à la disposition de la culture, est énorme pour un petit pays comme le nôtre. Ne pas en faire quelque chose de profitable à la nation est un crime. C’est pour ça que je salue votre courage et votre volonté de stopper ce pillage de l’économie nationale.

5 milliards de Francs CFA (c’est environ 8 millions d’euros) …
Je n’arrive pas à croire qu’une somme aussi importante soit dilapidée par une bande de voyous, sans que rien ne soit entrepris pour leur demander des comptes.

Je suis révolté, parce que je considère les grandissantes difficultés de création, les très nombreux obstacles auxquels nous sommes confrontés entant qu’artistes Africains. Je considère nos combats pour récolter des fonds à l’étranger, des miettes, parfois à la limite de la mendicité.

Pour vous donner une idée de l’importance du fonds dilapidé, sans qu’aucune œuvre digne du nom ne voie le jour :

Le Fonds Images Francophones que vous connaissez tous et qui a permis à un grand nombre de réalisateurs africains de faire des films, a un budget annuel de 900 000 euros
Sundance Institut aux Etats-Unis, sans laquelle un grand nombre de films indépendants américains et internationaux n’auraient jamais été réalisé, à un budget annuel de 3 millions de dollars.

Le Fonds Images du Monde du gouvernement français qui finance les réalisateurs du monde entier, dont les africains, a un budget de 6 millions d’euros.
Le World CinemaFund du festival de Berlin finance aussi des projets du monde entier avec un budget de 350 000 euros.

La raison pour laquelle les africains sont absents dans la liste des projets financés par ces différents fonds est le fait que nous n’avons pas le soutien de nos pays. J’en ai parlé dans une interview que j’ai accordée aux journalistes de notre pays. Le premier fonds obtenu par un projet, détermine ses chances de voir le jour. Les pays qui l’ont compris ont connu des avancées notables dans le domaine cinématographique.

On ne peut pas débloquer des fonds pour un projet dont on ne sait que l’auteur est en mesure de mener à terme.

Nous sommes tellement habitués à recevoir que nous avons perdu tout sens des chiffres. Et le pays sombrait dans un cercle vicieux d’avidité où les rêves n’avaient plus de limite. Aujourd’hui, une maison n’est pas suffisante pour un béninois. Il veut en avoir dans chaque ville…Et la corruption s’est répandue dans tous les rangs de la société.

Mes propositions pour le fonds d’aide à la culture ???
Avant de penser à la gestion du fonds, il faut connaître les objectifs pour lesquels ce fonds a été approuvé. Je suis surpris de lire une déclaration selon laquelle le fonds était destiné aux artistes afin de leur permettre de vivre.

Nous avons un Etat généreux, très généreux, puisqu’il paie pour ne pas travailler. Ailleurs cela s’appelle chômage et on dépend d’un autre régime….

Logiquement parlant, le fonds est destiné à financer le développement du secteur culturel.

Comment donc créer une synergie dans le domaine culturel afin de permettre à notre pays d’être représenté et de faire entendre sa voix sur la scène culturelle mondiale ?

Je pense qu’il ne faut pas se précipiter tout de suite dans les affaires de changement d’équipe, sans convoquer des états généraux qui définiront les nouvelles stratégies de gouvernance de ce fonds …

Il faut éviter qu’il y ait culte de la personnalité au sommet du fonds. Il faut éviter d’avoir un chef mais plutôt un comité de pilotage du fonds. Chaque secteur de l’art doit être représenté dans le comité. Pas de délai pour les représentants. Un représentant d’un secteur peut être remplacé à tout moment si son secteur le réclame. La base doit permanemment avoir son impact sur toutes les décisions.

Les représentants doivent défendre les intérêts des artistes. Ils doivent être à l’extérieur des pratiques de l’administration. Tout le danger est là…Vous savez bien de quoi je parle… les per diem, la corruption etc.

Les représentants doivent être du côté des artistes
Pour la gestion même du fonds, voici quelques suggestions :
D’abord une petite remarque : Faire juger un projet cinématographique à un novice en la matière est une erreur. La faisabilité d’un projet cinématographique ne peut être jugé que par des spécialistes de ce métier.

Par exemple, j’aurai du mal à évaluer un projet musical ou un projet de théâtre…
Pour cette raison, je propose que le fonds soit réparti selon les divers secteurs que compose la culture béninoise.

Pour ce qui concerne le cinéma, la décision reviendra aux spécialistes de ce secteur de répartir leur fonds en trois domaines, comme cela se fait à l’international :

L’aide au développement de projet – l’aide à la production – et l’aide à la finition
Pour ces trois domaines, il faut éviter de verser le fonds en une fois. Il faut que cela soit progressif.

Un collège de spécialistes désigné par les membres du fonds suivra de près l’évolution des travaux et décidera de la nécessité d’un éventuel déblocage de fonds afin de permettre la suite des travaux. Comme ça on évitera de dépenser inutilement pour un projet qui ne verra jamais le jour.

Idée spécifique au cinéma : nous devons nous donner par an, l’objectif de développer et de produire trois à cinq projets prometteurs (courts-métrages et longs-métrages fiction comme docu) en mesure de représenter notre pays sur la scène cinématographique internationale. (Comme critères de sélection : le professionnalisme des auteurs, le sujet, les qualités artistiques etc).

Ne jamais financer entièrement un projet. Le fonds interviendra à hauteur de 10 à 30% du budget. Le reste est à rechercher à l’international. Le fonds ne sera débloqué que si le budget est bouclé. Comme ça on évitera la corruption, les magouilles au cours des sélections…

La compétition existe partout. Nous ne devons pas en avoir peur. Il faut encourager l’excellence. Qui veut réussir à cette compétition internationale a intérêt à être au top, donc les magouilles au niveau national ne peuvent que desservir par la suite.

Car, qui n’a pas la totalité de son budget au bout de trois ans, perdra les financements du fonds.

Enfin, les états généraux permettront de mieux élaborer les choses. Chaque secteur pourra définir ses spécificités et développer des astuces pour lutter contre les abus.

Idrissou Mora Kpai, cinéaste béninois vivant aux Etats – Unis

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