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Art africain : la querelle du sculpteur et du milliardaire

Le premier est l’un des nouveaux milliardaires africains pris de passion pour l’art contemporain de son continent. Sindika Dokolo, 43 ans, homme d’affaires d’origine congolaise, vit entre Luanda, Lisbonne et Porto, Bruxelles et Londres, où les fêtes qu’il organise ont impressionné une jet-set pourtant blasée. Il est aussi le mari d’Isabel dos Santos, la fille richissime du président angolais.

Le second est un artiste béninois reconnu, dont les œuvres sont présentes dans les plus grands musées du monde. Or, Romuald Hazoumé, 53 ans, ne décolère pas depuis qu’il a pris connaissance de deux interviews récentes de Sindika Dokolo.

Ces deux personnages sont les antagonistes d’une polémique violente, inhabituelle dans le monde feutré du marché de l’art, qu’alimentent l’orgueil, l’argent et deux visions du monde opposées. L’origine de la querelle, c’est peut-être lorsque le premier a voulu acheter des œuvres du second, directement à son atelier de Cotonou. L’artiste a alors renvoyé le collectionneur aux galeries qui le représentent à Paris, Londres et Genève.

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Le dialogue ci-dessous n’a pas eu lieu en tête à tête. Il est reconstitué à partir des propos tenus par Sindika Dokolo en juin dans le quotidien suisse Le Temps et en mars dans Le Monde Afrique. Ceux de Romuald Hazoumé ont été recueillis cet été alors qu’il était en déplacement aux Etats-Unis.

Sindika Dokolo : Je trouve insupportable que des gens extérieurs au contexte (de l’art contemporain africain) en fixent la valeur. Je veux reprendre le contrôle du marché, dire ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas.

Romuald Hazoumé : Il veut contrôler qui, quoi ? Il se prend pour qui ? Il y a trente ans, quand on mourait de faim, où étaient ces Africains qui ont aujourd’hui une arrogance inouïe ? Ils faisaient tous leurs études en Europe, et ces gens-là disent qu’ils connaissent l’Afrique ? Dans les années 1980, j’ai croisé un certain André Magnin, curateur et marchand d’art, à Cotonou. Il est venu chez moi voir mes œuvres. Il dormait par terre ! Il était là, avec nous ! Il nous écoutait, il regardait tout. Il disait ce qu’il pensait du boulot et je me remettais en question. Sur un an et demi, il est venu trois fois. Je voulais lui faire des rabais mais à chaque séjour, il triplait les prix d’achat de mes œuvres. Je n’ai plus eu de problème pour payer mon loyer et j’ai pu commencer à vraiment réfléchir. Il a fait pareil pour d’autres artistes africains. Il a fait de nous des gens apaisés qui ont mieux travaillé.

C’est inadmissible de tirer sur ces pionniers qui ont fait de l’art contemporain ce qu’il est aujourd’hui. Eux et l’Occident ont joué un rôle fondamental. Un continent qui se referme sur lui-même n’a pas d’avenir. Si notre art ne s’était pas ouvert sur le monde, vous pensez que Dokolo serait collectionneur ? S’il veut acheter mes œuvres, qu’il aille chez Magnin.

Sindika Dokolo : La culture est par excellence le champ de l’action politique. Nous n’avons pas besoin de gentillesse mais de considération. Il faut arrêter de nous infantiliser : les amis de l’Afrique sont ses pires ennemis. Je me sens rempli de la responsabilité de nous faire respecter au niveau mondial.

Romuald Hazoumé : Il ne faut pas se lier aux politiques, parce que la roue tourne. Sindika Dokolo se sent invincible grâce à la protection de dos Santos (le président angolais) ou de Kabila (le président congolais), mais il oublie que la roue tourne. Son beau-père peut dégager un jour, malgré le pétrole. Je ne le lui souhaite pas, mais ce jour-là, tout ce qui est lié à dos Santos sera peut-être détruit. Parce qu’il y a des frustrations dans ce pays. Et ce jour-là, Sindika Dokolo sera peut-être en débandade. Ceux qui vont prendre le pouvoir, ils feront quoi, avec les œuvres ?

Lire aussi : « Il faudra rendre les œuvres volées à l’Angola ou affronter mes avocats »

Sindika Dokolo : Voici ce que je propose aux propriétaires [européens] des pièces [d’art africain] volées : soit mes avocats, soit une indemnisation au prix exact auquel ils les ont achetées. J’ai déjà retrouvé deux masques tshokwe.

Romuald Hazoumé : Cela montre qu’il a du temps et de l’argent à perdre ! Avec les honoraires de ses avocats, qu’il construise des musées, des fondations Sindika-Dokolo dans chaque pays africain. Heureusement que ces pièces sont parties et ont été mises en valeur en Occident. Allez voir l’état des musées en Afrique. Ils sont vides ! Les politiques s’en fichent et les directeurs de musée ont vendu les pièces. Si vous les leur ramenez, ils vont les vendre une deuxième fois ! Sindika Dokolo est plein de contradictions. Pourquoi montrer sa collection au Portugal ? Il a aussi besoin de la reconnaissance de l’Occident ? C’est mille fois mieux de mettre des enfants dans des autobus pour les amener au musée, comme fait la Fondation Zinsou au Bénin, que d’acheter des musées au Portugal pour montrer son patrimoine.

On doit se faire respecter en étant nous-mêmes, en éduquant le peuple africain. Allez demander aux enfants de Cotonou qui est Jean-Michel Basquiat, qui est Samuel Fosso. Ils le savent ! Le salut viendra de là et s’appuiera sur un grand nombre de personnes.

Je n’ai rien contre Sindika Dokolo, je suis plutôt admiratif de son parcours. Il a racheté la collection Bogatzke [collectionneur allemand], à qui j’ai vendu beaucoup d’œuvres. Mais personne ne lui dit qu’il fait des bêtises ! Les artistes ont peur de lui, peur qu’il arrête d’acheter leurs œuvres. Mais il faut un discours de vérité, pour construire l’Afrique ensemble.

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